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Islah

Le réformisme musulman moderne

Islāh est un mot arabe qui se traduit le plus souvent en français par « réforme » ou « réformisme ». Présent dans le Coran, il contient l’idée d’amendement, d’assainissement ou de correction. Dans un sens religieux, il désigne tout effort, tout discours ou toute attitude destinée à remettre l’umma, la communauté des croyants, dans la voie droite, à en extirper les innovations blâmables (bida‘, sg. bid‘a), à empêcher ses déviances par rapport à la norme prophétique (sunna).Il s’applique aussi très anciennement aux domaines de la politique (islāh al-mulk), de la morale (islāh al-nafs) et du langage (islāh al-mantiq - titre d’un célèbre ouvrage de lexicographie composé par Ibn al-Sikkīt à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle de l’Hégire). La connotation technique du terme est nette lorsqu’il est mis au pluriel : islāhāt. À la fin de la période ottomane, islāhāt était l’équivalent de tanzīmāt : c’était l’un des noms des grandes réformes institutionnelles et étatiques mises en œuvre par les dirigeants ottomans pour maintenir l’Empire dans le concert des nations et éviter que la Question d’Orient ne fût résolue par son démembrement. Dans les deux cas, l’islāh- au sens religieux du terme - et les tanzīmāt sont une forme d’action sur les mœurs et l’organisation de l’umma. Ils reposent sur le constat d’une dégradation de la communauté ou de l’État musulman, et la recherche de remèdes, lesquels oscillent entre retour aux sources et adaptation aux besoins du temps.

D’autres mots d’origine arabe expriment des idées voisines : al-ihyā’, la revivification, et al-tajdīd, le renouveau doctrinal, la réaffirmation de l’orthodoxie en matière religieuse. Un hadith dit qu’à chaque siècle, Dieu enverra un rénovateur de la religion, un mujaddid. L’adjectif jadīd (nouveau) –« djadīd » dans la prononciation turque - est lui-même employé par les promoteurs du renouveau intellectuel et religieux des musulmans de Russie (les Tatars), dans la seconde moitié du XIXe siècle, pour désigner leur mouvement. Ils le font en référence aux usūl-i djadīd, la « nouvelle méthode » pédagogique mise en œuvre dans les madrasas (écoles) de Kazan et de sa région, et par opposition à la tendance qu’ils appellent qadīm (ancienne, traditionnelle). En français ou en anglais, on désigne aussi ce réformisme tatar sous le nom de djadidisme. Au XIXe siècle, quand l’idéal réformiste se diffuse, apparaît également la notion de nahda. Ce vieux mot, dont l’étymologie évoque le mouvement, le sursaut, l’élan pris par l’oisillon au bord de son nid juste avant son premier envol, acquiert alors le sens figuré et mélioratif de « renaissance » ou de « réveil ». Si sa composante islamique reste visible jusqu’à nos jours dans le nom de groupements religieux comme le parti tunisien Al-Nahda (Ennahda), il a aussi une connotation nationaliste arabe qu’on ne trouve ni dans islāh ni dans ihyā’, ni dans tajdīd, et son usage demeure circonscrit au monde musulman arabophone.

En tant qu’idéal de régénération de la communauté des croyants, l’islāh est aussi ancien que l’islam. Pour les musulmans, le premier à l’avoir pratiqué, c’est le prophète Muhammad lui-même. Celui-ci leur apparaît comme le modèle du muslih, soit du réformateur religieux venu restaurer le monothéisme dans sa pureté. Comme le fait remarquer l’historienne Sabrina Mervin en donnant les exemples célèbres d’Abūֿ Hamīd al-Ghazālī (m. 1111), d’Ibn Taymiyya (m. 1328) et de ‘Abd al-Rahmān al-Suyūtī (m. 1505), « dans l’histoire de l’islam, le magistère spirituel de certains grands savants relève aussi, en grande part, de l’islāh et du tajdīd » (Mervin, 2000b, 156 sq). Ce n’est cependant qu’au XVIIIe siècle, que l’idéal réformiste commence à devenir, toujours selon les termes de S. Mervin, « un mode de pensée » ou un « mouvement social » (ibid., 152), c’est-à-dire qu’il est prêché simultanément en plusieurs endroits du monde musulman par des ulémas et des lettrés qui ont une postérité religieuse et intellectuelle. Au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, il devient peu à peu un trait dominant de l’islam contemporain. Le contexte s’y prête. D’importants bouleversements politiques, sociaux et culturels sont à l’œuvre, parmi lesquels le développement de la Question d’Orient et la réponse que l’Empire ottoman lui apporte et en engageant les réformes mentionnées ci-dessus ; l’expansion coloniale européenne et russe puis sa remise en cause ; la fin de l’Empire musulman moghol de Delhi en Inde ; la transformation des régimes ottoman et qadjar (Iran) en monarchies constitutionnelles dans les années 1900 ; la défaite ottomane à l’issue de la Première Guerre mondiale et l’avènement de nouveaux États qui font des choix idéologiques et institutionnels différents ; l’émergence de la question palestinienne.

Dans le même temps, les sociétés changent. Le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle sont un temps d’essor démographique, de développement des échanges internationaux, de croissance des villes (dans un monde toutefois majoritairement rural jusqu’au dernier quart du XXe siècle), d’occidentalisation du vêtement et de certains usages. Les réformes scolaires, l’augmentation du nombre de gens instruits, les programmes de lutte contre l’analphabétisme couplés aux révolutions médiatiques successives (diffusion de l’imprimerie et de la presse, puis de la radio dans l’entre-deux-guerres) renouvellent la culture du débat. De nouvelles figures d’autorité apparaissent : lettrés moralistes, intellectuels, prédicateurs qui ne sont pas des ulémas, ou ne se trouvent que partiellement formés dans les sciences de la religion islamique. Tout ceci constitue le terreau de l’islāhà l’époque contemporaine.

