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Bibliothèques de l’Islam

 Questions méthodologiques

Dans une des rares premières études à avoir été consacrées aux bibliothèques en Islam, l’auteure, Olga Pinto, débutait son essai en ces termes :

« L’histoire des livres parmi les Arabes, si importante pour la connaissance du développement de la culture arabe, est presque complètement ignorée des principaux ouvrages traitant de l’histoire des bibliothèques »(Pinto 1929, p. 210).

Près d’un siècle plus tard, écrire l’histoire des bibliothèques en Islam reste une gageure. Certes, des études ciblées ont été publiées sur des périodes ou des régions bien définies [parmi les plus importantes, citons Eche 1967 pour les bibliothèques aux Proche- et Moyen- Orient avant le XVe s. ; Benjelloun-Laroui 1990 pour les bibliothèques au Maroc ; Erünsal 2008a, 2008b, et 2015 pour les bibliothèques ottomanes ; Allauddin et Rout 1996 pour les bibliothèques indiennes ; Touati 2003 pour la bibliophilie prise dans sa globabilité ; Liebrenz 2016 pour l’étude d’une bibliothèque privée syrienne acquise par l’Allemagne au XIXe s.]. Malgré ces avancées, il n’existe à ce jour aucune synthèse couvrant, sur la longue durée, toutes les zones géographiques qui ont été, à un moment ou un autre, sous contrôle musulman. Les raisons sont multiples. L’espace géographique et temporel à couvrir est, à vrai dire, gigantesque. L’expansion du monde musulman, d’abord par la force dans des limites frontalières qui évoluèrent peu jusqu’au XVe s., puis essentiellement par des moyens pacifiques (via les échanges commerciaux) en Asie du Sud-Est et en Afrique sub-saharienne à partir du XVIe s., avec l’adoption de l’alphabet arabe dans la plupart de ces régions, fit que l’écriture arabe utilisée pour noter des langues très diverses devint la règle générale dans cet immense espace. En outre, l’introduction tardive de l’imprimerie dans le monde musulman (début du XIXe s.), ajoutée à la réticence du lobby des copistes face à ce nouveau moyen de diffuser les écrits, permet d’expliquer la prééminence de l’écriture manuscrite même bien après la progressive propagation de cette nouvelle technique, à tel point que dans de nombreuses régions (notamment le Maroc, l’Iran, l’Inde) la lithographie fut encore préférée à l’imprimerie en caractères mobiles comme vecteur de reproduction à moindre coût des écrits. Et cela sans mettre fin au travail des copistes qui, peu à peu, virent malgré tout leur activité limitée à certains textes (Coran, textes de la tradition prophétique). Par conséquent, le livre manuscrit en Islam couvre, outre un espace géographique presque incommensurable (de l’Océan atlantique à l’Océan pacifique), une période qui s’étend, au plus tôt, du VIIe s. au début du XXe s. L’histoire des bibliothèques s’en trouve donc compliquée par la nécessité de prendre en compte tous ces éléments. Dans les lignes qui vont suivre, le champ d’application sera limité, par la force choses, aux bibliothèques qui ont précédé la mise en place d’institutions de type national qui sont apparues à partir du XIXe s. sous influence de modèle européen allant de pair avec la notion d’État-nation. Une excellente représentation visuelle, à la fois géographique et temporelle, de l’état de la question est désormais disponible et peut être consultée avec profit [Gianni 2016].

Notons aussi que pour traiter de ce sujet il est indispensable de dire un mot des sources. L’histoire des bibliothèques en Islam s’écrit, avant tout, à partir des sources narratives, qui, en prêtant garde de ne pas trop généraliser en fonction des époques et des régions, peuvent être qualifiées de pléthoriques. Ces sources narratives doivent être prises pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des amas de témoignages rarement contemporains, et les données (surtout numériques) fournies par celles-ci peuvent difficilement être corroborées par des éléments factuels. À l’opposé de cette catégorie de sources fait face la relative paucité des ressources documentaires relatives aux bibliothèques (les inventaires et catalogues) : les témoins de ce genre qui ont été conservés sont trop rares et peu d’entre eux précèdent le XVIe s. Dans le même ordre d’idée, les représentations iconographiques, qui peuvent fournir des informations pertinentes pour comprendre comment étaient organisés les dépôts de livres, ne foisonnent pas. Enfin, malgré leur nombre, les manuscrits, sources de première main puisqu’ils conservent parfois des traces de l’histoire, souvent mouvementée, de leur passage par plusieurs bibliothèques, fussent-elles publiques ou privées, restent trop peu abondants pour les cinq premiers siècles.

 Bibliothèques et collections de livres : questions de terminologie

En raison de l’étendue géographique, temporelle autant que linguistique, les bibliothèques en Islam ont été désignées par des termes qui ont évolué au fil du temps. Le mot maktaba (construit à partir de la racine KTB, qui renvoie à l’idée d’écriture, et sur un schème qui indique un lieu où le résultat de l’action est trouvé en abondance), qui prévaut de nos jours, n’apparaît que très tard dans le lexique. À l’exception d’un hapax dans une source de la fin du XVe s.[al-Sakhâwî (m. 1499), al-Ḍawʾ al-lâmiʿ, vol. 4, p. 323], le terme en question ne commence à être utilisé pour désigner l’endroit où sont conservés des livres qu’au XIXe s., à l’époque de la Renaissance (nahda), comme le montre sa présence dans le Supplément aux dictionnaires arabes de Dozy[Dozy 1881, vol. 2, p. 442].

Dans une première phase qui s’étendit jusqu’au XIIe s., l’usage était de combiner deux termes dont le premier renvoyait à un lieu (dār, bayt, khizâna) et le second aux livres (kutub) ou, par forme de métonymie, leur contenu, c’est-à-dire la science (ʿilm) ou la sagesse (ḥikma). L’idée prédominante est celle du lieu où sont gardés les livres. La taille du lieu était au début exprimée par le choix fait d’un des trois termes. Comme cela a été souligné [Eche 1967, p. 2], dâr est composé de plusieurs bayts, si bien que le premier terme doit être interprété comme indiquant un édifice qui contient plusieurs chambres ou pièces auxquelles renvoie le second terme. Il en découlerait que la bibliothèque désignée au moyen du vocable dâr aurait été plus grande que celle qui l’était au moyen du terme bayt. Rien n’est plus faux et il en va de même pour le troisième terme khizâna (entrepôt, armoire, trésor), comme cela a été démontré [Touati 2003, p. 175-182]. Les premières bibliothèques fondées par les califes et leurs émules, les grands de la cour comme les ministres, sont appelées tour à tour dâr, bayt, khizâna sans que ces termes renvoient à une taille ou à une localisation particulière. La fonction de ces bibliothèques est de servir d’instruments visant au développement et l’accroissement des connaissances, que leur accès soit réservé à une élite ou à un public plus large.

À partir du XIIIe s., on constate que c’est le terme khizâna qui l’emporte sur les deux autres qui tombent en désuétude avant de réapparaître au XXe s., époque où l’idée de bibliothèques nationales fait son chemin dans diverses régions du monde musulman sous influence occidentale (ces institutions adoptent alors le nom de Dâr al-kutub al-waṭaniyya, c’est-à-dire Bibliothèque nationale). Jusque-là, le mot khizâna sera principalement, sinon exclusivement, employé pour désigner autant la bibliothèque d’un souverain que celle d’un savant, autant une bibliothèque publique que privée, dans le monde arabe. Parallèlement, dans les mondes ottoman, persan et indien, d’autres termes surgissent rappelant le concept de l’identification du lieu avec la collection au moyen du mot persan khânah, synonyme de dâr : kitâkhânah (en persan) et kütüphane (en ottoman). Ce dernier mot fera son entrée également dans le vocabulaire arabe (kitābkhâna) adopté par certains pays arabes au XIXe s. (ce sera le cas de la bibliothèque du Khédive en Égypte qui deviendra une bibliothèque nationale à la fin du XIXe s.).

 Facteurs favorables au développement des bibliothèques

Un récent décompte, bien que basé sur un recensement incomplet des bibliothèques qui conservent des manuscrits en écriture arabe dans une centaine de pays à travers le monde (le World Survey of Islamic Manuscripts), a permis d’établir qu’un peu plus d’un million et demi de manuscrits sont conservés [Gianni 2017, p. 39]. Ce nombre serait sensiblement supérieur si l’on tenait compte des bibliothèques qui ont été négligées par ce recensement, notamment les collections privées dont les richesses sont méconnues mais qui restent nombreuses, notamment en Iran, comme le montrent les récentes ventes publiques londoniennes. Parmi ces centaines de milliers de manuscrits, peu nombreux sont ceux qui datent des premiers siècles de l’Islam. Exception faite de plusieurs milliers de fragments du Coran, pour la majeure partie sur parchemin, qui peuvent être attribués aux quatre premiers siècles, rares sont les livres qui datent ou peuvent être datés avant le XIIe s. Lors d’une évaluation des manuscrits réputés datés ou datables du IXe s., par exemple, il a été établi que ceux-ci ne dépassaient pas les quarante unités et ceux-ci comptaient quelques manuscrits chrétiens et du Coran [Déroche 1987]. Même si ce chiffre pourrait être revu à la hausse grâce aux récentes découvertes et identifications, il dépasserait difficilement la centaine. Ces chiffres montrent la proportion des pertes qui ont été encourues au tournant des XIIe-XIIIe s. à la suite de divers facteurs internes (renversement de dynasties, famines) et externes (invasions).

