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Falsafa

Ses aspects humanistes

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Lorsque [le nouvel empire arabo-musulman s’est étendu, à partir du VIIe siècle, sur l’ensemble des populations du Moyen-Orient, parmi celles-ci les personnes cultivées – notamment les religieux – disposaient d’un bagage intellectuel qui intégrait une partie de la pensée grecque. Ceux qui se sont convertis à l’islam ont conservé ce bagage, tandis que les monastères chrétiens préservaient les traductions déjà faites en syriaque. Aussi, dès les premières productions intellectuelles du VIIIe siècle, y trouve-t-on des éléments issus de cet héritage. Mais le cadre de la réflexion est religieux. Les chrétiens ont assimilé depuis longtemps les concepts logiques qu’ils utilisent pour leur apologétique. Les musulmans, pour leur part, affrontent l’accusation d’irrationalité portée contre le Coran ; par suite, non seulement ils s’efforcent de reprendre cet appareil logique dans leur polémique mais ils étendent leurs emprunts à des domaines les plus divers (psychologie, morale, physique, etc.) pour rendre compte des passages controversés du Coran. Dans tous les cas le matériau d’origine grecque reste subordonné au cadre religieux de la pensée.

Les choses changent avec l’apparition d’une discipline qui privilégie ce matériau en lui-même. Elle se développe en même temps – et sans doute en interaction avec – qu’un processus poussé de traduction en arabe de textes scientifiques et philosophiques grecs. La philosophie est en effet conçue comme le couronnement des sciences et celui à qui on attribue l’apparition de cette nouvelle discipline, le musulman arabe Abû Yûsuf al-Kindî (vers 185 H./801 p.C. – v. 252/866), est essentiellement un scientifique. Or, le monde arabe n’a de tradition propre que dans le domaine littéraire et, pour le domaine scientifique, dépend entièrement de l’Antiquité hellénistique. Le changement de perspective est conscient, comme le prouve l’adoption, à côté du mot traditionnel de Hikma (sagesse), du nom de falsafa, arabisation du grec Philosophia. De même l’acteur, le philosophos devient le faylasûf, terme qui, lui, est soumis à une arabisation plus profonde par l’imposition d’un pluriel interne : falâsifa. Il n’y a pas de rupture avec la perspective religieuse du point de vue de la problématique, mais bouleversement de la méthodologie en ce que le rapport de subordination entre le cadre et le matériau est inversé. On peut définir la falsafa comme la branche de la pensée d’expression arabe qui se réfère par priorité à l’héritage intellectuel hellénique.

  La falsafa, la vérité et le progrès

Dans la mesure où l’humanisme suppose la foi en l’homme, l’apparition même de la falsafa constitue donc une prise de position humaniste, puisqu’elle privilégie une élaboration humaine, et qui plus est réalisée par des païens. C’est bien ce dernier aspect qui est le plus reproché à cette discipline par les tenants de la perspective religieuse. Or, al-Kindî s’exprime clairement sur ce point : comme Aristote avait exprimé l’idée qu’il fallait être reconnaissant à nos prédécesseurs de ce qu’ils ont fait avancer la recherche de la vérité, il paraphrase longuement cela de la façon suivante :

« Parmi les devoirs les plus nécessairement imposés par la vérité, il y a ceci : que nous ne blâmions pas ceux qui sont, pour nous, cause d’utilité, même si cette utilité est de faible importance. Quant à ceux qui sont la cause majeure d’une utilité réelle et de sérieuse importance, c’est a fortiori qu’il ne faut pas les blâmer. En effet, même si ces derniers n’ont pas atteint une part de la vérité, ils ont été pour nous des parents et des associés en nous communiquant les résultats de leur réflexion, car ces premiers résultats sont devenus des voies et des instruments qui nous ont permis d’atteindre ces vérités nombreuses en deçà desquelles ils s’étaient maintenus. Pour nous, comme pour les plus éminents de ceux qui, avant nous et sans être de notre langue, se sont adonnés à la philosophie, il est en effet particulièrement évident que pas un homme seul n’a atteint la vérité, comme elle mérite d’être atteinte, par le seul effort de sa quête personnelle ; mais les hommes tous ensemble n’ont pas non plus connu parfaitement la vérité ; par contre, chacun pris individuellement a pu, ou bien ne rien atteindre de la vérité, ou bien en atteindre un peu, toujours par rapport à ce que mérite la vérité. Mais si l’on rassemble la petite quantité de vérité atteinte par chacun de ceux qui en ont atteint une part, alors on rassemblera une quantité considérable de vérité.
Il faut donc que notre reconnaissance soit immense pour ceux qui ont apporté un peu de vérité et a fortiori pour ceux qui en ont apporté beaucoup, car ils nous ont fait participer aux résultats de leur réflexion : ils ont facilité pour nous des problèmes véritables mais cachés, en nous enseignant les prémisses qui ont aplani pour nous les chemins de la vérité. En effet, si ces gens n’avaient pas existé, ces vérités premières, que nous avons prises pour point de départ vers les ultimes problèmes plus cachés, n’auraient pas été rassemblées pour nous. […] Aristote, le plus éminent des philosophes grecs, a dit : « il faut que nous soyons reconnaissants envers les pères de ceux qui ont découvert quelque chose de la vérité car ils ont été la cause de leur existence, et remercier aussi ces derniers ; les pères ont produit les fils et ces derniers nous ont permis d’accéder à la vérité ». Comme il a bien parlé à ce sujet.