Le « mouvement » qu’est devenu l’islāh n’a rien de monolithique ni d’homogène. Pour en prendre la mesure, il n’est qu’à voir la difficulté à rendre compte du mot dans les langues étrangères. En français, « réformisme » est pratique mais cache des réalités évidemment diverses. En anglais, il est peu usité, contrairement aux concepts assez antinomiques de revival et de modernism lequel, nous le verrons, n’a pas exactement le même sens que « réformisme ». De nouveaux mots viennent de surcroît brouiller la compréhension du phénomène : salafiyya (salafisme),qui n’émerge comme concept que dans l’entre-deux-guerres – au moment même où celui de « réformisme » s’impose dans l’usage académique français - et, plus tard, « islamisme ». Cette profusion lexicale signale les voies multiples prises par l’idéal réformiste qui, en se diffusant jusqu’à devenir banal, diversifia non seulement les manières de vivre en musulman mais aussi les sources de l’autorité religieuse. On comprend dans ces conditions combien les synthèses sont difficiles, pour ne pas dire vaines. Il est néanmoins naturel qu’une encyclopédie de l’humanisme méditerranéen ait une entrée « islāh », tant cet idéal et la notion même irriguent les sociétés musulmanes et alimentent les débats à la période contemporaine (c’est-à-dire, dans la tradition française, celle qui commence à la fin du XVIIIe siècle). Nous nous essayons donc ici à évoquer le réformisme musulman dans sa phase de diffusion jusqu’aux années 1950. C’est la chronologie qui nous guide parce qu’elle permet, non seulement de contextualiser les idées et les pratiques de l’islāh, mais aussi de faire l’histoire des concepts, c’est-à-dire de dater l’apparition des mots pour dire la réforme.

 Les renouveaux religieux du XVIIIe siècle

En ce qui concerne les origines du réformisme contemporain, deux faits sont désormais bien établis par l’historiographie : d’une part le monde méditerranéen n’en est pas le berceau, d’autre part les réseaux soufis, naqshbandis ou autres, se croisant à La Mecque et à Médine ont joué un rôle important dans sa diffusion. C’est à partir de régions où les musulmans sont minoritaires et tôt confrontés aux impérialismes russe et britannique -l’Inde, l’Asie Centrale, le bassin de la Volga - et à partir de la péninsule Arabique, ouverte à l’Inde et lieu de rassemblement de pèlerins de plus en plus nombreux, que se répandent dès le XVIIIe siècle les prédications les plus audacieuses. Marquées par un idéal d’orthodoxie, celles-ci invitent à un strict respect de la Loi fixée par Dieu, la sharī‘a. Elles combinent une hostilité plus ou moins grande au culte des saints, un idéal de retour aux sources scripturaires de l’islam - Coran et surtout Hadith, et le refus du conformisme juridique. L’ijtihād est de plus en plus revendiqué : on appelle ainsi l’effort d’interprétation de la sharī‘a, c’est-à-dire le travail des spécialistes de fiqh (les fuqahā’) qui consiste à déduire des normes cultuelles ou sociales de différentes sources : le Coran, la Tradition prophétique, le consensus des savants religieux, le raisonnement par analogie, le jugement personnel éclairé. La fixation des quatre grandes écoles juridiques sunnites, appelées madhāhib (sg. madhhab) et connues par le nom de leur fondateur (malékisme, hanafisme, chaféisme et hanbalisme), n’avait pas complètement « refermé la porte de l’ijtihād » - comme l’on dit en arabe -, les fuqahā’ pouvant toujours faire preuve de créativité en commentant tel manuel juridique de leur école ou en émettant une fatwa, c’est-à-dire un avis sur un point de droit. Au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, des ulémas, imprégnés d’un soufisme particulièrement dynamique dans la période tout en condamnant certains excès, plaident pour un recours plus franc à l’ijtihād. C’est le cas à Delhi de Shāh Walī Allāh (1703-1762) et plus tard, à Kazan, du cheikh naqshbandi ‘Abd al-Nāsir al-Qursāwī (1776-1812) dont l’enseignement, diffusé dans toute l’Asie centrale par Shihāb al-Dīn al-Marjanī (1818-1889), nourrit par la suite le réformisme des musulmans de l’empire russe. C’est le cas aussi d’un soufi arabe d’origine marocaine, Ahmad ibn Idrīs (1750-1837), établi à Sabya dans le ‘Asir - entre Hedjaz et Yémen –et à l’origine d’une floraison de nouvelles confréries : sa critique radicale des madhāhib correspond au développement d’un mysticisme centré sur la personne du Prophète à travers la « voie muhammadienne » (al-tarīqa al-muhammadiyya) ; au terme de l’initiation, le soufi uni mystiquement au prophète Muhammad a une connaissance supérieure à celle des fuqahā’ et une autorité infaillible pour interpréter la loi ; la seule base des jugements légaux, pense ainsi Ibn Idris, devrait être « le recours au Coran et à la Sunna éclairés par l’accès direct au Prophète » (Radtke, 1996, 355 sq ; Chih et Mayeur-Jaouen, 2010, 49-50).

Les diverses confessions chiites connaissent un dynamisme religieux et intellectuel similaire. À la fin du XVIIIe siècle, les savants ja‘farites (duodécimains) se disputent sur la nature de leur autorité. Face aux akhbārīpour qui tout jugement légal ne peut se fonder que sur les akhbār (traditions) des douze imams, triomphent les usūlī qui incluent la raison dans les usūl al-fiqh (sources du fiqh) et considèrent que les ulémas sont les dépositaires des prérogatives des imams, parmi lesquelles l’ijtihād. C’est ainsi que commence à s’établir une hiérarchie d’ulémas chiites, les plus qualifiés remplissant une double fonction de mujtahid (ceux qui pratiquent l’ijtihād) et de modèle ou « source d’imitation » (marja‘ al-taqlīd) pour les fidèles. Au Yémen, en milieu chiite zaydite, Muhammad al-Shawkānī (1760-1834) défend l’idée selon laquelle les ulémas doivent pouvoir emprunter à d’autres madhāhib que le leur une doctrine qui leur paraît plus valable.

Originaire du Najd, Muhammad ibn ‘Abd al-Wahhāb (1703-1892) prêche lui aussi une forme d’islāh : l’ijtihād n’en est pas absent mais elle se présente surtout comme une réaffirmation du dogme de l’unicité divine, laquelle exclurait toute visite aux saints intercesseurs, morts ou vivants, toute manifestation d’émotion religieuse, et toute diversité rituelle. Dans les faits, le message d’Ibn ‘Abd al-Wahhāb est un néo-hanbalisme qui se diffuse par le jihād. Son succès tient à l’alliance du prédicateur avec la tribu saoudite qui y trouve un puissant instrument de légitimation de ses ambitions. Il va si fortement contre les usages établis qu’il suscite tout au long du XIXe siècle de véritables controverses dans les milieux religieux. Les disciples de Muhammad ibn ‘Abd al-Wahhāb, qui se désignent eux-mêmes comme les « confesseurs de l’unicité divine » (muwahhidūn), autrement dit les musulmans, sont appelés par leurs adversaires « wahhabites », nom aujourd’hui consacré par l’usage mais longtemps connoté péjorativement.