Néanmoins, les chiffres cités ci-dessus confirment que de tout temps l’écriture et la production des livres ont joué un rôle de premier plan en Islam. Plusieurs facteurs concoururent à la production livresque au fil des siècles. L’adoption d’un nouveau support, le papier, qui se diffusa à partir des régions orientales dès la fin du VIIIe s., contribua à démocratiser la production livresque. Contrairement au papier, le papyrus ne pouvait être produit que dans les régions où cette plante croissait et il présentait des inconvénients physiques (il se cassait facilement en cas de pliure) et économiques (son coût était majoré des frais d’exportation). Quant au parchemin, bien que plus résistant que le papyrus et le papier, il restait plus coûteux à produire. Ces deux matériaux disparurent à des degrés divers, le parchemin se maintenant plus longtemps dans la partie occidentale du monde musulman, notamment pour la production de corans et de textes liés à la tradition prophétique [Bloom 2001].

La possibilité de léguer un bien au bénéfice de la communauté tout en assurant la pérennité de ce bien grâce au système du bien de mainmorte (waqf dans la partie orientale du monde musulman, ḥubs dans la partie occidentale) permit aux bibliothèques de se multiplier [Sâʿâtî1996]. Ce système est connu dès le IXe s. et la plus ancienne attestation datable d’un livre légué de cette manière est un Coran sur parchemin qui porte la marque caractéristique (awqafahu Amâjûr, « Amâjûr l’a constitué bien de mainmorte »). Amâjûr n’était autre que le gouverneur abbasside qui avait été nommé à la tête de la Syrie en 870 et son don fut fait au bénéfice de la mosquée de Tyr [Déroche 1990-1991]. Le succès de la constitution en bien de mainmorte des livres ne se démentit jamais en Islam, et ce malgré les destructions, les vols, les spoliations qui se vérifièrent à travers les siècles, à tel point qu’il constitua la voie royale pour tous, grands de ce monde et savants, riches et pauvres, de contribuer au développement des connaissances en donnant accès au plus grand nombre à des livres parfois rares et coûteux. De nombreux livres constituaient un bien de luxe et leur circulation entre bibliothèques à travers le temps était donc essentielle. Ce mouvement se place dans un courant similaire à l’évergétisme tel qu’il est observé dans le monde antique [Coqueugniot 2019]. Le souverain souhaite faire état auprès de ses sujets et des étrangers de passage de son intérêt pour la culture, qu’il entend encourager grâce à sa fondation. Il montre aussi combien son acte est une expression de son prestige, comme le prouve une inscription du sultan mérinide à Fès, toujours bien en place à l’entrée d’une bibliothèque dont la fonction n’a pas changé depuis sa création en 1349 :

« Le Prince des croyants, le seigneur Abû ʿInân (…) a fondé cette bibliothèque bienfaisante multidisciplinaire, qui contient les livres dont il a fait don, pris dans son propre palais, livres qui traitent de tout ce dont il est nécessaire pour exalter et honorer les bontés divines. Abû ʿInân a constitué cette bibliothèque – que Dieu lui accorde la victoire –, en a fait don en bien de mainmorte à tous les musulmans pour l’éternité. Il l’a créée pour encourager sa maîtrise, sa diffusion, et aussi pour faciliter la tâche à celui qui désire étudier, copier, lire et collationner les ouvrages qu’elle contient. Par ailleurs, il est interdit à quiconque de sortir les livres de la bibliothèque où ils sont placés. Chacun doit veiller à tenir les ouvrages en bon état. Abû ʿInân a voulu ainsi [honorer] la face sublime de Dieu. Ceci eut lieu au mois de Jumâdâ I en l’an 750 de l’Hégire. Que Dieu lui accorde ses bienfaits sans interruption. » [Benjelloun-Laroui 1990, p. 135-136]

La quête du savoir, le savoir (ʿilm) s’entendant surtout, dans un premier temps, comme la connaissance de la Tradition du Prophète (ḥadîths), fut très tôt encouragée et favorisa le voyage (riḥla), souvent contemplé en même temps que l’obligation facultative du pèlerinage à La Mecque, d’un bout à l’autre de la Demeure de l’Islam (dâr al-Islâm). Au cours de ce périple, le savant, en herbe ou confirmé, était appelé à rencontrer, à chaque étape, des pairs qui lui transmettaient leur propre savoir, c’est-à-dire leurs propres écrits avec ceux d’autres auteurs pour lesquels ils avaient autorité de les transmettre, le tout sous forme de transmission orale ou écrite. Le voyage était aussi l’occasion de se procurer des textes indisponibles dans la région d’origine, permettant ainsi au retour d’assurer leur publication au niveau local [Touati 2000].

À partir du XIe s. et l’apparition des Turcs seldjoukides dans la partie orientale de l’empire désormais fragmenté en de multiples pouvoirs, moment qui fut longtemps considéré comme le début d’une longue décadence qui ne connut la fin qu’avec la Renaissance des lettres (Nahḍa) au XIXe s., les sources d’acquisition du savoir se démultiplièrent de pair avec les bibliothèques [Hirschler 2012]. L’institution du collège (madrasa), véhicule de la restauration du sunnisme face à un chiisme battant désormais en retraite, à la même époque fut un des éléments catalyseurs de la diffusion des connaissances. Institutions par définition publique, les madrasas accueillent maîtres et élèves en leur sein [Makdisi 1981 ; Berkey 1992]. Elles vont souvent de pair avec une bibliothèque léguée par le fondateur au bénéfice des deux catégories de public qui les fréquentent. La cohabitation en un même lieu du fruit du savoir (les livres) et de la transmission de celui-ci aux plus jeunes générations encouragea le développement des textes avec l’apparition de nouveaux genres, comme les résumés, les commentaires, les gloses, les supergloses, favorisant ainsi la production livresque et la multiplication des copies et entraînant, dans un mouvement exponentiel, l’expansion des bibliothèques et de leurs collections. Les savants entretinrent également des correspondances, parfois sur de longues distances, assurant ainsi la diffusion des nouvelles et des écrits. Au vu de ces développements au cours de cette période traditionnellement caractérisée comme décadente sous l’influence d’une vision européocentriste, il n’est plus étonnant de voir certains parler de République des lettres avant l’heure [Al-Musawi 2015].

 Aperçu chronologique

Différentes approches ont été adoptées jusqu’à présent pour catégoriser les bibliothèques en Islam par des chercheurs qui se sont surtout concentrés sur les périodes dites« classique » et « médiévale », s’arrêtant au XIVe s. Dans son étude pionnière, Pinto différenciait surtout deux catégories basées sur le pouvoir et l’usage : d’une part, celle des bibliothèques fondées par des souverains (califes, sultans, émirs) pour leur usage personnel ou pour un public plus ou moins large ; d’autre part celle des bibliothèques jointes à des mosquées et à des madrasas [Pinto 1929]. Pour sa part, Eche adopta une approche plus diversifiée, tout en maintenant la distinction en deux catégories principales, tout en suivant une périodisation : d’un côté, les bibliothèques publiques, semi-publiques et privées pour la période précédant le XIe s. où, selon l’auteur, ce sont les institutions fondées par l’élite qui monopolisent les lieux d’enseignement, et d’un autre les bibliothèques académiques et les bibliothèques annexes, c’est-à-dire liées à d’autres institutions, qu’elles soient d’enseignement (madrasas), religieuses (mosquées), fonctionnelles (hôpitaux, retraites pour mystiques, …), qui vinrent remplacer les institutions de la période précédente. En d’autres termes, Eche voyait avant tout dans les bibliothèques des instruments annexes à des lieux où se déroulent des activités de recherche et d’enseignement [Eche 1967]. Enfin,Elayyan aborde la question d’une manière différente, privilégiant la division en bibliothèques adjointes à des mosquées, bibliothèques privées, publiques et, enfin, académiques [Elayyan 1990]. Toutes ces approches sont valables et montrent à quel point étudier le développement des bibliothèques en Islam est un exercice ardu. Vouloir embrasser presque treize siècles d’histoire et un espace géographique plus vaste qu’un continent ne peut que conduire à des généralisations. En effet, le fait de considérer que les bibliothèques se sont développées en Islam de manière uniforme dans toutes les régions, fût-ce durant les sept premiers siècles, constitue déjà un raccourci trompeur. En outre, la distinction faite entre bibliothèques sur la base de leur accès (public, semi-public, privé) ou de leur fonction (recherche, enseignement) fait fi de la porosité de ces catégories : il ne s’agit jamais que d’un instantané qui peut parfois durer peu de temps. Toutefois, un élément commun à l’essentiel des bibliothèques concerne leur localisation : celles-ci sont avant tout un phénomène urbain, ce qui ne veut pas dire que ce phénomène ne touche que les métropoles, bien au contraire. Les centres urbains situés dans des régions isolées n’échappent pas au développement des bibliothèques. Ainsi, lorsqu’uneconfrérie mystique (zâwiya) ouvre à Tamegroute, aux portes du Sahara dans le sud-est du Maroc, au XVIIe s., elle devient rapidement un centre renommé pour sa bibliothèque construite et enrichie par le fondateur et ses successeurs qui se rendirent dans ce but au Caire et à Istanbul, principales destinations pour le marché du livre à cette époque. Tamegroute était aussi une étape sur la route de Tombouctou, autre grand centre de la diffusion de la connaissance pour l’Afrique sub-saharienne [Gutelius 2001]. Bien entendu, la localisation urbaine se justifie par la présence des lieux d’enseignement (mosquées, madrasas, confréries) où leur vocation est avant tout technique et éducative.