Il faut donc que nous n’ayons honte ni de trouver belle la vérité ni de l’acquérir, d’où qu’elle vienne, même si la vérité vient de races très éloignées de la nôtre et de communautés qui se distinguent nettement de nous. En effet rien n’est plus digne d’attention que la vérité pour celui qui la cherche. Il ne faut donc pas déprécier la vérité ni mépriser ceux qui la déclarent ou la transmettent. Personne n’est déprécié par la vérité, au contraire, la vérité fait honneur à tous.

Il est donc bon pour nous – puisque nous sommes désireux de parfaire l’espèce humaine, en quoi réside la vérité – que nous nous attachions, dans le présent traité, selon l’habitude qui a été la nôtre pour tous les autres sujets, à présenter de manière exhaustive ce qu’ont dit les Anciens, cherchant les explications qui seront les plus directes et les plus faciles pour nos coreligionnaires, et à compléter leurs dires, en nous conformant, dans la mesure de nos possibilités, aux normes de la langue arabe et aux impératifs de l’époque. » (Sur la philosophie première. Rasâ’il al-Kindî al-falsafiyya, éd. Abû Rîda, t. I, le Caire, 1950, p. 102-103).

Al-Kindî est, certes, bien conscient de ce qui différencie le monde grec du sien : différence chronologique (ils étaient bien avant lui), différence linguistique (le grec d’une part, l’arabe de l’autre) et différence religieuse (les Grecs n’étaient pas musulmans). En revanche, sur le plan philosophique, qui est celui où se joue le sort de la « vérité », c’est la communauté humaine qui l’emporte. La différence est là seulement d’ordre quantitatif : les Grecs ont connu moins de vérité que n’en possèdent les Musulmans. Et surtout cette différence quantitative ne tient pas au fait que les Grecs n’étaient pas musulmans, comme voudraient le faire croire les ennemis d’al-Kindî en les traitant d’« infidèles » ; elle tient seulement au fait du déroulement chronologique.

Al-Kindî conçoit donc le développement de la pensée humaine comme un progrès continu, une croissance sans rupture ni détour : chaque auteur reprend à son compte les résultats acquis par ses prédécesseurs, et s’en sert comme point de départ en vue d’une nouvelle étape dans la marche humaine vers la vérité. Et cette vérité, c’est aussi bien celle des Grecs que celle des Musulmans : le contenu de la révélation coranique ne s’oppose en rien aux conclusions de la philosophie. Le Coran et Aristote visent la même et unique vérité et traitent des mêmes questions.

Bien qu’al-Kindî ait eu peu d’influence sur le développement ultérieur de la falsafa, on peut considérer le texte cité plus haut comme le manifeste du mouvement. Mais c’est un manifeste qui connaîtra des vicissitudes de par la difficulté qu’il y a à concilier la reconnaissance de dette envers des païens et la certitude de la supériorité en tout de l’islam.

L’attitude extrême est choisie par un penseur iranien, Abû Bakr al-Râzî (vers 250/863 - 313/925 ou 323/935), qui tient une place tout à fait à part dans le monde de la falsafa. C’est avant tout un médecin, et il est le plus éminent représentant en Islam de la médecine clinique, c’est à dire celle qui se fait « au chevet » (du grec klinè = lit) du patient. Il est mu, en effet, par une intense compassion envers toute douleur, compassion qu’il étend d’ailleurs jusqu’aux animaux.