 L’ère des tanzīmāt

Dans les années 1820-1830, un autre type de réformisme gagne les milieux dirigeants ottomans, non seulement à Istanbul mais aussi au Caire et à Tunis, siège de gouvernements provinciaux héréditaires. Il revient ici à justifier d’un point de vue religieux les nouveaux règlements administratifs et institutionnels destinés à renforcer le pouvoir d’État et à relégitimer la fonction du Sultan. En d’autres termes, le réformisme ottoman accompagne le déploiement des tanzīmāt. Fortement influencés par des disciples de Mawlānā Khālid (1779-1827), fondateur d’une nouvelle branche de la Naqhsbandiyya, les premiers réformateurs ottomans lient la force de l’État à la restauration des principes de la sharī‘a (Abu Manneh, 1994). Le modèle qu’ils ont en tête est celui du dirigeant juste qui prend conseil et accepte un pouvoir limité par la loi (qānūn). Plusieurs ouvrages produits dans les milieux dirigeants égyptiens et tunisiens expriment cet idéal. Le plus ancien (1834) est Takhlīs al-ibrīz fī talkhīs Bārīz (Le raffinement de l’or ou abrégé de Paris), récit du séjour de l’uléma égyptien Rifā‘a al-Tahtāwī (1801-1873) à Paris entre 1826 et 1831.En 1867, paraît à Tunis Aqwam al-masālik fī ma‘rifat ahwāl al-mamālik (La plus sûre direction pour connaître l’état des nations), ouvrage signé par un homme d’État, le général Khayr al-Dīn (v. 1822-1889), mais largement rédigé par des ulémas tels Sālim Bū Hājib (1827-1924) et Muhammad Bayram (cinquième du nom, 1840-1889). Une version française en est bientôt publiée à Paris sous le titre Essai sur les réformes nécessaires aux États musulmans. À ces ouvrages imprimés s’ajoute la chronique de la dynastie husseinite en Tunisie, tenue par Ahmad ibn Abī al-Diyāf (Bin Diyāf, 1802-1874), secrétaire des beys régnants et associé à toutes leurs réformes.

Concrètement, la période des tanzīmāt se caractérise par un renouveau de la production de qānūn, c’est-à-dire de lois et de règlements qui touchent à l’armée, au commerce, à la fiscalité, à la propriété de la terre, à l’administration des provinces, à l’éducation ; publiés au nouveau journal officiel, ils sont supposés connus de tous et applicables dans tout l’Empire. Ceci aboutit en 1856 à l’effacement des frontières entre musulmans et non-musulmans, désormais juridiquement égaux. Le Bey de Tunis adopte l’année suivante un pacte fondamental qui, dans le même esprit, donne des garanties à ses sujets juifs, ainsi qu’aux résidents européens. Le Bey doit surtout consentir en 1861 à l’adoption d’une « loi fondamentale » (al-qānūn al-asāsī), ou dustūr (destour), qui instaure à ses côtés un Grand Conseil consultatif. Bien qu’enterré en 1864, ce texte est une première. L’heure est désormais aux débats sur l’opportunité de changer les régimes politiques des États musulmans au profit de la monarchie constitutionnelle qui tend à devenir la norme en Europe. En milieu turc à la fin des années 1860, l’idée d’une Constitution est défendue par les « Nouveaux Ottomans », groupe de serviteurs de l’État et de journalistes dont le chef de file est Namık Kemal (1848-1884), et le mécène Mustafa Fazil (1830-1875), un frère du khédive Ismaïl d’Égypte. Ils développent des thèmes qui resteront centraux dans la défense des régimes constitutionnels en contexte musulman jusqu’à leur normalisation progressive au début du XXe siècle : la liberté garante de la justice ; la parenté entre la délibération parlementaire et le principe coranique de shūrā. Pour eux, les Parlements sont la forme institutionnelle moderne de la consultation entre musulmans. Ceci pose la question de la représentation des non-musulmans : peuvent-ils être associés à la shūrā ? Peuvent-ils faire partie de « l’Assemblée consultative islamique » (Mejlis-e shura-ye eslami) comme faillit s’appeler la Chambre des députés iranienne en 1907 - et comme elle s’appelle effectivement depuis 1979 ? La réponse fait largement débat partout où une Constitution est adoptée- en Tunisie en 1861, dans l’Empire ottoman en 1876, en Iran en 1906-1907 – mais est partout positive, l’objectif de construire une nation et de s’aligner sur les régimes du même type ailleurs dans le monde l’emportant sur les autres considérations.

 La diffusion de l’esprit réformiste (1876-1920)

La promulgation d’une Constitution, le 23 décembre 1876, par le nouveau sultan ottoman Abdülhamid II (r. 1876-1909) ouvre une véritable expérience parlementaire qui se déroule dans un contexte de crise majeure. Confronté aux aspirations nationalistes des peuples balkaniques et ne pouvant éviter une guerre contre la Russie, l’Empire ottoman connaît une défaite cinglante au début de l’année 1878. Réunie depuis moins d’un an, la Chambre des députés est dissoute et la convocation de nouvelles élections toujours retardée : la Constitution est en fait suspendue au profit du Sultan qui ne la rétablira qu’en juillet 1908, sous la pression de l’armée de Macédoine et d’un comité révolutionnaire, le Comité Union et Progrès. Au début des années 1880, la Tunisie et l’Égypte passent sous protectorat respectivement de la France et de la Grande-Bretagne. Dans l’ordre culturel, une controverse sur la capacité civilisatrice de l’islam oppose à Paris, en 1883, Ernest Renan (1823-1892), historien des religions et des langues sémitiques, au philosophe-voyageur d’origine iranienne Jamāl al-Dīn al-Afghānī (1839-1897). Beaucoup de musulmans autour du bassin méditerranéen, comme dans les territoires asiatiques confrontés aux impérialismes russe et britannique, ont le sentiment d’une menace.