Le Bayt al-hikma (Maison de la sagesse) abbasside, archétype de la bibliothèque idéale

Si les sources font état de l’existence de dépôts de livres à l’époque omeyyade (661-750), il devait s’agir de petites collections conservées dans des coffres, collections qui n’avaient que peu à faire avec la notion de bibliothèque. Le nombre d’ouvrages composés par des auteurs musulmans restait aussi trop confidentiel pour pouvoir penser à l’établissement de véritables bibliothèques, quand bien même celles-ci auraient été limitées à la capitale de l’empire, Damas. Il fallut attendre l’établissement de la dynastie abbasside (750-1258) pour voir apparaître une institution qui allait évoluer au fil des siècles et allait rester l’archétype idéal pour d’autres pouvoirs, parfois concurrents des Abbassides. Son rôle fut essentiel dans l’effort de traduction qui permit le transfert du savoir hérité de l’Antiquité (la sagesse exprimée par le mot ḥikma) à l’Islam. Toutefois, cette institution, qui accueillaient traducteurs et savants, ne fonctionna jamais ni comme une académie ni comme un centre des traductions travaillant de manière systématique, mais bien uniquement comme un dépôt de livres [Touati 2014a]. Sa création et son maintien eurent aussi un impact durable puisqu’elle servit de modèle à d’autres bibliothèques fondées selon le même principe dans un mouvement d’émulation qui s’étendit aux membres de l’élite partageant le pouvoir, le tout au bénéfice de la capitale, Bagdad, ou des villes limitrophes ou périphériques d’où ils étaient originaires.

Les Dâr al-ʿilm (Maison de la science) et l’ouverture des bibliothèques

Au tournant des IXe et Xe s., les bibliothèques ne furent plus confinées à un usage limité au souverain ou aux grands de la cour. Grâce au fait que le système du bien de mainmorte (waqf) pouvait désormais s’appliquer non plus exclusivement aux immeubles, mais aussi aux biens mobiliers, les propriétaires de bibliothèques purent envisager de léguer au bénéfice du public lettré leurs riches collections tout en s’assurant de la pérennité de celles-ci. À la fonction première de ces bibliothèques, celle de centre d’étude est souvent jointe : l’acte de fondation peut prévoir que les matériaux d’écriture (papier, encre, calame) seront fournis aux lecteurs dans le besoin. La vision encyclopédique (rassembler tous les savoirs du monde)ne peut qu’encourager cette fonction de l’institution. Ce même modèle sera repris par un calife fatimide (chiite), al-Hâkim (m. 1020), au Caire en 1005. La renommée de la « Maison de la science », véritable centre d’études et expression de la souveraineté du calife, dépassera les frontières et la richesse de ses collections alimentera les fantasmes des historiens. Toutes les matières, des sciences religieuses aux sciences spéculatives, y étaient enseignées sans a priori [Touati 2014b].

L’âge des collèges (madrasas) et des bibliothèques annexes

À partir du XIe s., l’apparition d’une nouvelle institution d’enseignement contribuera à faire disparaître les modèles du passé. Les collèges (madrasas), qui se diffusent à travers le monde musulman à partir du centre de l’empire abbasside, désormais en proie au morcellement, seront désormais les lieux fréquentés par les lettrés en herbe. Les bibliothèques annexées à ces édifices construits selon un plan presque unique, avec quatre ailes (îwâns), une pour chacun des quatre rites juridiques du sunnisme, en seront des éléments constitutifs. Le champ des matières enseignées se réduit : la primauté est désormais réservée aux sciences religieuses. L’étude des sciences spéculatives, qui ne disparaissent pas pour autant, est reléguée à d’autres édifices (hôpitaux, observatoires) qui comptent également des bibliothèques spécialisées. Le rejet de l’approche polymathique des premiers siècles va renforcer ce que d’aucuns vont appeler la sclérose intellectuelle du monde musulman.Mais les bibliothèques constituées en bien de mainmorte ne s’arrêtent heureusement pas à ce cantonnement. Elles comptent des écrits couvrant tous les domaines. Le morcellement du monde musulman va faire place, à partir du XVIe s., à la naissance des trois grands empires qui vont dominer le devant de la scène : les Ottomans, les Safavides, et les Moghols. Ces empires vont renforcer l’effet centripète concentré autour de leur capitale respective où le marché du livre joue un rôle de premier plan. Les bibliothèques privées continuent d’être léguées par les collectionneurs et les savants qui les ont créées selon les principes du waqf au bénéfice des établissements d’enseignement. Le nombre de bibliothèques ne cesse d’augmenter, y compris dans les provinces et les plus petites agglomérations comptent désormais une madrasa équipée d’une bibliothèque. À Istanbul, des dizaines de bibliothèques comptent jusqu’à plusieurs milliers de manuscrits. Certains d’entre eux, réduits à une peau de chagrin, remontent à la gloire des bibliothèques des califes fatimides.

 Aspects matériels

Organisation et représentations

En décrivant la bibliothèque fatimide du Caire au XIe s., Ibn al-Tuwayr (m. 1220) fournit des détails sur sa disposition en ces termes :

« La bibliothèque contenait un grand nombre d’étagères disposées dans les pièces à l’intérieur de la grande salle. Ces étagères étaient divisées en compartiments par des séparations ; chaque compartiment était fermé par une porte maintenue par des charnières et cadenassée. […] Toutes les matières étaient indiquées sur une feuille collée sur la porte de chaque armoire. » [al-Maqrîzî, al-Mawâʿizwa-l-iʿtibâr, vol. 2, p. 358].

Cette description, bien que sommaire, permet de comprendre que les livres étaient disposés dans des armoires fermées à clé dont le contenu était indiqué sur la porte pour permettre d’identifier rapidement l’armoire recherchée. L’auteur précise aussi que les copies du Coran étaient conservées en hauteur, bien à l’écart du reste des livres. Excepté ces détails, on cherchera vainement à savoir comment les livres étaient rangés à l’intérieur de chaque armoire. La quantité de livres conservés joue un rôle dans l’organisation de la bibliothèque. Lorsqu’ils ne dépassent pas quelques centaines, ils peuvent être placés dans des caisses. Mais ce système se révèle peu pratique au-delà de ce nombre et le recours à des armoires devient alors indispensable.

Ill. 1 : Représentation d’une bibliothèque au XIIIe s. (al-Harîrî, al-Maqâmât, daté de 1237, Paris, BnF, ms. ar. 5847, fol. 5 b)

Peu d’études ont été consacrées à l’organisation des bibliothèques. La raison en est simple : les données fournies par les sources, qu’elles soient narratives ou documentaires (catalogues/inventaires, documents de waqf), restent évasives et les manuscrits n’offrent que peu d’éléments relatifs au classement et encore moins à la disposition. Les sources picturales restent rares avant le XVe s. (voir ill. 1), moment où les miniaturistes ottomans, persans et moghols commencent à représenter plus fréquemment des scènes impliquant des livres. Les gravures fournies pas certains voyageurs européens aux XVIIIe et XIXe s. permettent de corroborer les sources musulmanes et de confirmer la longévité de ce qui était devenu une tradition (voir ill. 2-3).