Son attachement à l’héritage grec est total et il récuse la religion officielle de l’Empire islamique. Protégé contre toute rétorsion par sa grande qualité de médecin, il conteste avec la plus grande sérénité toute forme de prophétisme au nom de l’égalité entre les hommes. Sa polémique avec un propagandiste ismaélien est caractéristique à cet égard. Tous deux partent de la même affirmation que le monde est dominé par un régisseur sage, mais ils conçoivent cette sagesse de deux façons opposées. Le chiite estime s’appuyer sur le bon sens en partant de l’observation quotidienne. Il voit cette sagesse se manifester dans la répartition hiérarchique de l’humanité ; aussi affirme-t-il que l’inégalité est naturelle, ce qui appelle le soutien des uns par les autres, et que, par suite, les plus faibles doivent se soumettre à celui qui bénéficie d’une inspiration d’ordre supérieur. Notre médecin-philosophe parle au contraire en termes de réquisits de la conscience et somme son adversaire de dire ce qui lui permet d’avancer cela. Pour lui, la sagesse implique que tous soient susceptibles d’y participer directement, par inspiration personnelle, car sinon nous nous trouvons dans une situation génératrice de conflits, chacun privilégiant son chef. Il proclame donc l’égalité de tous dans la capacité d’apprendre et de réfléchir. S’il y a des différences entre les hommes, c’est seulement du fait que ceux-ci s’y adonnent avec des intensités variables et aussi qu’ils se spécialisent diversement. Quand son contradicteur lui lance qu’il se prend bien lui-même pour un être supérieur, il répond qu’il ne l’est que dans la matière qu’il a étudiée et qu’il reconnaît volontiers son infériorité dans certains métiers manuels, par exemple, métiers dans lesquels ceux qui s’y sont exercés manifestent souvent une intelligence remarquable, intelligence qui aurait pu s’investir dans le savoir théorique si les circonstances y avaient conduit.

Al-Râzî est ainsi conduit à pousser à son terme l’idée de progression qui se faisait jour dans le manifeste d’al-Kindî. Il n’y a pas d’un côté la vérité et de l’autre l’erreur, comme le pensent les adeptes d’une conception absolutiste de la révélation religieuse ; il y a en revanche une quête incessante vers une découverte toujours plus grande, mais restant néanmoins approchée, de la vérité. S’il rédige un ouvrage intitulé Doutes sur Galien, c’est – dit-il – pour obéir à Galien lui-même qui « dans de nombreux passages de ses livres, [...] nous dit de distinguer et de classer ce que les anciens n’ont ni distingué ni classé ». Toute vérité que nous atteignons n’est que partielle et appelle ajustements et prolongements. De même, en philosophie, les divergences entre penseurs ne sont que la marque de leur ardeur à la recherche. La philosophie ne saurait donc être affaire d’école et encore moins de secte. C’est ce progrès qui est libérateur et qui assure de l’immortalité.

Vers la fin de sa vie il écrit un bref traité sur Le mode de vie philosophique. Il y manifeste une vision positive du monde, prenant pour modèle le personnage d’un Socrate père de famille, bon citoyen, voire bon convive. Toutefois, à la différence des Grecs, il ne cherche pas le salut dans l’éthique. L’homme n’atteint pas la félicité ici-bas, mais se prépare, en fonction des conditions qui sont siennes, pour l’atteindre dans l’au-delà. Le tout est de ne pas y mettre d’empêchement, que ce soit par un excès en plus (il récuse l’ascétisme, fauteur de douleurs inutiles) ou en moins.

La démarche d’al-Râzî est restée totalement isolée dans le monde de l’Islam. Non seulement sa confiance en la raison humaine, quelle qu’elle soit, et le refus concomitant du prophétisme l’ont fait rejeter par l’homme cultivé, mais aussi, plus profondément, sa métaphysique heurtait ceux qui étaient intéressés par la philosophie. Elle reposait, en effet, sur une distinction fondamentale entre le temps relatif, « nombre du mouvement » (Aristote), et le temps absolu, simple succession infinie de pulsations. Dans cette perspective, l’esprit est orienté vers un avenir indéfini ; par suite il se refuse à envisager une acmé de l’histoire, et à plus forte raison à la voir dans un moment du passé, que ce soit la révélation du Coran pour les Musulmans ou l’Incarnation du Fils de Dieu pour les Chrétiens. Il est vrai que le Chrétien Yahyâ Ibn ‘Adî (282/895 - 363/974) semble s’être approché de ce concept de temps absolu, mais c’est pour en détourner la portée. En effet, il n’exploite une idée de ce genre que pour résoudre les objections faites au thème théologique de l’Incarnation (le passage du transcendant à l’immanent), c’est à dire en dehors du monde physique, restant en revanche tout à fait fidèle à la conception aristotélicienne pour ce qui est de ce dernier.

 La falsafa et la quête du bonheur

Chez les Musulmans, celui qui fixe le cadre conceptuel dans lequel se développera la falsafa est précisément un critique de la métaphysique râzienne, le Persan al-Fârâbî (vers 259/872 - 339/950). Il se présente comme un lointain héritier, à travers un périple géographique complexe, de l’Ecole d’Alexandrie dont il reprend l’idée que la philosophie est une discipline destinée à procurer le bonheur suprême. Son écriture frappe par son aspect tranquillement positif, témoignant d’une certitude quelque peu éthérée. Elle s’anime cependant pour dénoncer les disputeurs qui usent d’injures pour forcer l’adversaire au silence par lassitude, honte ou même crainte, et ceux qui sont tellement persuadés de détenir la vérité qu’ils ne reculent pas devant le mensonge, le sophisme ou même la calomnie.