Les tanzīmāt elles-mêmes ont ébranlé le vieux monde et les certitudes. Bien qu’elles soient légitimées par la religion, elles ont empiété sur le fiqh. Les ulémas n’ont plus le monopole ni de l’enseignement ni de la justice, même s’ils peuplent les nouvelles institutions de l’État, y compris le Parlement quand il est en fonction. Entrée en vigueur en 1876, la Mecelle (prononcer Médjellé), ou Code civil ottoman, collecte et organise des règles empruntées à l’école juridique hanafite en matière d’obligations et de transactions commerciales : la source du droit reste certes islamique mais ce n’est plus du fiqh, un système normatif produit par les juristes-théologiens ; c’est un droit musulman qui émane de l’autorité souveraine de l’État. Une partie de la législation des tanzīmāt relève franchement de l’innovation : ainsi l’égalité juridique entre musulmans et non-musulmans - étrangère à la sharī‘a - voire la loi fondamentale ou Constitution contre laquelle tonnent bien des ulémas. Ceux-ci craignent l’affaiblissement du pouvoir sultanien, garant à leurs yeux de l’ordre islamique, la remise en cause de leur rôle de gardiens de la loi sacrée, la sécularisation de l’État. Certes la fonction de Calife, formellement attribuée au Sultan dans l’article 4 de la Constitution de 1876, réaffirme le caractère islamique de l’Empire ottoman, mais le califat est une idéologie d’État plus qu’un instrument de réforme morale et religieuse. Il sert surtout à légitimer la dictature d’Abdülhamid II et à soutenir les tentatives de l’Empire ottoman pour rester la puissance du monde musulman. Ajoutons à ces bouleversements d’ordre juridique les transformations de la vie quotidienne, l’occidentalisation des goûts, des mœurs et du vêtement masculin, et l’on comprendra pourquoi, à partir des années 1880, se développe un nouvel état d’esprit où se mêlent, à des degrés divers selon les individus, réaffirmation de l’identité religieuse et/ou nationale, apologétique, idéal civilisateur, adaptation aux nouvelles réalités étatiques et appropriation de la modernité. C’est à cet état d’esprit que renvoient aujourd’hui, par excellence, les notions d’« islāh » et de « réformisme ».

Dans la littérature sur le réformisme arabe, voire dans les sources primaires, le cheikh égyptien Muhammad ‘Abduh (1849-1905) est présenté comme le père de l’islāh et de la salafiyya. Ceci témoigne moins de la réalité que de la tendance des réformistes à se fabriquer des icônes ou à se chercher des cautions. Muhammad ‘Abduh est déjà une figure de son vivant parce qu’il est un uléma de haut rang, qu’il assume pleinement un projet de réforme de l’islam et qu’il tente de le mettre en œuvre à la mosquée université d’Al-Azhar ou dans ses consultations en tant que mufti d’Égypte à la fin de sa vie. Au Maghreb, compte aussi beaucoup dans son image le fait qu’il est un uléma égyptien, c’est-à-dire natif d’un Orient incarnant une sorte de pureté islamique et d’un pays, certes colonisé, mais faisant déjà figure d’État-nation et de pôle du monde arabe. Ayant pris ses distances avec l’activisme d’al-Afghānī qui avait vécu au Caire dans les années 1870 et contribué à son éducation politique, Muhammad ‘Abduh collabore avec les autorités politiques égyptiennes et britanniques, ce qui le rend consensuel. Ses idées, enfin, circulent beaucoup :il s’intéresse au journalisme, voyage à Paris et en Afrique du Nord, vit et enseigne à Beyrouth dans les années 1880.La publication de sa biographie dans la revue Al-Manār (Le Phare), publiée au Caire de 1898 à 1935 par le Syrien Muhammad Rashīd Ridā (1865-1935), continue à l’imposer comme une référence dans les milieux les plus divers.

D’autres ulémas sunnites n’en aliment pas moins le courant réformiste : le vieux Sālim Bū Hājib et Muhammad al-Tāhir ibn ‘Ashūr (1879-1973) à la Zaytūna de Tunis ; Abū Shu‘ayb al-Dukkālī (1878-1937) et Muhammad ibn ‘Arabī al-‘Alawī (m. 1965) à la Qarawiyyin de Fès ;les cheikhs Husayn al-Jisr (1845-1909) et Ahmad ‘Abbās al-Azharīdans les madrasas de Tripoli et de Beyrouth ; Tāhir al-Jazā’irī (1852-1914) et Jamāl al-Dīn al-Qāsimī (1866-1914) à Damas ; les membres de la famille al-Alūsī à Bagdad. Il existe aussi un réformisme ibadite (Ghazal, 2010 ; A. Jomier, 2015), tout comme un réformisme chiite duodécimain (Mervin, 2000a) dont l’une des figures est le mujtahid de Damas, Muhsin al-Amīn (1867-1952), originaire du Jabal ‘Amil au sud de la montagne libanaise. Tous ces noms sont arabes. Des ulémas turcs partagent leurs idées mais sans leur donner la même ampleur : beaucoup moins indépendants vis-à-vis de l’État, ils sont soumis à la censure jusqu’à la révolution jeune-turque de 1908 et peu enclins à soutenir les réformistes arabes dans leur critique latente du califat ottoman. Le réformisme religieux est de surcroît fortement concurrencé en milieu turc par un courant laïque en plein essor.

La défense même des idées de réforme, conjuguée à la banalisation progressive de l’imprimerie et à l’essor des diplômés des écoles publiques ou privées non dédiées à la science religieuse, fait émerger aux côtés des ulémas de nouvelles figures de l’autorité intellectuelle : des hommes au croisement du ‘ilm, du journalisme et du militantisme politique, tels l’Alépin ‘Abd al-Rahmān al-Kawākibī (1849-1902),le Tunisien ‘Abd al-‘Azīz al-Tha‘ālibī (1876-1944), fondateur en 1920 du parti nationaliste du Destour, et Rashīd Ridā, qui abandonna ses fonctions d’imam dans son village natal de Qalamun, près de Tripoli du Levant, pour fonder au Caire, avec le soutien de Muhammad ‘Abduh, le périodique ci-dessus mentionné, Al-Manār  ; des juges formés dans le droit nouveau à l’instar de Qāsim Amīn (1863-1908),avocat de l’émancipation féminine ; des journalistes ; des écrivains ; des intellectuels sécularisés, y compris des non-musulmans comme Jurjī Zaydān (1861-1914), écrivain, romancier et historien, fondateur au Caire en 1892 de la revue de culture générale Al-Hilāl (Le Croissant)et des éditions du même nom. Bien qu’il ne monopolise ni les débats ni la production écrite et imprimée, le réformisme, c’est l’esprit du temps, ce qui en assure la diffusion ; il témoigne de la naissance d’un espace public héritier des tanzīmāt mais affirmant son autonomie par rapport aux États, et correspond à une revendication de liberté d’opinion et d’expression. C’est pourquoi il est porté par des hommes à la formation et aux profils divers – quelques femmes aussi. Ceux-ci ont en commun la volonté d’agir sur la société, de conseiller les dirigeants, d’éduquer l’opinion dans le sens de la civilisation et du progrès. Ils ne forment pas un mouvement à proprement parler mais sont souvent en contact les uns avec les autres : ils voyagent, se rendent visite, se retrouvent au Caire, siège d’al-Azhar et métropole intellectuelle où la liberté d’expression est plus grande que partout ailleurs dans le monde musulman, s’envoient leurs ouvrages ou en font des comptes rendus, orchestrent ensemble des campagnes de presse, se disputent.