 : Bibliothèque du sultan ʿAbd al-Hamîd I (I. Mouradgea d'Ohsson, Tableau général de l'Empire othoman, divisé en deux parties, dont l'une comprend la législation mahométane ; l'autre, l'histoire de l'Empire othoman, vol. I (Paris, 1787), pl. 23) {JPEG}

Ill. 2 : Bibliothèque du sultan ʿAbd al-Hamîd I (I. Mouradgea d’Ohsson, Tableau général de l’Empire othoman, divisé en deux parties, dont l’une comprend la législation mahométane ; l’autre, l’histoire de l’Empire othoman, vol. I (Paris, 1787), pl. 23)

Plusieurs constantes s’imposent toutefois tout au long de l’histoire. Quand ils ne sont pas conservés dans des caisses, les livres sont empilés les uns au-dessus des autres. Il fallut attendre la fin du XIXe s. pour que l’on passât au système adopté en Europe privilégiant l’alignement vertical qui laisse visible le dos contenant les informations nécessaires à l’identification du contenu. En Islam, l’empilement explique la présence de ces indications sur la tranche inférieure et parfois aussi supérieure, car les livres doivent normalement être disposés les uns au-dessus des autres en alternance, en tenant compte du format, afin que les dos, plus épais, ne se superposent pas, ce qui provoquerait le déséquilibre de la pile. Les piles sont disposées sur des rayonnages placés dans des armoires, des niches, ou encore des alcôves qui sont souvent fermées par des battants ou des portes qui peuvent être cadenassées. Certains livres richement décorés, comme les copies enluminées du Coran aux reliures serties de pierres précieuses financées par des souverains, sont conservés dans des boîtes spécialement produites à cet effet (voir ill. 3).

Coffre à Coran, vers 1330 (Berlin, Musée d'art islamique au Pergamon, no. I. 886)

Ill. 3 : Coffre à Coran, vers 1330 (Berlin, Musée d’art islamique au Pergamon, no. I. 886)

Les lecteurs, assis jambes croisées par terre, n’ont besoin de rien d’autre que d’un coffre ou d’une banquette placée devant eux pour prendre des notes ou pour réaliser une copie (voir ill. 2 et 4). Le mobilier se limite ainsi à peu de choses.

Bibliothèque publique de RâghibPâshâ (I. Mouradgea d'Ohsson, Tableau général de l'Empire othoman, divisé en deux parties, dont l'une comprend la législation mahométane ; l'autre, l'histoire de l'Empire othoman, vol. I (Paris, 1787), pl. 24)

Ill. 4 : Bibliothèque publique de RâghibPâshâ (I. Mouradgea d’Ohsson, Tableau général de l’Empire othoman, divisé en deux parties, dont l’une comprend la législation mahométane ; l’autre, l’histoire de l’Empire othoman, vol. I (Paris, 1787), pl. 24)

L’organisation des livres à l’intérieur de leur contenant suit la classification des sciences, pratique qui s’est maintenue jusqu’au début du XIXe s. : la bibliothèque d’Ahmad Taymûr (m. 1930), intégrée aux collections de la Dâr al-Kutub d’Égypte après sa mort, est organisée de la même manière, les manuscrits ayant conservés jusqu’à ce jour leur ancienne cote (par ex. : Adab Taymûr pour les livres de littérature, suivi du numéro attribué au livre). Cette classification reflétait bien souvent celle fournie par des ouvrages dédiés à cette question. Mais pour faciliter l’accès aux livres, une liste devenait indispensable au-delà d’un certain nombre.

Catalogues et inventaires

Les collections amassées au sein des grandes bibliothèques califales (Bagdad, Le Caire, Cordoue) dépassaient, aux dires des sources, l’entendement. Les chiffres relatifs au nombre de volumes conservés dans les armoires et rayonnages de chacune de ces bibliothèques confirment cette impression et donnent presque le vertige : quelque 400.000 volumes à Cordoue, 600.000 (ou même 1.600.000 selon certains) volumes au Caire. Si ces chiffres, plus proches de l’hyperbole que de la collation réaliste, n’ont d’autre but que de vanter les mérites et l’ambition des fondateurs de ces bibliothèques, ils contribuent aussi à véhiculer l’idée de collections incommensurables tant en quantité qu’enqualité. Il n’est pas inutile de souligner que parmi les centaines de milliers de manuscrits encore conservés de nos jours, rares sont ceux qui ont un jour fait partie de ces collections. Ainsi, aucun livre ne nous est parvenudes bibliothèques califales de Bagdad et de Cordoue. Seuls cinq volumes ont été identifiés à ce jour comme ayant appartenu à une des bibliothèques fatimides du Caire. L’un d’entre eux (voir ill. 5) conserve encore la marque qui atteste qu’il devint la propriété du vizir al-Afdal (m. 1112) qui l’intégra à sa collection de livres : cette marque fut ajoutée par une personne qui affirme l’avoir réceptionné à cet effet. Cette personne donne son nom,ʿAlî ibn Ibrâhîm, et se désigne comme le bibliothécaire personnel du vizir (al-Khâzin al-Afdalī). Plusieurs années après la mort du vizir, le livre rejoignit la collection du calife al-Fâ’iz (r. 1154-1160) (voir ill. 6).

Ms. Laleli 1728 (Istanbul, SüleymaniyeKütüphanesi), fol. 1r°

Ill. 5 :Ms. Laleli 1728 (Istanbul, SüleymaniyeKütüphanesi), fol. 1r°

Laleli 1728 (Istanbul, SüleymaniyeKütüphanesi), fol. 1r°

Ill. 6 :Ms. Laleli 1728 (Istanbul, SüleymaniyeKütüphanesi), fol. 1r°

Quel qu’ait été le nombre réel de volumes conservés par ces bibliothèques, leurs collections devaient être, d’une manière ou d’une autre, cataloguées ou plutôt inventoriées, car une bibliothèque sans inventaire perd, sinon de son âme, en tout cas de son utilité. La mémoire des bibliothécaires pouvait évidemment combler ce manque : le personnel était à même de localiser, en peu de temps, n’importe quel livre qui lui était demandé grâce à la mémoire visuelle et à l’organisation matérielle de la bibliothèque où les livres devaient être rangés par matières et par formats dans les armoires. Cette mémoire n’en restait pas moins passagère, si bien que la liste devint l’outil indispensable de toute bibliothèque qui se respectait. Les témoignages à ce sujet, à tout le moins pour la période qui précède le XIIIe s., restent fragmentaires et uniquement limités à ce que nous en disent les sources narratives. Certains auteurs font, par exemple, état de l’existence d’un catalogue en quarante-quatre volumes, chacun de 24 feuillets, pour la bibliothèque de Cordoue au début du XIe s., où seuls les titres des ouvrages et les noms des auteurs étaient renseignés. Aucun détail n’est toutefois fourni sur le mode d’organisation interne du catalogue en question.Les bibliothèques privées, notamment de savants, pouvaient dépasser le millier de titres. Dans ces cas également, un catalogue pouvait se révéler nécessaire, comme en témoigne l’exemple du savant chiite de Bagdad Ibn Tāwūs (m. 1266) : si le titre du catalogue qu’il dressa de sa propre bibliothèque en est connu, aucune copie n’en a malheureusement été conservée [Kohlberg 1992].

Combien de catalogues de bibliothèques nous sont-ils parvenus ? Un récent décompte a permis d’identifier vingt-cinq catalogues manuscrits couvrant toute la période allant jusqu’au XIXe s. Seuls deux d’entre eux sont antérieurs à l’époque ottomane (c’est-à-dire antérieurs au XVIe s.) et appartiennent tous deux au XIIIe s. [Al-Jūmānī 2009]. Ce décompte montre combien l’historien des bibliothèques en Islam est démuni pour étudier le phénomène du catalogage avant la période moderne.

Un exemple (en fait, un hapax) permet de se faire une idée du système qui pouvait être développé par le bibliothécaire d’une institution pour dresser un catalogue des livres que celle-ci contenait. Lorsqu’il mourut à Damas en 1237, le neveu de Saladin, al-Malik al-Ashraf, décida de placer sa bibliothèque, riche de plus de 2.000 titres rassemblés au cours de plusieurs années, dans son mausolée au bénéfice du public. Il fallut attendre presque un demi-siècle pour que le bibliothécaire en charge de la collection (Ahmad al-Ansârî, m. 1284) en dressât un catalogue qui nous est parvenu, bien que dans un état lacunaire puisqu’il ne recense que 1.707 titres. Pour dresser ce catalogue, al-Ansârî semble avoir développé son propre système qui devait refléter en partie le classement des livres dans l’édifice qui les conservait, un classement sur trois niveaux : d’abord alphabétique, puis à l’intérieur de chaque lettre, par matière, et enfin par taille. Le classement en fonction des dimensions du livre dans les armoires ou les niches permettait de gagner de l’espace dans un édifice, un mausolée, dont la taille intérieure restait limitée [Hirschler 2016]. Ce catalogue, unique en son genre, montre aussi l’esprit d’initiative de ce bibliothécaire qui avait grandi dans un contexte juridique, puisque son père était juge et qu’il aspirait lui-même à une position similaire. Le lien avec le droit est en fait plus pertinent qu’il n’y paraît.