Mais cela n’est que le prolongement accidentel d’une conception générale de l’histoire de la pensée humaine qui sert de fondement à son système. Pour al-Fârâbî, l’homme a commencé par désirer connaître les choses sensibles. Puis il a abordé les formes mineures d’argument : l’argument rhétorique, d’abord, qui procède uniquement par la séduction du langage (images, rythme, etc.) ; puis la dispute dialectique, qui vise seulement à réduire l’interlocuteur au silence. Ayant fait l’épreuve de leur insuffisance, l’homme s’est alors élevé de deux façons. Sur le plan de la pure pensée, voulant atteindre la certitude, il s’est tourné vers les mathématiques. Sur celui de l’action, devant la nécessité d’organiser la vie humaine, il a mis la dialectique au service de la science politique. Cette double ascension a permis l’apparition de la philosophie. Dans l’histoire de celle-ci la perfection est atteinte avec Aristote et sa mise au point d’une méthode démonstrative qui, seule, atteint le vrai de façon universelle et indiscutable. Mais après ce sommet est venu le déclin : la philosophie est devenue matière d’enseignement ; elle s’est appuyée alors, au niveau élémentaire, sur la rhétorique. Celle-ci a engendré la religion, laquelle a suscité, à son tour, des disciplines comme le Fiqh (Droit religieux) et le Kalâm (spéculation religieuse essentiellement apologétique). Il faut donc revenir en deçà de cette dégradation pour reconstruire la démarche proprement démonstrative.

Cela ne signifie pas pour autant qu’al-Fârâbî entend mettre l’histoire entre parenthèse. Œuvrant au sein de la civilisation islamique, ayant lui-même, semble-t-il, des sympathies pour le chiisme, branche de l’islam qui survalorise la fonction prophétique, il propose un modèle cosmo-gnoséologique qui place côte à côte le philosophe et le prophète (idée déjà ébauchée par al-Kindî). Dans les deux cas il y a illumination de l’esprit de l’homme par une instance transcendante, appelée Intellect Agent ; le philosophe atteint cette illumination par une ascèse intellectuelle et un long effort, alors que le prophète en bénéficie d’un coup, par grâce spéciale. Le premier procède par enchaînement de concepts accessibles seulement à une petite élite ; le second reçoit par grâce spéciale et transmet des images qui guident les foules par persuasion. L’idéal est atteint quand les deux fusionnent et que le philosophe est chef. Ce n’est donc plus un humanisme total, comme chez al-Râzî, mais un humanisme mitigé : la plénitude humaine s’incarne dans la classe des philosophes, mais la masse reste à un niveau inférieur, n’accédant à la raison que par participation.

Dans une vaste enquête logique, reprenant et prolongeant l’ensemble de l’Organon d’Aristote (auquel on a l’habitude, depuis la basse Antiquité, d’agréger sa Poétique et sa Rhétorique), al-Fârâbî classe et évalue toutes les formes de pensée en des termes familiers à ses contemporains. Il utilise la langue arabe, car c’est la langue de culture de son temps, mais sans lui reconnaître aucun privilège envers les autres idiomes. Son expression est de structure quasiment mathématique, très éloignée de l’aspect essentiellement inventif et décoratif de la littérature propre à l’arabe. Tout en voulant rendre compte des éléments caractéristiques de sa civilisation, al-Fârâbî ambitionne d’atteindre l’universel.

C’est ce que devrait réaliser la cité vertueuse dont al-Fârâbî expose les idées qui l’organisent. Pour établir que l’homme est universellement reconnu comme un être moral, il met en évidence, comme l’avait fait Platon, des intelligibles éthiques universels et nécessaires, qui ne sauraient dépendre de l’expérience : ce sont des concepts comme celui de justice, ou des propositions morales fondamentales. Ils sont transmis par l’Intellect agent et ils font l’objet, chez l’homme, de la délibération. Celle-ci adapte ces invariants formels de deux façons : d’une part elle les incarne sous des formes d’expression qui, elles, sont diverses ; de l’autre, elle les prend comme règles pour la réalisation des intelligibles, démarche également approximative et comparable à l’ingéniosité à l’œuvre dans les mathématiques.

Or l’homme ne peut pas atteindre seul le bonheur. Il est spécifiquement un animal politique. En outre, il y a un processus cumulatif des générations successives d’âmes, de la même façon que l’accumulation d’actes par un même individu accroît ou au contraire altère son art. Mais l’intelligibilité de la réalité politique est subordonnée à la détermination générale de ce que doivent être les propriétés des êtres. La politique est inséparable de la métaphysique et il y a continuité entre sciences pratiques et sciences théoriques. La religion intervient alors, mais sous la définition très générale d’ensemble d’opinions et d’actions dépendant d’un fondateur (sans autre précision historique), en vue de former une communauté d’une certaine importance, et afin de réaliser certains buts.