Leurs idées se transmettent soit par la voie orale - grâce à l’enseignement qui prend des formes diverses, des cercles d’études (halqa) organisés par Tāhir al-Jazā’irī à son domicile pour deux générations de lycéens de Damas, au Séminaire de prédication et d’orientation (da‘wa wa irshād) fondé au Caire par Ridā en 1912 - soit par de nombreux écrits dont l’imprimerie accroît la diffusion. Beaucoup de ces écrits appartiennent à des genres classiques de la littérature religieuse : commentaires coraniques (celui du Manār, fondé sur des cours de Muhammad ‘Abduh et enrichi par Ridā, celui plus tardif de Tāhir ibn ‘Ashūr) ; relations de voyage (rihla), non seulement au Hedjaz pour l’accomplissement du pèlerinage, mais aussi en Europe, ce qui est l’occasion d’établir des comparaisons et d’appeler à des réformes en pays musulman ; fatwas. Ces dernières sont l’un des lieux privilégiés par les ulémas réformistes pour laisser libre cours à leur créativité en matière de fiqh et en appeler à l’ijithād. De plus en plus de fatwas sont émises, compte tenu de la forte demande des fidèles et de la création de départements dédiés, soit au sein d’institutions comme la Maison des sciences de Deoband en Inde, soit au sein des États. L’Égypte se dote ainsi en 1895 d’un Dār al-iftā’ (Département de consultation juridique) dont Muhammad ‘Abduh est le deuxième titulaire. Quelques-unes de ses fatwas sont restées célèbres, par exemple la « fatwa du Transvaal » qui autorise les musulmans habitant en terre non musulmane – l’Afrique du Sud en l’occurrence - à manger de la viande abattue par les « Gens du Livre ». Les genres littéraires nouveaux, pièces de théâtre et romans, expriment aussi volontiers des idées réformistes, notamment lorsqu’ils mettent en scène des intrigues amoureuses et les efforts de leurs intrépides héroïnes pour s’instruire et éviter un mariage forcé. Par-dessus tout, les réformistes prisent la presse périodique d’opinion où se trouvent rassemblés tous les autres genres : textes de sermons et de conférences, romans-feuilletons, rihla, fatwas. L’islāh se confond même en partie avec des titres comme le Manār dont la liberté de ton, le sens aigu de la polémique, l’apologétique intransigeante, le commentaire coranique et les fatwas assurent le succès.

 L’obsession du « retard »

Le discours réformiste repose sur le constat d’un « retard » civilisationnel qui intègre la vision de l’histoire héritée de la philosophie des Lumières : des civilisations se succèdent dans le temps, chacune porteuse de rationalité et de progrès ; parmi elle, la civilisation islamique classique qui, au Moyen Âge, assura la transmission entre la science grecque et l’esprit européen de la Renaissance, à l’origine de la civilisation moderne. Depuis, celle-ci a pour terre d’élection l’Europe occidentale et certaines parties de l’Amérique, mais reste universelle : elle a vocation à toucher tous les peuples, à commencer par ceux qui, jadis, furent l’incarnation du progrès et ne sont que distancés. Leur retard, toujours selon le discours réformiste, a pour cause principale le « despotisme » (istibdād), terme qui fait florès à partir des années 1870-1880 et correspond au développement de la réflexion sur les ancrages sociaux et culturels des dictatures du sultan Abdülhamid II ou du chah Nāser ed-Dīn en Iran. Ce que les réformistes appellent le despotisme, ce n’est pas seulement la tyrannie politique, ce sont aussi le poids de l’ignorance et de la coutume, la fascination inverse pour les modes occidentales, et la domination des hommes sur les femmes.

La thèse du retard dû au despotisme donne aux réformistes la légitimité pour proposer des remèdes et, ce faisant, acquérir une position d’autorité. Cette thèse ne leur est pas propre : ils la partagent avec bien des Occidentaux, savants orientalistes, dirigeants, administrateurs coloniaux. Tous se sentent investis d’une « mission de civilisation » qui les amène soit à collaborer, soit à entrer en concurrence. Dans la lutte contre le despotisme sous toutes ses formes, les tenants de l’islāh se méfient de la thawra, de la révolte ou de la révolution, voire de l’activisme de Jamāl al-Dīn al-Afghānī qui trempa dans l’assassinat de Nāser ed-Dīn, en 1896. Légalistes par conviction et par pragmatisme (ils ont vu à quoi avait mené la révolte de l’officier égyptien ‘Urābī Pacha contre le khédive Tawfīq en 1882 : à l’occupation de son pays par les Britanniques), ils se conçoivent aussi comme une élite intellectuelle très méfiante envers le peuple d’où l’ignorance, la superstition, l’attachement aveugle à la coutume – tout ce qui constitue, selon eux, le terreau du despotisme - n’auraient pas encore été extirpés. Si beaucoup saluent la révolution jeune-turque en 1908, c’est précisément parce qu’il s’agit d’abord d’une restauration, celle de la Constitution ottomane de 1876, obtenue sans effusion de sang. Ils n’y voient pas une thawra (malgré le rôle évident de l’armée) mais un inqilāb, soit le renversement de l’ordre injuste au profit de la liberté et du renouveau de l’esprit de réforme.

Lutter contre le despotisme, ce n’est donc pas faire la révolution, mais éveiller, mobiliser et, par-dessous tout, éduquer. Les réformistes croient aux vertus de l’éducation (tarbiya) et de l’orientation religieuse (irshād, hidāya), essentielles, selon eux, dans la marche vers la civilisation. D’un côté, ils plaident pour une réforme des institutions éducatives – la famille, l’école -, de l’autre ils se font eux-mêmes éducateurs. Ils s’adressent à deux types de public : d’une part les élèves des nouvelles filières scolaires dont ils craignent la sécularisation ou la méconnaissance de l’arabe littéraire ; d’autre part, la foule des étudiants qui fréquentent madrasas et mosquées et leur paraissent menacés par la restriction des débouchés, la paupérisation, le manque de culture générale. Leur objectif est d’instruire les premiers de leur religion, de leur histoire et de leur langue, et de réformer les lieux d’apprentissage des seconds en y introduisant matières profanes, cycles d’études et nouvelles méthodes pédagogiques (la salle de classe, le tableau noir, l’encouragement à la réflexion personnelle).