Depuis l’institution du waqf et son application aux biens meubles, dont les livres faisaient partie, les collections léguées selon ce principe à une institution quelle qu’elle soit devaient être détaillées dans le document juridique rédigé à cet effet et validé par des témoins. Pour éviter toute spoliation du contenu légué, tous les biens devaient être décrits le plus minutieusement possible. Dans le cas d’une bibliothèque, outre les dispositions prises pour son maintien, telles que le salaire des employés, le financement des fournitures liées à l’entretien (reliures, mobilier) et l’usage (papier, encre, éclairage), la liste des livres devait être fournie. Cette liste devait servir d’inventaire qui pouvait se révéler indispensable en cas de récolement, la fonction principale de l’inventaire étant en effet de vérifier si celui-ci était conforme à la réalité physique qu’il était censé décrire. La mention du titre était la plus fréquente et était parfois accompagnée du nom de l’auteur s’il était connu, du nombre de volumes, du format, et parfois d’une description de l’écriture. Parallèlement à cette liste descriptive insérée dans le document officiel de fondation du bien de mainmorte ou annexée à celui-ci, un moyen de certification était ajouté aux livres mêmes : un inscription portée à l’endroit le plus sensible, la page de titre qui permet l’identification de l’ouvrage et contient, sur le verso, le début du texte, et dont la disparition ne pouvait que susciter la suspicion dans le chef d’un vendeur potentiel, attestait de l’appartenance du livre à l’institution légataire. Cette inscription descriptive pouvait être accompagnée de la répétition du mot waqf en tête de plusieurs pages, rendant ainsi plus difficile tout vol. L’exemple qui suit (voir ill. 7) constitue un bon exemple de ce genre de note réalisée à l’époque mamelouke en Égypte (ici fin du XIVe s.). Elle se termine par une formule en forme d’imprécation tirée du Coran qui s’applique à merveille à la situation :

Texte attestant de la constitution en bien de mainmorte d'un volume au profit de la bibliothèque annexée à la madrasa de Jamâlal-DînMaḥmûd au Caire en 1395 (Istanbul, SüleymaniyeKütüphanesi, ms. Ayasofya 3517, fol. 1r°)

Ill. 7 : Texte attestant de la constitution en bien de mainmorte d’un volume au profit de la bibliothèque annexée à la madrasa de Jamâlal-DînMaḥmûd au Caire en 1395 (Istanbul, SüleymaniyeKütüphanesi, ms. Ayasofya 3517, fol. 1r°)

« Louange à Dieu, digne de louanges. La noble et éminente Excellence, Jamâlal-DînMaḥmûd, majordome en chef d’al-Malik al-Ẓâhir [Barqûq] – que Dieu Très-Haut renforce ses soutiens – a légué en bien de mainmorte et a affecté et consacré à un usage pieux la totalité de ce volume ainsi que des autres qui le précèdent et le suivent du livre Nihâyat al-arab fî funûn al-adab d’al-Bakrî al-Nuwayrî, dont le total est de trente volumes. Il s’agit d’un legs légal au bénéfice de ceux qui sont à la recherche de la noble science afin qu’ils en tirent profit en toute légalité. Il les a déposés dans la propice bibliothèque (khizâna) destinée à cet usage dans sa madrasa qu’il a fondée dans le quartier des fabricants de balances dans la rue principale du Caire protégé. Le susmentionné testateur a posé comme condition que celui-ci ou quelque partie de celui-ci ne puisse être sorti de ladite madrasa, que ce soit contre un gage ou quelqu’autre moyen. « Le péché de celui qui altère le testament après l’avoir entendu ne sera imputé qu’à ceux qui l’auront altéré. Dieu, certes, entend et sait tout » [Sourate La Vache (2), verset 181]. À la date du 25 Shaʿbân de l’an sept cent quatre-vingt-dix-sept [15 juin 1395]. Attesté par ʿAbdallâh ibn ʿAlî al-Shuwaykhî [secrétaire] et ʿUmar ibn ʿAbd al-Rahmân al-Birmâwî. »

Malgré ces précautions, les larcins restaient monnaie courante et les principaux suspects étaient les personnes en charge de la collection, celles-là mêmes qui étaient les plus au fait de la valeur des livres. Un cas emblématique de cette problématique nous est fourni par la collection de livres donnée par un émir mamelouk, Mahmûd al-Ustâdâr (m. 1397), au profit de sa madrasa en 1395. Pour ce faire, Mahmûd al-Ustâdâr avait acquis la bibliothèque du savant Ibn Jamâʿa (m. 1388), composée de près de 4.000 volumes et réputée pour la rareté de ses exemplaires essentiellement autographes, et avait prévu qu’aucun livre ne pouvait sortir de l’institution. Près de trente ans plus tard, on s’aperçut que 10% de la collection manquait déjà à l’appel. L’inventaire dressé au moment de l’établissement du waqf se révéla bien utile à cette occasion. Le bibliothécaire de l’époque fut démis de ses fonctions et obligé de dédommager financièrement l’institution [Behrens-Abouseif 2019]. Le savant qui prit sa place, Ibn Hajar (m. 1449), ne ménagea pas son temps pour rédiger deux catalogues (fihrist) : un catalogue dressé par titres (asmâ’ al-tasânîf) et un autre par matières (al-funûn), sans que plus de détails ne soient fournis sur l’organisation interne, même s’il est légitime de supposer, dans le premier cas, un classement alphabétique. Tout ceci prouve qu’à l’exception de l’inventaire du waqf, un catalogue de la bibliothèque n’existait pas à cette époque. La motivation pour la rédaction de ces catalogues semble surtout avoir été personnelle puisqu’Ibn Hajar s’y rendait un jour par semaine pour tirer profit des livres pour ses propres travaux. Le récolement lui permit toutefois de récupérer certains des livres qui avaient été perdus [al-Sakhâwî, al-Jawāhirwa-l-durar, vol. 2, p. 609-610].

Faut-il donc voir dans ces catalogues autre chose qu’un simple inventaire, comme on s’y attendrait pour l’établissement du waqf  ? Tout semble l’indiquer. Les catalogues plus analytiques, comme celui de la bibliothèque Ashrafiyya à Damas, la bibliothèque Maḥmūdiyya au Caire, ou celle d’Ibn Tâwûs à Bagdad procèdent tous d’un même besoin : permettre au savant, responsable d’une bibliothèque publique ou de sa bibliothèque privée, de mettre un peu d’ordre dans une collection qui finit par dépasser les capacités de la mémoire. Ces trois exemples montrent qu’il s’agit avant tout d’objets à usage personnel, qui sont quand même appelés à rendre service au plus grand nombre en cas de besoin. Nul étonnement que ces catalogues n’aient pas été conservés et, lorsqu’ils le furent, comme dans le cas unique de celui de l’Ashrafiyya, qu’il s’agisse du fruit du hasard : le catalogue figure en effet à l’intérieur d’un recueil compilé par al-Ansârî et composé d’extraits d’œuvres diverses résultant de ses propres lectures. Le format de ce volume est aussi celui du calepin (safîna), qui permet de le transporter facilement en poche [Dufour et Regourd 2020]. Ce catalogue n’était donc pas destiné à rester dans la bibliothèque après son éventuel remplacement.

On comprend mieux pourquoi parmi les vingt-cinq catalogues identifiés et datables de la période qui précède le XXe s., seul celui de l’Ashrafiyya peut être considéré comme tel et combien sa conservation fut fortuite. Tous les autres sont en fait des inventaires établis pour un autre usage : dresser la liste du contenu pour satisfaire une question de droit liée à la fondation du waqf. Le plus ancien exemple d’inventaire conservé est aussi daté du XIIIe s. (1294 pour être précis). Il s’agit du registre des manuscrits conservés dans une annexe de la Grande Mosquée de Kairouan. Ce registre n’est pas original : il s’agit d’une mise à jour d’un registre qui fut établi à un autre moment qui ne semble pas non plus être celui de la fondation et qui pourrait avoir été rendu indispensable après l’invasion des BanūHilāl, vers 1135 [Déroche 2010]. En 1294, le besoin se fit sentir de procéder à un nouveau récolement des manuscrits avec le registre de 1135, qui était encore disponible, et auquel il est fréquemment fait référence pour indiquer les lacunes constatées. Dans ce registre, les descriptions se suivent les unes à la suite des autres sans autre séparation pour distinguer visuellement les notices que l’allongement du premier mot. Le but de ce registre n’est donc pas de servir de catalogue mais bien d’inventaire à finalité juridique en cas d’expertise. La collection était composée, pour deux-tiers, de manuscrits du Coran remontant aux premiers siècles de l’Islam, le total des livres mentionnés étant de 125 dans l’état actuel de conservation du registre (il devait initialement en compter entre 145 et 150). Pour ce faire, l’auteur fournit des détails sur le nombre de volumes, le format, l’écriture, le support (parchemin ou papier), le nombre de lignes, les enluminures, les encres de couleurs utilisées pour marquer les signes orthoépiques, la reliure, et enfin, le cas échéant, le coffre dans lequel le manuscrit était conservé. Ces critères descriptifs ne sont pas appliqués uniformément mais ils confirment le besoin de fournir le plus de détails possibles pour permettre une identification facile de cet ensemble essentiellement composé de copies du texte coranique, plus faciles donc à substituer avec d’autres exemplaires.

À partir du XVIe s., les documents conservés sont exclusivement des inventaires liés aux waqfs et concernent en majorité l’aire ottomane, les autres aires géographiques n’ayant pas fait l’objet d’études aussi fouillées. Tous ces inventaires offrent des détails intéressants sur le contenu des bibliothèques ainsi léguées ainsi que sur les aspects matériels devant garantir l’utilisation et le maintien de la collection à travers le temps, mais ils restent peu utiles pour comprendre l’organisation des livres en leur sein [Erünsal 1987 ; id. 2008b ; id. 2015].