En principes les sociétés parfaites sont l’humanité entière, la nation et la cité. Les sociétés moins grandes que celles-ci sont imparfaites et ne peuvent faire obtenir le Souverain Bien. Al-Fârâbî, Ibn ‘Adî et même al-Râzî sont tributaires de l’idée cynico-stoïcienne selon laquelle l’humanité entière constitue une communauté. Al-Fârâbî étudie les causes qui engendrent les différences entre les peuples mais ne pense pas qu’elles empêchent nécessairement d’établir la grande communauté humaine. Ni lui ni Ibn ‘Adî n’envisagent cette communauté à la façon musulmane d’un rassemblement de tous les hommes autour d’un même credo. Ibn ‘Adî proclame même que la source de cette communauté réside dans l’âme rationnelle, que possède tout homme, et qui identifie la créature au créateur.

Dans certains textes (que l’on ne peut malheureusement pas situer dans une chronologie d’ensemble de son œuvre), al-Fârâbî limite la portée de la métaphysique à l’étude des étants en tant qu’étants et des principes des sciences particulières ; il estime qu’elle ne saurait pousser son investigation jusqu’aux êtres immatériels. La conséquence de cette impossibilité d’atteindre l’Intellect Agent est qu’il n’y a pas de survie après la mort et qu’il n’y a de bonheur que le bonheur politique, conception qui est très comparable à l’idée d’ « immortalité subjective » d’Auguste Comte.

Très élitiste, la philosophie d’al-Fârâbî n’en est pas moins, dans une certaine mesure, un facteur de rassemblement, et ce de deux façons. En premier lieu elle est un terrain d’entente supra-confessionnel : disciple lui-même de chrétiens, le musulman al-Fârâbî regroupe autour de lui des élèves musulmans, chrétiens et juifs, et, quand il quitte Bagdad vers la fin de sa vie, transmet la direction de son école au chrétien Ibn ‘Adî. En effet, les philosophes chrétiens ne sont pas confrontés aux mêmes difficultés que les musulmans : non seulement le principe de l’assimilation de la pensée grecque est déjà acquis pour eux depuis avant même l’islam, et Fârâbî a seulement étendu cette appropriation à une plus grande part de l’héritage hellénique, mais encore depuis Jean Philippon, au VIe siècle, la partition a été faite entre ce qui, en lui, est fructueux et ce qui est inadmissible. Ce sont d’ailleurs des chrétiens qui maintiendront la tradition fârâbienne à Bagdad pendant près d’un siècle.

En second lieu, l’idée que la vertu s’enseigne (voir l’entrée Akhlâq) et, d’une façon générale, l’insistance sur la raison pratique facilite la réception de cette forme de pensée par la bourgeoisie cultivée. En effet, celle-ci a une attitude ambiguë. D’un côté elle accepte volontiers, comme principe général, la thèse aristotélicienne selon laquelle le bonheur s’atteint par la theoria, c’est à dire la contemplation, car c’est une idée reçue depuis l’Antiquité, et qui a pour conséquence le dédain pour les activités manuelles (seuls, en dehors d’al-Râzî, les membres de la confrérie crypto-ismaélienne des Frères de la Pureté [Ikhwân al-Safâ’, IVe/Xe s.] valorisent les « métiers » [sinâ‘a ‘amaliyya], et encore ne peut-on dire avec certitude si, dans leur cas, c’est en pleine conscience des conséquences idéologiques que cela devrait entraîner – comme nous l’avons vu chez al-Râzî –, ou si ce n’est pas simplement pour pouvoir drainer le plus d’adeptes possibles). Mais de l’autre cette bourgeoisie, qui s’enorgueillit de ses « loisirs » (en grec scholè, qui a donné « école ») lui permettant de manier les idées, s’effaroucherait bien vite si on prétendait la limiter au domaine de la raison pure.