Rien d’original à cette obsession éducative qui témoigne d’une vision libérale de la société et de l’impact du darwinisme social : l’idée est de former le « caractère » des individus de façon à ce qu’ils composent tous ensemble une société de progrès. On agit sur les individus pour refaçonner le corps social et créer une nation de citoyens, apte à survivre dans la compétition mondiale. Ce qui est intéressant, c’est comment cette vision, qui n’a rien de spécifique au monde méditerranéen arabe et ottoman, entre en résonnance avec la culture musulmane. Les réformistes centrent leur projet éducatif sur l’adab - tout à la fois connaissance des belles-lettres, politesse et respect des bons usages religieux et sociaux - et les akhlāq - les mœurs, le système éthique, mot également donné à la fin du XIXe siècle pour équivalent de la notion de « caractère » (character en anglais). En voulant « former le caractère » (tahdhīb al-akhlāq dans la traduction arabe) de leurs ouailles, de leurs élèves et de leurs lecteurs, les réformistes sont donc lancés dans une entreprise de redéfinition des normes sociales et de l’éthique musulmane en vue de constituer une société « civilisée » (on dira à partir des années 1950 « développée »). En ce sens, les réformistes sont d’abord des moralistes.

Leur projet est de transformer la « classe moyenne » (al-tabaqa al-wustā) à laquelle ils s’adressent et qu’ils désignent eux-mêmes ainsi en une nouvelle élite d’udabā’, c’est-à-dire de détenteurs de l’adab. L’expression de « classe moyenne » traduit le concept anglais de middle class en un temps où émergent effectivement de nouvelles couches urbaines instruites et enrichies par le commerce, l’industrie ou l’exercice de professions libérales. Elle réactualise aussi une division sociologique ancienne entre la ‘āmma (la masse) et la khāssa (l’élite). La classe moyenne, dans le discours réformiste, vient s’insérer entre ces deux groupes : issue du premier, elle a vocation à se substituer au second par son instruction et la claire conscience de son identité musulmane, arabe ou ottomane. La masse serait le lieu résiduel de l’ignorance, du despotisme et de la superstition ; quant à l’élite, elle serait la proie de ce que l’on appelle le tafarnuj en arabe et le mode de vie alafranga en turc ; en un mot elle serait la victime de l’occidentalisation, cible privilégiée des caricaturistes et des romanciers :fascinée par tout ce qui vient des « Francs » (Ifranj) ou Européens, adoptant parfois leurs langues dans les échanges quotidiens, portant le chapeau et consommant de l’alcool, elle serait menacée de déperdition identitaire. Entre la « masse » et « l’élite », entre « conservateurs » (jāmidūn) et « dénégateurs » (jāhidūn) de la religion, les détenteurs de l’adab incarneraient la renaissance nationale et communautaire (nahda en arabe) : ils seraient les hommes du juste milieu, instruits dans leur langue, lecteurs de la presse, ouverts sur le monde, curieux des dernières découvertes, fiers de leur identité, bons Arabes, sujets ottomans loyaux, pieux musulmans. Cette forme de culture moderne n’est pas l’apanage des hommes mais devrait être transmise aussi aux femmes à l’émancipation desquelles tous les réformistes appellent, en leur assignant dans le même temps un rôle contraignant de gardiennes de l’identité. Ils fixent les contours de la nouvelle famille musulmane idéale, composée d’un couple de parents, d’un père conscient de ses devoirs, d’une mère instruite et bonne maîtresse de maison, et de nombreux enfants parfaitement éduqués.

Chez les réformistes, la dénonciation de la coutume et des modes occidentales entre dans le cadre d’un rejet général de l’imitation (taqlīd) au profit de la « liberté de conscience » (istiqlāl al-damīr)ou, dans l’ordre juridique musulman, de l’ijtihād. Les ulémas réformistes plaident pour un renouveau de l’ijtihād al-mutlaq, l’ijtihād absolu des fondateurs des quatre écoles juridiques sunnites. Un des procédés pour produire de nouvelles normes est le talfīq ou takhayyur, soit la combinaison de règles en vigueur dans les différentes écoles ou la sélection de la règle la plus adaptée au temps. Un exemple extrême de cette pratique est fourni par l’arrêté du 28 octobre 1917 sur le droit de la famille dans l’Empire ottoman. Le mariage et sa dissolution restent en principe régis par le fiqh mais les dispositions légales sont sélectionnées dans différentes écoles juridiques, généralement à l’avantage des femmes. La loi est supposée en outre s’appliquer aux non-musulmans pour lesquels elle inclut des dispositions particulières.

Si l’ijtihād du législateur ottoman en 1917 va dans le sens de la sécularisation de l’État, d’autres de ses défenseurs sont dans une démarche fondamentaliste : ils voient dans les siècles antérieurs à la naissance des madhāhib un temps d’unité communautaire et d’élan créateur à faire advenir de nouveau, en s’appuyant sur l’autorité des hadiths prophétiques. Ils dénoncent par ailleurs avec une vigueur accrue le culte des saints et accusent les desservants de confréries d’exploiter la crédulité des fidèles. Leurs attaques rappellent celles des wahhabites mais sont mues par une exigence de rationalité : ils veulent donner de l’islam une image policée, souligner sa compatibilité avec la civilisation et la science, mettre en valeur « l’esprit libéral du Coran » - pour reprendre le titre d’un livre en français, co-signé par Tha‘ālibī (Benattar et al., 1905).De leur côté, les ulémas réformistes chiites comme Muhsīn al-Amīn, dénoncent moins les abus du soufisme et le culte des saints – saints dont les imams fondateurs du chiisme font partie -que les rites les plus spectaculaires de‘Ashūrā (la commémoration du martyre de l’imam Hussein), c’est-à-dire les processions de flagellants et la représentation théâtrale de l’événement ou ta‘ziye.

La diffusion de telles idées ne va pas sans résistance. Pour les uns - les « radicaux » (Khuri-Makdisi, 2010), les laïcs, les scientistes, les premiers Syriens à se dire socialistes tels le médecin publiciste Shiblī Shumayyil (v. 1850-1917) et le journaliste Farah Antūn (1874-1922), lequel se lance en 1903 dans une controverse fameuse avec Muhammad ‘Abduh à propos de la philosophie d’Averroès -, elles sont timides, les tenants de l’islāh restant prisonniers de leur foi, de leur moralisme ou de leur élitisme. Pour les autres, elles sont dangereuses et menacent la transmission du corpus islamique. En tant que quête d’un « juste milieu », le réformisme lui-même n’est pas monolithique mais se positionne entre deux extrêmes nécessairement mouvants. La ligne de partage entre le « musulman moderne » et « le renégat occidentalisé » n’existe pas objectivement mais dépend du contenu que chacun donne à la modernité. Quant au conservatisme, si vigoureusement dénoncé par les réformistes et incarné par des ulémas de haut rang comme le Palestinien Yūsuf al-Nabhānī (1849-1932) (Ghazal, 2016),le Turc Mustafa Sabri (1869-1954) (Nam, 2009), ou, en Iran, Fazlollāh Nūri (1843-1909), il peut apparaître comme une composante de la modernité. Le conservatisme se positionne par rapport à cette dernière. C’est une attitude qui, en rejetant idéologiquement, philosophiquement ou politiquement la modernité, encourage le militantisme par les mêmes moyens que les réformistes : presse, constitution d’associations et de partis politiques, investissement des Parlements.