La récente publication de l’inventaire de la bibliothèque du palais de Topkapı à Istanbul, fondée par le conquérant Mehmed II (r. 1444-1446, 1451-1481) et enrichie par son successeur et fils Bayezid II (r. 1481-1512), un des plus anciens témoins d’époque ottomane, démontre tout l’intérêt de s’intéresser à des témoins de ce genre. Dressé en 1502-3, mis au net l’année suivante par le bibliothécaire à la demande du sultan, cet inventaire (defter-i kütüb, registre de livres) n’avait d’autre but que de détailler les livres qui faisaient partie du trésor impérial, au même titre que d’autres biens qui étaient eux répertoriés dans d’autres registres du même genre. Les ouvrages y sont détaillés selon la classification traditionnelle qui donne la priorité au texte coranique, puis à son exégèse, à la tradition du Prophète, les fondements de la foi, etc., pour se clore avec la philosophie et les textes sacrés des religions juive et chrétienne en traduction. Distribués entre différentes bibliothèques d’Istanbul par la suite, plusieurs manuscrits quittèrent l’Empire ottoman pour rejoindre des collections européennes [Necipoğlu et al. 2019].

Une approche novatrice de certains catalogues/inventaires de la fin de l’époque ottomane (XVIIIe/XIXe s.) est celle qui consiste à les considérer comme des listes poétiques [selon l’interprétation développée par Umberto Eco] qui, au même titre que toute œuvre littéraire, ont des auteurs (ceux qui les compilent) et des lecteurs (ceux qui les utilisent). Ils permettent aussi d’engager un dialogue avec l’espace physique de la bibliothèque, la matérialité des livres, et l’épistémologie [Gianni 2017].

 Accroissement et décroissement des collections

Pour subsister, une bibliothèque ne doit pas nécessairement voir sa collection de livres croître au fil du temps, loin s’en faut. Cette collection ne doit pas être quantitativement importante non plus. Il est en revanche essentiel qu’elle ne perde pas les livres qui ont été confiés à sa garde, quel que soit le moyen. Il n’en reste pas moins que nombre de bibliothèques accrurent la quantité de livres conservés en mettant en place diverses stratégies.

Au-delà de la collection initiale

La stratégie la plus efficace pour enrichir les collections a de tout temps été le bien de mainmorte (waqf). Des savants ou des bibliophiles ont toujours été animé par le souci d’éviter la dispersion du fruit de plusieurs années de travail intellectuel personnel et de recherches pour rassembler les livres tant convoités, privilégiant ainsi l’intérêt commun au gain financier que pouvait générer la vente de leur collection. Des savants pouvaient aussi veiller à la diffusion de leur œuvre en réalisant une copie qu’il léguait à une bibliothèque spécifique, parfois située dans une région lointaine, comme le fit Ibn Khaldûn (m. 1408), alors installé au Caire, au profit de la bibliothèque Qarawiyyîn de Fès. L’exemple du médecin de confession juive plus tard converti à l’Islam Rashîdal-Dîn (m. 1318), qui occupa la fonction de vizir pour deux des plus grands souverains ilkhanides de Perse, est significatif à cet égard. Entre autres ouvrages, Rashîdal-Dîn composa une histoire universelle faisant la part belle aux Mongols, retraçant leur histoire depuis le conquérant Gengis Khan. Rashîdal-Dîn créa dans la capitale, Tabriz, une fondation très richement pourvue, le Rabʿ-iRashîdî, dont un des buts était de garantir la copie et la diffusion, entre autres, de ses propres écrits qui devaient ensuite être envoyés dans différentes bibliothèques à travers tout le territoire, garantissant ainsi leur publication [Ben Azzouna 2014 ; Blair 2017].

Des fondateurs de bibliothèques, en général des hommes de pouvoir, exprimaient parfois le désir d’obtenir la copie d’un ouvrage composé par un savant devenu célèbre et encore vivant. Lorsque le souverain timouride Shâh Rukh (r. 1405-1447) adressa une ambassade au sultan mamelouk du Caire en 1430, il chargea ses émissaires de demander une copie de deux ouvrages bien spécifiques que leurs auteurs, Ibn Ḥajar (m. 1449) et al-Maqrîzî (m. 1442), n’avaient pourtant pas encore terminés. Le remplacement d’une dynastie par une autre va parfois de pair avec l’anéantissement du résultat du mécénat de celle qui l’a précédée, mais ce n’est pas systématique, certains potentats se révélant plus attentifs à leur image de souverain protecteur des arts et de la culture. La bibliothèque Qarawiyyîn de Fès, fondée par le mérinide Abû ʿInân en 1349, bénéficiera ainsi des dons faits en sa faveur par plusieurs membres de la dynastie des Wattâsides [Benjelloun-Laroui 1990, p. 139].

Pour embellir la bibliothèque des souverains, un phénomène intéressant apparaît à l’époque mamelouke en Égypte à la fin du XVe s. Au cours de leur formation militaire et de leur éducation religieuse, ces esclaves militaires (mamelouks) étaient amenés à pratiquer la calligraphie. Les plus doués d’entre eux produisaient des copies richement enluminées à destination du sultan, leur maître, dont la bibliothèque s’enrichissait grâce à ces dons (khidma) qui n’étaient pas si désintéressés [Flemming 1977]. Plusieurs centaines de ces copies ont été conservées : elles sont aisément identifiables par leur style assez uniforme et par la dédicace au sultan qui clôt le colophon (voir ill. 8). Le même phénomène s’observe, bien qu’à une moindre échelle, dans le monde ottoman vers la même époque.

Colophon d'un manuscrit copié par JânTamur min Arikmâs, membre de la caserne des Zimâmiyya, pour la bibliothèque du sultan mamelouke Qânsawh al-Ghawrî (Istanbul, SüleymaniyeKütüphanesi, ms. Ayasofya 3144)

Ill. 8 : Colophon d’un manuscrit copié par JânTamur min Arikmâs, membre de la caserne des Zimâmiyya, pour la bibliothèque du sultan mamelouke Qânsawh al-Ghawrî (Istanbul, SüleymaniyeKütüphanesi, ms. Ayasofya 3144).

Déficits volontaires ou involontaires

Les livres conservés dans les bibliothèques pouvaient constituer des objets à la fois dignes d’intérêt, attisant la convoitise pour leur valeur, et dangereux en raison de leur contenu. À travers l’histoire, les exemples de pillages, de spoliations, et de destructions ne manquent donc pas et ce pour de multiples raisons. Les périodes de disette, les révoltes et les conquêtes sont les événements qui se révèlent les plus préjudiciables pour les bibliothèques. Les autodafés ne doivent pas être négligés non plus. L’autodafé était appliqué vis-à-vis des écrits jugés peu orthodoxes par les autorités, comme dans le cas du célèbre philosophe Ibn Rushd, plus connu en Occident comme Averroès (m. 1198) dont les écrits furent brûlés. Dans ce cas emblématique,les Almohades firent fi des propos d’Ibn Ḥazm (m. 1064) : « Si vous brûlez le papier, vous ne brûlez pas la pensée à lui confiée, encore moins ce qui est dans mon cerveau » [Pérès 1953, p. 451]. Des actes individuels d’auteurs ne souhaitant laisser aucune trace de leurs écrits à la postérité sont aussi attestés.

Destructions

Les chroniques ne manquent pas de passages concernant les destructions de bibliothèques.

Les incendies restent un des plus grands périls pour les bibliothèques. Ceux-ci pouvaient être volontaires pour des raisons idéologiques. Ainsi, la bibliothèque créée en 993 par Sâbûr, ministre des émirs chiites bouyides, dans le quartier chiite d’al-Karkh à Bagdad, souffrit de sa localisation : les troupes du Seldjoukide ToughrilBeg qui envahirent la capitale en 1059 pillèrent ce quartier, provoquant des incendies qui eurent raison de la bibliothèque de Sâbûr [Eche 1967, p. 116-117]. La prudence reste cependant de mise face aux témoignages fournis par des sources qui ne sont pas toujours contemporaines des faits. Le mythe de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie par le calife ʿUmar (d. 644) en est un exemple frappant et il n’est plus guère que des esprits malintentionnés pour encore croire à cette fadaise. Le cas de la destruction de la bibliothèque des califes fatimides est tout aussi problématique. La tradition veut qu’après avoir mis fin à deux siècles de pouvoir chiite en Égypte, Saladin entreprit de supprimer les témoins tangibles de leur empreinte culturelle et intellectuelle en anéantissant les livres conservés dans leurs bibliothèques. Il est désormais établi que les sources traitant de l’époque fatimide et contemporaines de cette dynastie n’ont pas disparu du jour au lendemain après l’avènement au pouvoir de Saladin. Bien au contraire, certaines sources précisent également que des ventes, s’étendant sur plusieurs années, furent organisées et que de nombreux savants et membres du gouvernement de Saladin surent tirer profit de celles-ci pour se constituer de riches bibliothèques [Bora 2015]. Si éradication il y eu, ce fut plutôt des institutions qui soutenaient l’idéologie fatimide et non des livres qui leur appartenaient, fussent-ils en relation avec cette idéologie.