  Philosophie, sociabilité et religion

Il y a d’ailleurs des niveaux différents dans l’adoption de la culture philosophique. Le plus simple est l’usage des livres de sagesse rassemblant des aphorismes et des maximes éthiques sous des autorités diverses : les sages grecs y dominent et côtoient des personnages mythologiques du paganisme méditerranéen comme Hermès ou du paganisme arabe comme Luqmân, mais aussi des personnages bibliques comme Salomon, ou même les djinns qui, selon le Coran, ont joué un rôle dans l’entourage de celui-ci ou du prophète Mahomet. C’est un genre littéraire hérité vraisemblablement de modèles byzantins, qui a beaucoup de succès au point de passer à l’Occident en traduction dans diverses langues. Il a pour inconvénient majeur de donner l’impression d’avoir accès, sous forme de digest, à des pensées élaborées alors que, suivant les recueils qui sont eux-mêmes de niveaux très divers, il peut y avoir à peu près n’importe quoi, depuis les citations exactes de grands penseurs jusqu’aux banales expressions populaires de misanthropie, misogynie, etc., mises sous des étiquettes de la façon la plus arbitraire et la plus fluctuante. Des formules séparées de tout contexte deviennent ainsi partie intégrante d’une sagesse des nations extrêmement labile.
Une forme beaucoup plus consistante est celle des « séances » (majlîs), ou rencontres de gens cultivés. Elles ont été d’abord le fait des souverains et ont consisté surtout en audiences accueillant, à côté de plaignants, des panégyristes, des littérateurs, voire des scientifiques désireux d’être admis dans l’entourage du prince. Ceux-ci sont ainsi devenus des commensaux, ce qui supposait un certain nombre de qualités, mais aussi de connaissances dans la mesure où le maître des lieux était souvent tenté d’organiser des joutes intellectuelles. Assez vite se constituent parallèlement des cénacles regroupés autour de dignitaires de l’Empire désireux d’illustrer ainsi leur prestige. Le système est favorisé par l’obligation qu’a tout lettré de se mettre sous la protection d’un mécène pour vivre convenablement. Mais il y a aussi des associations indépendantes du pouvoir et rattachées par la vox populi à tel savant. La caractéristique commune de ces diverses formes est l’appartenance à une élite intellectuelle et par suite l’absence de toute discrimination sociale, raciale ou religieuse. On a un excellent témoignage de cette pratique au IVe/Xe siècle dans le livre Al-imtâ‘ wa-l-mu’ânasa d’Abû Hayyân al-Tawhîdî, que la tradition désigne comme « le lettré des philosophes et le philosophe des lettrés », et qui nous transmet les minutes de certaines de ces réunions. Sans doute ne sont-elles pas représentatives de toutes les manifestations de ce genre. Mais il n’en est pas moins remarquable qu’on y trouve des incursions dans des sujets philosophiques comme l’intellect, l’âme, le possible, la sensibilité, etc. La pluriconfessionnalité des participants fait que la religion n’est plus prédominante et qu’il s’agit bien d’analyser l’être humain en tant qu’être humain, et non pas en tant que musulman. Des philosophes arabes contemporains de l’auteur s’appuient sur les auteurs grecs dont les œuvres sont considérées comme le bien commun de toute l’humanité. La diffusion des idées issues des doctrines philosophiques antiques prend donc des voies multiples et très différentes, le travail de commentaire minutieux réalisé par les spécialistes n’en étant que la partie la plus remarquable et la plus féconde. Si bien que, dans ces échanges oraux, on ne saurait faire avec certitude la part de ce qui est connaissance livresque et de ce qui est réminiscence de « on-dit ».
La politisation de la pensée est sans doute l’apport le plus original d’al-Fârâbî dans le monde musulman. À partir de lui, la primauté du social est chose le plus souvent admise dans la falsafa. Miskawayh (320/932 - 420/1030) termine le premier livre de son Traité d’éthique en proclamant que l’homme « a besoin d’une cité où vive une population nombreuse pour jouir totalement du bonheur humain ». Aussi prolonge-t-il doublement, dans les sens géographique et historique, le champ de l’humanisme parcouru par ses prédécesseurs et contemporains. D’un point de vue géographique, étant lui-même persan, il ajoute à la littérature de sagesse hellénico-sémitique la reprise d’un ouvrage persan ancien, qui intégrait aussi des aphorismes d’origine indienne, intitulant le tout « la sagesse éternelle » (al-hikma al-khâlida) pour souligner l’universalisme des notions morales. Du point de vue historique, tout en se situant dans le sillage du premier traité d’éthique arabe composé par Ibn ‘Adî dont il reprend le titre pour son propre livre, il en augmente considérablement la quantité de références grecques, et surtout il produit un ouvrage historique important au titre significatif : Les expériences des nations (titre qui est surtout adéquat pour la dernière partie, consacrée à l’époque contemporaine de l’auteur).
Avec Miskawayh on a l’impression de voir se réaliser la grande synthèse de l’humanisme. On trouve chez lui à la fois la systématique cosmo-gnoséologique héritée d’al-Fârâbî (incarnée dans son Petit livre du salut), la littérature de sagesse (dans laquelle s’inscrit sa propre Sagesse éternelle) et les belles-lettres (représentées par son dialogue avec al-Tawhîdî, transcrit dans un ouvrage au titre pompeux que l’on peut traduire simplement par Les questions et les réponses). Pourtant c’est de l’intérieur même de la falsafa que cette synthèse humaniste se voit contestée, et par le plus grand – peut-être, en tout cas le plus inventif – des Falâsifa, Ibn Sînâ (Avicenne, 370/980 - 429/1037). Très conscient de son immense supériorité intellectuelle, celui-ci ridiculise aussi bien le manque de rigueur logique de Miskawayh que « ces nigauds de chrétiens » qui prolongent l’enseignement d’al-Fârâbî sans égaler celui-ci. La confiance en l’héritage grec est transmuée chez lui en une sacralisation de la logique aristotélicienne dont il est persuadé que la virtuosité avec laquelle il la pratique en toute chose lui permet d’exprimer à la perfection la vérité du péripatétisme. Mais comme ce qu’il croit être la pensée même d’Aristote est largement contaminé de néoplatonisme, les avancées remarquables qu’il fait dans l’analyse de l’âme et de la conscience sont orientées dans un sens religieux de description de l’odyssée de l’âme, plongée dans le monde et cherchant sa délivrance. Religion intellectualiste mais religion tout de même, laquelle ne se limite pas à chercher à rendre compte de la création et de la prophétie (comme le faisaient al-Fârâbî et Miskawayh) mais se présente en outre comme l’explication ultime de la révélation coranique dans ses détails, ce qui offusque définitivement l’ouverture humaniste de ceux qu’Ibn Sînâ veut évincer. Il y aura bien après lui, en Orient, persistance de la fidélité à ce qui est considéré traditionnellement comme l’héritage antique, éventuellement complété par l’ajout de l’héritage de l’ancienne Perse, mais ce sera plutôt syncrétisme qu’humanisme. Du manifeste d’al-Kindî n’est gardé que l’accord entre la philosophie et la prophétie, ce qui ouvre toute grande la voie à la critique qu’al-Ghazâlî fait de la première au nom de l’orthodoxie religieuse.