 Des années 1920 aux années 1940 : un temps d’élaboration conceptuelle

Dans les années 1920 et 1930,l’esprit de réforme s’impose dans le débat et le nourrit de ses infinies nuances. En raison du contexte, le ton se fait plus combatif. À l’Empire ottoman battu en 1918, succèdent la république turque et des États arabes, pour partie créés dans le cadre de mandats donnés par la SDN à la France et à la Grande-Bretagne. Disputée par deux nations, juive et arabe, la Palestine devient une grande cause islamique dans les années 1930. L’abolition du Califat par l’Assemblée nationale turque le 3 mars 1924 détruit un lien symbolique entre l’islam et l’État et ouvre la voie, en Turquie, à un régime de laïcité et à une révolution des signes dont l’abolition du fez et la latinisation de l’alphabet sont des mesures-phares. En 1922, l’Égypte accède à une forme d’indépendance et en 1923, est le premier pays arabe (l’expérience tunisienne de 1861-1864 mise à part)à se doter d’une Constitution. Quant à l’Afrique du Nord sous domination coloniale, elle est gagnée par le nationalisme. Les protectorats marocain et tunisien et l’assimilation - du reste très inaboutie - de l’Algérie à la France sont remis en cause.

Les bouleversements sociaux ne sont pas moindres. Les besoins des combats nationalistes justifient jusqu’à un certain point l’irruption des femmes dans la vie publique. Amorcé pendant la Première Guerre mondiale en Turquie, leur dévoilement se poursuit en Égypte dans les années 1920, en Irak, en Syrie et au Liban au début des années 1930, au Maghreb dans les années 1940 et 1950. En Iran, il est soutenu par un pouvoir autoritaire qui, le 8 janvier 1936, impose à toutes les femmes de ne paraître en public que le visage découvert. Autres nouveaux acteurs : les jeunes, qui sont de plus en plus nombreux du fait de la croissance démographique et dont l’éducation est une priorité nationale dans tous les États. La soif d’instruction, y compris religieuse, est vive : y répondent des best-sellers comme Hayāt Muhammad (La Vie de Muhammad), ouvrage de l’écrivain égyptien Muhammad Husayn Haykal (1888-1956) qui renouvelle le genre de la sīra, une presse islamique en plein essor à laquelle le Manār sert de modèle, et des associations qui tiennent de la confrérie soufie dans leur organisation et dans les liens étroits entre dirigeants et membres, mais s’en distinguent par leurs activités : elles n’offrent ni dhikr, ni litanies, ni possibilité d’union mystique avec Dieu, mais une catéchèse et une guidance morale, voire une possibilité d’action sur le terrain social et politique. Elles se placent sur le terrain de la da‘wa, de la mission et de la prédication au sein de sociétés en voie de sécularisation. Elles ont parfois un projet politique comme les Frères musulmans, fondés à Ismaïlia en Égypte par Hasan al-Bannā (1906-1949) en 1928, et l’Association des ulémas musulmans algériens, que lance en 1931,à Alger, un cheikh de Constantine, ‘Abd al-Hamīd ibn Bādīs (Ben Badis, 1889-1940) : son but est de réveiller l’identité musulmane des Algériens par l’enseignement de la langue arabe et de l’histoire de l’Algérie d’une part, et par la promotion d’une religion à la fois rationnelle et puritaine d’autre part (Merad, 1967 ; McDougall, 2006).

Dans la mouvance réformiste, les lignes de fracture sont plus visibles. Si en dehors de la Turquie, le modèle kémaliste de rupture avec l’Empire ottoman et la culture islamique de l’État fait peu d’adeptes, beaucoup d’hommes politiques et d’intellectuels arabes sont prêts en revanche à justifier un régime à l’égyptienne où l’islam, certes, est religion d’État, où les députés se refusent à suivre leurs collègues d’Ankara et à abolir le fez au profit du chapeau, mais dont la législation emprunte ouvertement à différentes sources. Telle est l’attitude, en Égypte même, des partis Wafd et libéral-constitutionnel, des intellectuels qui en sont proches comme Muhammad Husayn Haykal et Taha Hussein (1889-1973), et de l’uléma azharien ‘Alī ‘Abd al-Rāziq (1888-1966), lequel assure dans L’islam et les fondements du pouvoir, un ouvrage paru en arabe en 1925, que le Califat est une construction humaine, non une donnée de la Révélation, et que les musulmans peuvent adopter tout régime ayant fait ailleurs ses preuves (Abderraziq, 1994). Sur le plan social, les mêmes sont généralement favorables au dévoilement des femmes et se montrent prêts à scolariser leurs enfants dans des écoles privées étrangères pourvu qu’elles leur assurent des débouchés corrects. Dans ce courant, en Égypte ou ailleurs, on ne réduit pas nécessairement la religion à une affaire privée et l’on peut admettre qu’elle reste productrice de normes sociales, voire de normes juridiques, notamment dans le domaine du droit de la famille. On se place plutôt sur le terrain de la liberté : liberté de soumettre les Écritures à la critique scientifique ; liberté de proposer de nouvelles exégèses du Coran ; liberté pour les femmes de se voiler ou non ; liberté de penser et de débattre. Au nom de cette liberté, on est prêt à prendre des risques, à affronter le scandale, à publier des livres anticonformistes : L’islam et les fondements du pouvoir ci-dessus évoqué en est un, tout comme un célèbre ouvrage de Taha Hussein sur la poésie anté-islamique - jusqu’alors tenue pour sacrée parce qu’ayant fixé la langue du Coran -, ou encore Dévoilement et voile (Al-sufūr wa l-hijāb, 1928), ouvrage d’une jeune Libanaise, Nazīra Zayn al-Dīn (1908-1976), qui cherche à imposer une parole féminine dans le domaine de l’interprétation coranique jusqu’alors réservé aux hommes (Dakhli, 2010).