Les circonstances religieuses restent valables pour les conquêtes faites par des armées qui n’ont que peu de respect pour la religion de l’Autre. Les exactions commises par les troupes mongoles après la conquête par la force de Bagdad en 1258 eurent des conséquences désastreuses pour les bibliothèques qui eurent du mal à se remettre de cet épisode catastrophique. Dans le cas des Croisés, le cas de la bibliothèque deDâr al-ʿilm de Tripoli en 1109 peut être évoqué : le contenu de cette ancienne bibliothèque fut incendié au prétexte qu’elle ne contenait que des copies du Coran, ce qui se révéla faux [Eche 1967, p. 120]. Les incendies pouvaient aussi être accidentels à cause de l’éclairage à la bougie qui demeurait un danger presque trop commun, comme en 1776, lorsque ce qui restait de la bibliothèque de l’hôpital fondé par al-ManṣūrQalāwūn (m. 1291) partit en fumée [Eche 1967, p. 261]. Seuls quelques rares volumes purent être sauvés du désastre.

Emprunts, vols, pillages et spoliations

Toutes les sources insistent sur la nécessité de donner l’accès à la science, et donc aux livres, qu’il s’agisse des bibliothèques publiques ou privées. Lorsqu’il légua un exemplaire de ses ʿIbar à la bibliothèque Qarawiyyīn à Fès en 1396, Ibn Khaldūn (m. 1408) établit que l’ouvrage pourrait être emprunté à domicile

« par une personne digne de confiance et sûre, moyennant un gage solide destiné à garantir l’application de ces dispositions ; il ne restera pas chez l’emprunteur plus de deux mois, période qui constitue un délai suffisant pour la copie ou la consultation du livre emprunté ; ensuite il reviendra à sa place » [Lévi-Provençal 1923, p. 166].

Des sept volumes originellement légués, deux seulement sont encore conservés dans cette même institution. L’emprunt est encouragé à condition qu’il ne contrevienne pas aux conditions du waqf et les bibliophiles sont invités à ne pas garder à leur usage exclusif les livres qui peuvent être utiles aux savants [Sayyid 1958 ; Eche 1967, p. 383-391]. Bien que les règles liées au waqf puissent être strictes, on constate qu’elles étaient rarement respectées à la lettre sur la longue durée. Le bibliothécaire responsable du fonds pouvait être soudoyé ou il pouvait assouplir les conditions s’il connaissait la personne qui lui faisait une demande spéciale. Cet assouplissement des règles fut une source indéniable du déficit des collections, car les livres ainsi prêtés n’étaient pas toujours restitués. Plusieurs cas de bibliothécaires indélicats, poussés par la nécessité ou l’appât du gain à vendre certains livres dont ils avaient la charge, sont aussi documentés.

Les emprunts non retournés et les ventes sous le manteau constituaient une perte non négligeable mais en rien comparable à celle qui pouvait être causée par les pillages et les spoliations. Les périodes de disette, récurrentes dans un pays comme l’Égypte qui dépendait du bon vouloir de la crue du Nil pour garantir une récolte abondante, pouvaient pousser les membres du gouvernement et de l’armée à se servir dans les richesses conservées dans les palais et les bibliothèques pour compenser leur manque à gagner. Pendant la période des famines à répétition qui frappèrent l’Égypte sous le règne d’al-Mustansir (r. 1035-1094), les membres de l’armée spolièrent plusieurs milliers de livres de la bibliothèque du calife en compensation de leurs soldes restées impayées [Wiet 1962, p. 9]. Ce fut à nouveau une famine qui eut raison de la bibliothèque léguée par le juge al-Fâdil (m. 1200) au profit de la madrasa fondée sous le règne de Saladin. Al-Fâdil avait créé cette bibliothèque en s’appropriant, disent les sources, quelque 100.000 volumes de la bibliothèque du dernier calife fatimide. Un siècle après sa mort, en 1295, les étudiants de cette madrasa se mirent à vendre le riche contenu de cette bibliothèque pour se sustenter, si bien qu’un siècle plus tard il ne restait plus de celle-ci que le souvenir [Wiet 1962, p. 10].

Les conquêtes par un autre pouvoir musulman pouvaient se révéler moins catastrophique en apparence. Comme tout bien de valeur, les livres étaient susceptibles d’être appropriés par les nouveaux conquérants, un moindre mal puisque les livres changeaient en fait de main. Cette spoliation avait toutefois des conséquences funestes pour les institutions qui les avaient accueillis jusque-là puisqu’elles étaient dépouillées de leurs plus précieux biens et qu’elles perdaient ainsi de leur intérêt, sans parler du fait que l’histoire des livres s’en trouvait ainsi chamboulée. Lorsque les Ottomans s’emparèrent de l’Égypte en 1517, ils se comportèrent en conquérants et se livrèrent à un pillage autant d’éléments architecturaux (notamment les marbres qui ornaient de nombreux édifices du Caire) que d’objets. Les bibliothèques du Caire, renommées à cette époque pour la qualité de leurs collections, n’échappèrent pas à la rapine, comme Ibn Iyâs (m. 1522), historien de l’époque en a témoigné :

« Puis les vizirs se mirent à s’emparer des livres précieux qui se trouvaient dans les madrasas de Mahmûd al-Ustâdâr, d’al-Muʾayyad Shaykh et de Sarghatmish, et bien d’autres qui conservaient aussi des livres précieux. Ils les transportèrent chez eux et mirent la main dessus sans distinguer l’illicite du licite en cette matière. » [Ibn Iyâs, Badâʾiʿ al-zuhûr, vol. 5, p. 179]

La conquête de la capitale millénaire représentait pour les Ottomans une aubaine de s’approprier son histoire pour mieux l’implanter à Istanbul où de nombreuses bibliothèques furent créées par les sultans sur le modèle égyptien et syrien. Pour les enrichir, les sultans et les plus hauts représentants de leur gouvernement n’hésitèrent pas à acquérir, parfois de manière autoritaire et frauduleuse, des milliers de manuscrits qui ne pouvaient normalement pas être saisis en vertu de leur statut de bien de mainmorte.

À partir du XIXe s., ce sont des nations européennes qui se livrèrent à des pillages et des spoliations dans le sillage des conquêtes coloniales. La prise de Constantine par l’armée française en 1837 se solda par des pillages qui concernèrent les riches bibliothèques de la ville. Plusieurs manuscrits affluèrent dans les collections de la bibliothèque d’Alger, mais d’autres finirent en France [Ageron 2009]. Des bibliothèques privées, comme celle des BanûLafgûn, famille bien en vue dans la ville algérienne en raison de son statut intellectuel et économique (la famille avait hérité de la charge de responsable de la caravane du pèlerinage), furent épargnées mais finirent par être démantelées dans les décennies qui suivirent [Touati 1994]. Vingt ans plus tard, on assista à un phénomène identique en Inde au moment des événements que l’historiographie anglaise a qualifié de mutinerie (IndianMutiny), l’historiographie indienne optant pour une vision plus indépendantiste (« première révolte pour l’indépendance de l’Inde »). La bibliothèque des Nawabs d’Awadh à Lucknow ainsi que celle des empereurs moghols à Delhi furent la proie du vandalisme [MorgensteinFuerst 2017]. Des milliers de manuscrits furent saisis par les troupes anglaises, certains étant « sauvés » par des officiers de l’East IndiaCompany qui les rapportèrent en Angleterre dans les années suivantes où nombre d’entre eux furent dispersés par les célèbres maisons de vente publique londoniennes, d’où ils passèrent dans les collections publiques selon des itinéraires variables (India Office, British Library, John Rylands Library).

Disjecta membra : Un phénomène comparable aux guenizot de la tradition juive

Toute bibliothèque à l’époque prémoderne devait faire face, à un moment ou à un autre de son existence, au destin réservé aux livres qui avaient perdu de leur utilité parce qu’ils étaient devenus illisibles ou avaient été irrémédiablement endommagés. Les solutions à adopter pouvaient varier selon les régions et les époques, mais on constate une certaine constante dans le traitement de cette catégorie de livres en Islam dont on dirait de nos jours qu’ils étaient destinés au pilon.