  Le renouveau de la falsafa en al-Andalus

En passant dans l’occident du monde islamique, en Espagne, au Ve/XIe siècle, la falsafa renoue avec ce qui fait le fond de l’humanisme, à savoir la confiance en l’esprit humain. Il faut toutefois se garder de toute illusion sur le caractère « occidental » et ne pas extrapoler à partir de la perception de l’histoire européenne.
Dans ce transfert géographique, l’idée d’une utilisation symbolique de la philosophie au service de la religion, à la façon d’Ibn Sînâ, retrouve des adeptes, y compris chez des lettrés, tel Ibn al-Sîd de Badajoz. Mais le premier grand nom de la falsafa andalouse, Ibn Bâjja (l’Avempace des Latins, v. 473/1080 - 533/1138), renoue au contraire avec al-Fârâbî, se référant très peu au Coran dans ses écrits, et menant par ailleurs la lutte contre les hommes de religion. Aussi, tout en récusant, accessoirement, Ibn al-Sîd au nom de la logique, il dresse la philosophie d’inspiration fârâbienne précisément contre la critique qu’al-Ghazâlî avait menée essentiellement à l’égard d’Ibn Sînâ. En fait, Ibn Bâjja est un personnage paradoxal. Poète apprécié, musicien reconnu, expert en sciences naturelles et physiques, philosophe enfin, il semblerait correspondre tout à fait à l’aimable image d’Épinal que nous nous faisons de l’humaniste. Or il propose une démarche intellectualiste extrêmement ascétique, adressée au « solitaire », c’est à dire l’individu perdu dans une cité ignorante. Seule cette démarche, selon lui, peut permettre d’atteindre le bonheur suprême par un exil spirituel nécessaire à l’ascension au moyen d’une connaissance de plus en plus épurée de toute matière. Quant à la délectation visée par la mystique que prône al-Ghazâlî, elle ne peut donner que des simulacres de la vérité.
L’attitude du célèbre Ibn Rushd (Averroès, 520/1126 - 595/1198) est comparable pour l’essentiel, si ce n’est que, tant dans sa vie que dans ses écrits, il privilégie le point de vue collectif. Il est un homme de religion dont la disponibilité à tous et à toutes les classes sociales est reconnue ; il réfléchit sur le langage qui doit être employé envers la masse et il replace le penseur dans le vaste courant de l’humanité toute entière. Mais il ne faut pas lui prêter plus. Une exploitation cinématographique récente a voulu en faire un homme tolérant, ouvert aux minoritaires comme les Juifs, juge compréhensif, quasi-féministe, etc. En réalité c’était un homme rigoureux qui affirmait qu’on ne peut discuter avec ceux qui « nient les principes » et qu’il faut donc les éliminer, dont les seules marques que nous possédons de son activité comme juge religieux le montrent optant pour la solution la plus dure, qui n’a eu de contact avec les Juifs que contraint en exil par disgrâce politique, et qui n’a soutenu l’égalité entre hommes et femmes que pour suivre l’exemple de Platon dont il commentait la partie politique de la République.
Si humanisme il y a chez Ibn Bâjja et Ibn Rushd, c’est dans la réceptivité au savoir transmis par l’Antiquité païenne et dans la volonté de comprendre le réel – tout le réel – par la seule force de la raison. C’est beaucoup mais c’est tout. Toutefois, s’il ne faut pas projeter notre vision des choses sur des hommes du passé, il n’en existe pas moins un lien historique avec notre mentalité moderne. Ce lien est donné par la fortune étonnante du roman philosophique Hayy ibn Yaqzân (« Le Vivant fils du Vigilant ») du troisième grand nom de la falsafa andalouse, Ibn Tufayl (mort presque octogénaire en 581/1185-6). Le titre du roman est emprunté à un récit symbolique d’Ibn Sînâ, mais là où l’auteur oriental s’attachait à une représentation imagée de la façon dont une instance transcendante, l’Intellect agent, donne les intelligibles à l’âme humaine, l’andalou reprend un conte populaire pour décrire un homme vivant seul sur une île, totalement indépendant et s’élevant, par sa réflexion sur le monde, sur lui-même et sur sa propre genèse, à la connaissance de toutes les notions de la vie et jusqu’à celle du Créateur et de ses attributs. Cette démarche repose uniquement sur les principes nécessaires de la simple raison innée, et la confrontation ultérieure avec la religion concrète ne fait que confirmer les données de celle-là. Le roman, un des chefs-d’œuvre de la littérature andalouse, consiste en un habillage de cette trame au moyen des éléments scientifiques, cosmologiques, psychologiques, métaphysiques et mystiques disponibles dans cette civilisation.
Au contraire du texte mystique d’Ibn Sînâ, la transfiguration en un roman descriptif n’a pratiquement eu aucun écho dans l’Islam classique. Et quand, après cinq siècles d’oubli, il, a ressurgi en Angleterre, d’abord par une édition faite par l’orientaliste E. Pocock en 1671, puis par une traduction réalisée par le professeur d’arabe de Cambridge, S. Ockley en 1708, on peut constater qu’il y a eu une progression dans la compréhension de sa portée. Le titre latin donné par Pocock est « Le philosophe autodidacte [...] dans lequel il est montré comment la raison humaine peut s’élever depuis la contemplation des choses inférieures jusqu’à la connaissance des supérieure » ; c’est une lecture méthodologique : « par quelles étapes faut-il passer ? » Ockley va plus loin dans son titre anglais : « Le développement (improvement) de la raison humaine [...] dans lequel il est démontré par quelles méthodes on peut, par la pure lumière de la nature, atteindre la connaissance des choses naturelles et surnaturelles, et plus particulièrement la connaissance de Dieu ». On voit là l’influence de Locke dont l’Essai sur l’entendement humain, paru en 1690, vise à délimiter le domaine de la raison. À son instar, la lecture d’Ockley consiste à se demander : « qu’est-ce que j’aurais fait à sa place ? » Lecture psychologique que l’on retrouve presque aussitôt chez D. Defoe dont le Robinson Crusoé, publié onze ans plus tard, est le premier roman anglais moderne.

DOMINIQUE URVOY

 Bibliographie sélective :

Arkoun (M.), Contribution à l’étude de l’humanisme arabe au IVe/Xe siècle : Miskawayh philosophe et historien, Paris, 1970 et rééd.
Bergé (M.), Pour un humanisme vécu : Abû Hayyân al-Tawhîdî, Damas, 1979.
Jolivet (J.), « L’idée de la sagesse et sa fonction dans la philosophie des 4e et 5e siècles », in Arabic sciences and philosophy 1,1991, p. 31-65.
Kraemer (J.), Humanism in the Renaissance of Islam : the Cultural Revival during the Bûyid Age, Leyde, 1986.
Leaman (O.), « Islamic humanism in the fourth/tenth century », in Seyyed H. Nasr et O. Leaman (ed.), History of Islamic Philosophy, Londres, 1996, t. I, p. 155-161.
Makdisi (G.), The rise of Humanism in classical Islam and the Christian West, Londres, 1990.
Urvoy (D.), « The Rationality of Everyday Life : an Andalusian Tradition ? (A propos of Hayy’s First Experiences) », in L. I. Conrad (ed.), The World of Ibn Tufayl. Interdisciplinary Perspectives on Hayy ibn Yaqzân, Leyde, 1996, p. 38-51.
— , Averroès. Les ambitions d’un intellectuel musulman, Paris, 1998 et rééd.
Vallat (Ph.), Farabi et l’École d’Alexandrie. Des prémisses de la connaissance à la philosophie politique, Paris, 2004.


Pour citer  :
Dominique Urvoy, « Falsafa : ses aspects humanistes », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2014, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Falsafa-Philosophie-arabe