Il est bien établi dans la tradition juive que les écrits portant le nom de Dieu recevaient un traitement particulier par respect au nom divin. Ainsi les vieux rouleaux de la Torah devenus illisibles et tout manuscrit ou document ayant perdu de son utilité pouvant contenir le nom divin étaient relégués dans des espaces dans l’attente d’un enfouissement, seul moyen autorisé pour se défaire de ceux-ci. L’entrepôt (en général une annexe dans la synagogue) destiné à recueillir les écrits dans l’attente d’une cérémonie ad hoc était connu sous le nom de gueniza (cache, dépôt). Dans certains cas, il s’avère que de tels dépôts finissaient par être scellés et leur existence oubliée jusqu’à leur découverte fortuite, parfois à plusieurs siècles de distance. Si plusieurs méthodes étaient autorisées en Islam pour se défaire des écrits portant le nom d’Allâh selon la nature de l’écrit et les avis divergents des juristes en fonction des périodes et des régions (effacement au moyen de l’eau pour le parchemin, destruction par le feu, réemploi sous diverses formes comme, par exemple, pour la reliure, production de papier recyclé), c’est surtout celle de l’ensevelissement qui était préférée, particulièrement pour les anciennes copies du Coran [Sadan 1986].

Deux dépôts, similaires par leur nature à la Gueniza retrouvée à la fin du XIXe s. dans la synagogue du Caire, ont été découverts dans un contexte musulman. Le premier fut la Qubbat al-Khazna à la Grande Mosquée des Omeyyades à Damas, dépôt identifié à la toute fin du XIXe s. et qui se caractérise par la variété des matériaux qui y étaient conservés (fragments de textes en grec et latin notamment, fragments du Coran, documents juridiques, certificats de pèlerinage et autres) [Sourdel-Thomine et Sourdel 1964 et 1965 ; d’Ottoneet Radiciotti2008]. Le second est le fruit d’une découverte fortuite faite à la Grande Mosquée de Sanaa en deux étapes au milieu des années soixante, puis au début des années soixante-dix du siècle dernier, qui a porté à l’exhumation de plusieurs dizaines de milliers de fragments de manuscrits du Coran [MaṣāḥifṢanʿāʾ 1985]. La prudence reste toutefois de mise pour identifier de tels dépôts comme étant les équivalents de guenizot. Ainsi, les manuscrits redécouverts à Kairouan, bien que décrits comme étant le résultat d’un processus similaire à une gueniza [Sadan 1986], ne sont en rien comparables aux deux exemples rapportés ci-dessus [Muranyi 2015].

 Reconstructions virtuelles

Les bibliothèques privées, de savants en particulier, échappent pour une bonne part à notre connaissance. Certaines sources font bien entendu état de la richesse de certaines de ces bibliothèques, allant jusqu’à détailler les artifices mis en œuvre par leur propriétaire pour accroître leur collection, mais elles ne détaillent que rarement leur contenu, se limitant à relever la présence de tel ou tel exemplaire de grande rareté. Reste-t-il un espoir de pouvoir reconstruire ce genre de bibliothèque ? L’exercice peut en tout cas être tenté si les matériaux sont suffisants. Ces matériaux sont, entre autres, les indications intertextuelles laissées par un auteur au travers de son œuvre. Si le principe de la citation est recommandé par les auteurs, il n’est toutefois pas appliqué généralement. Lorsque le principe est appliqué avec un luxe de détails, il devient alors envisageable de rassembler les données comme l’a fait Etan Kohlberg avec le savant chiite de Bagdad, Ibn Tâwûs (m. 1266). Selon un témoignage postérieur, sa bibliothèque comptait au moins 1.500 titres.Le catalogue de la bibliothèque, rédigé par le savant lui-même, n’a pas été conservé, mais en rassemblant les citations faites par Ibn Tâwûs dans ses œuvres où il mentionne explicitement qu’il possédait un exemplaire (parfois plusieurs) de l’ouvrage cité, Kohlberg est parvenu à reconstruire une partie de sa bibliothèque (669 titres représentant un peu moins de la moitié de la collection originelle) [Kohlberg 1992]. Une telle reconstitution reste exceptionnelle : Ibn Tâwûs était animé par une probité intellectuelle rarement rencontrée chez d’autres savants (pour un autre exemple presque contemporain, voir Bauden 2001) et son souci du détail, qui le poussa jusqu’à indiquer pour certaines sources le format du volume et son âge approximatif, reste assez unique.

Le récent regain d’intérêt pour les marques paratextuelles, en particulier l’ex-libris, laisse entrevoir la possibilité de reconstruire virtuellement les bibliothèques, essentiellement de savants et collectionneurs et, dans une moindre mesure, de certains souverains. L’ex-libris, dont les plus anciennes attestations remontent au Xe s., était exclusivement manuscrit – il faut attendre le XXe s. pour voir apparaître des ex-libris imprimés sur le modèle européen. Dans la plupart des cas, il est de la main du propriétaire et, par conséquent, autographe. Bien que certains cas de fraude soient recensés, ceux-ci restent rares et à chaque fois motivés par le désir d’un propriétaire postérieur de donner plus de valeur à un de ses livres pour en faire monter le prix de vente (voir ill. 9). Se limitant à quelques mots, l’ex-libris attestait de la possession du livre au moyen d’expressions qui devinrent stéréotypées et auxquelles seuls les propriétaires les plus lettrés ajoutaient parfois leur touche personnelle. Quoi qu’il en soit, ces formes stéréotypées se contentent de préciser que le propriétaire est entré en possession du livre (en fait c’est le point de vue du livre qui est souvent considéré : c’est le livre qui devient la propriété de telle personne). Les parties récurrentes dans ces ex-libris sont le nom du propriétaire, la date, le lieu et le prix d’acquisition, plus rarement le nom du vendeur ou de l’ancien propriétaire.

Ex-libris douteux (sur base paléographique) d'Ibn Sînâ (Avicenne) (m. 1037) (Paris, BnF, ms. ar. 2859)

Ill. 9 : Ex-libris douteux (sur base paléographique) d’Ibn Sînâ (Avicenne) (m. 1037) (Paris, BnF, ms. ar. 2859)

L’ex-libris continua d’être utilisé parallèlement avec l’empreinte de sceau qui fit son apparition sur les livres avec l’arrivée des Mongols, même sison utilisation pour marquer la possession ne se répandit qu’à partir du XVIe s. dans l’ensemble du monde musulman. Comme pour l’ex-libris, l’inscription imprimée par le sceau contient des mots typiques marquant la possession accompagnés du nom du propriétaire ainsi que d’une formule religieuse. Par sa taille limitée, le sceau permet néanmoins de fournir moins de détails sur les circonstances de l’achat et les empreintes sont rarement complétées par des notes manuscrites à cet effet. L’impression du sceau peut aussi laisser à désirer si bien que le contenu du texte reste difficile à déchiffrer. Par conséquent, leur utilité pour reconstruire les bibliothèques peut se révéler plus limitée.

À côté de ces marques, il faut encore évoquer les inscriptions dédicatoires ajoutées essentiellement aux pages de titre au moment de la production du livre ou à postériori. Ces dédicaces concernent évidemment avant tout des mécènes de haut rang appartenant à différents niveaux de l’appareil d’État (califes, sultans, chefs militaires, fonctionnaires, …). Ces marques se différencient des ex-libris et des empreintes de sceaux en ceci qu’elles fournissent le nom du bienfaiteur au profit duquel le livre est produit – qu’il soit offert ou acheté par ce dernier – en précisant presque systématiquement que c’est au bénéfice de sa bibliothèque (khizāna). Leur localisation la plus fréquente en page de titre, bien en évidence, leur confère aussi une solennité exprimée par la qualité de leur exécution.

Grâce à des marques de possession de diverses natures, il devient possible non seulement de reconstruire virtuellement des bibliothèques publiques ou privées en étudiant l’actuelle répartition géographique des livres à travers le monde, y compris les itinéraires suivis par ces derniers avant de rejoindre leur localisation actuelle, mais aussi et surtout de s’intéresser aux goûts littéraires des propriétaires dans le cas des savants et des stratégies d’acquisition pour les bibliophiles. Évoquant cette perspective de recherche, mais uniquement à partir des catalogues, Eche avait compris bien avant la lettre tout l’intérêt de cette démarche :

« Y a-t-il quelques principes généraux applicables au choix des sciences respectives constituant la bibliothèque d’un savant ? Il serait intéressant, si la réponse était affirmative, de déduire ces principes ; car ils sont très utiles pour apprécier, dans une certaine mesure, le développement du fonds des bibliothèques publiques au moyen du waqf des savants. Le problème peut se poser de la façon suivante : étant donné qu’il s’agit de tel savant, peut-on en analysant ses tendances arriver à caractériser sous ce rapport les éléments constitutifs et caractéristiques de sa bibliothèque ? Autrement dit, il faut découvrir les facteurs prédominants qui agissent consciemment ou non sur l’esprit du savant à travers la constitution de sa bibliothèque. » [Eche 1967, p. 285-286]

La question demeure de savoir si toute reconstruction virtuelle d’une bibliothèque, quelle qu’elle soit, basée sur les indices fournis par un auteur au hasard de ses citations et/ou sur ses ex-libris ou empreintes de sceaux, restitue avec validité et fiabilité le contenu originel de celle-ci [Bénévent 2019].

FREDERIC BAUDEN

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Pour citer :
Frédéric Bauden, « Bibliothèques en Islam », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2020, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Bibliotheques-en-Islam