D’autres réformistes, tels Rashīd Ridā ou Hasan al-Bannā, plaident au contraire pour la mise en œuvre de régimes islamiques fondés sur la sharī‘a et en trouvent un modèle dans la nouvelle Arabie Saoudite qui n’a d’autre Constitution que le Coran et la Sunna, ce qui n’empêche guère ses dirigeants de l’ouvrir à la technologie moderne. Ils craignent la sécularisation des États comme la marginalisation sociale de l’islam, et fixent à l’émancipation des femmes d’autres conditions que les libéraux : derrière le dévoilement (sufūr), qu’ils voient comme un attentat à la pudeur, ils abhorrent le travail en dehors du foyer, la mixité des sexes, et, surtout, « l’occidentalisation », synonyme pour eux d’aliénation. L’idéal d’orthodoxie et d’orthopraxie se renforce, selon les cas par rationalisme, par puritanisme ou par nationalisme, pour affirmer une identité islamique homogène face aux Empires coloniaux européens. Le temps est à la production d’une « culture de masse » islamique servie par des médias qui s’étendent à la radio à partir des années 1930.

C’est alors que des mots font leur apparition pour décrire ce qui se passe dans l’ordre de la pensée et de l’action islamiques, pour mettre en valeur les tendances et les débats que la presse a suscités ou révélés. Introduite notamment par Ridā dans les années 1910, la notion de « parti de la réforme » (hizb al-islāh) se répand dans l’entre-deux-guerres. Des gens s’en réclament, se définissant explicitement comme réformistes (muslihūn) : on songe notamment à des ulémas sunnites de la mouvance Ibn Bādīs ou même à des ulémas ibadites d’Algérie (A. Jomier, 2015) qui cherchent ainsi à asseoir leur autorité morale et à se positionner en porte-parole vigilants de l’opinion musulmane auprès des autorités françaises. Autre mot destiné à une grande fortune : la salafiyya (salafisme), dont l’élaboration conceptuelle a été récemment retracée (Lauzière, 2010 et 2016).Salafiyya renvoie au salaf al-sālih (pl. aslāf), « le pieux devancier », expression qui désigne les musulmans des premières générations de l’islam : encore proches du temps de la prophétie, ceux-ci symbolisent une sorte de dynamique religieuse que des ulémas réformistes comme Muhammad ‘Abduh entendaient retrouver. Se référer aux aslāf ne signifie pas pour autant être salafī  : ce terme fut longtemps réservé aux musulmans qui adhéraient à la théologie hanbalite - formulée notamment par Ibn Taymiyya - plutôt qu’au ash‘arisme dominant dans le sunnisme. Des salafī-s, dans ce sens technique, il y en avait quelques-uns parmi les ulémas de Damas ou de Bagdad mentionnés ci-dessus : ainsi pouvaient-ils établir la compatibilité entre l’islam le plus orthodoxe et la science. C’est l’un de leurs disciples, Muhibb al-Dīn al-Khatīb (1886-1969), qui popularise le mot, en fondant au Caire entre 1909 et 1919 une librairie, puis une maison d’édition et une revue, qu’il qualifie tour à tour de salafiyya : al-Maktaba al-salafiyya (la Librairie salafiyya), al-Majalla al-salafiyya (la Revue salafiyya), al-Matba‘a al salafiyya (l’Imprimerie salafiyya). Dans les années suivantes, l’adjectif ou le nom salafī (salafiyya au féminin) est de plus en plus usité. On le trouve par exemple dans le Manār, la revue de Ridā, ou dans le Shihāb(Le Météore), une revue fondée par Ibn Bādīs à Constantine dans les années 1920. Son sens s’élargit : être salafī, c’est aussi rejeter les madhāhib et rechercher un mode de vie islamique idéal qu’on oppose au mode de vie à l’occidentale.

Le terme attire l’attention des orientalistes, tels Louis Massignon (1883-1962) et surtout Henri Laoust (1905-1983), qui publie en 1932 dans la Revue des études islamiques un article séminal intitulé : « Le réformisme orthodoxe des ‘salafiya’ ». Laoust y présente les salafiya (salafiyya)comme une école fondée par Muhammad‘Abduh et Jamāl al-Dīn al-Afghānī et trouvant ses prolongements dans des titres de la presse égyptienne des années 1920 qu’il analyse finement : Al-Manār, Al-Fath(La Conquête) - une revue lancée au Caire par Khatīb en 1927 - et les journaux des Frères musulmans. Que ces publications aient constitué un mouvement identifié, celui des salafiyya ou salafistes, comme semble le dire Laoust, paraît aujourd’hui moins que sûr (cf. Lauzière). De fait, à l’heure actuelle, l’étiquette « salafiste » renvoie à autre chose : soit au wahhabisme, soit à des groupes socialement très conservateurs et philosophiquement dans un rejet de la modernité. En baptisant son entreprise salafiyya, Khatīb avait sans doute fait un choix plus commercial qu’idéologique : ce nom parlait à l’imagination et à la culture des musulmans. Pas d’école salafī-e donc, mais, de toute évidence, outre un usage croissant du terme, des accointances idéologiques entre Khatīb, Ridā, les Frères musulmans et même, jusqu’à un certain point, les wahhabites. Tout en attribuant à tort à Muhammad‘Abduh la paternité de la salafiyya, Laoust, qui est un spécialiste d’Ibn Taymiyya, perçoit bien la montée, dès la fin des années 1920, d’un réformisme qu’il appelle« orthodoxe », « puritain » ou « militant ».

« Réformisme » : tel est aussi un mot que Laoust contribue grandement à imposer dans l’usage académique français. Dans les années 1930, il fait fortune en Algérie où les autorités l’emploient pour décrire le programme et les activités de l’Association des ulémas musulmans algériens, celle-là même qui, dans ses écrits en arabe, se réclame de plus en plus du parti de l’islāh. « Réformisme » devient la traduction consacrée d’islāh. Publiée dans les années 1970, l’entrée « Islāh » (1ère partie : monde arabe) de l’Encyclopédie de l’islam (2e édition) est tributaire de ce double héritage, celui de Laoust et celui de l’Algérie de l’entre-deux-guerres. Son auteur, Ali Merad (1930-2017), universitaire franco-algérien lui-même engagé dans un projet de réforme de l’islam, analyse l’islāh principalement à partir des écrits de Rashīd Ridā et d’Ibn Bādīs dont il est un spécialiste (Merad, 1967).

En anglais, on parle plutôt de modernism, terme qui n’est pas synonyme de « réformisme ». Dans Les tendances modernes de l’islam (1949), un ouvrage initialement paru en anglais deux ans plus tôt, l’orientaliste britannique Hamilton Gibb (1895-1971) définit les modernistes comme « ceux qui se soucient, parfois profondément, de leur religion mais sont souvent, à des degrés divers, offensés par le dogmatisme traditionnel et par l’insistance avec laquelle les conservateurs sanctifient les institutions sociales traditionnelles du monde musulman » (Gibb, 1949, 71). Il résume le programme moderniste en quatre points : purification de l’islam des influences et des pratiques corruptrices ; réforme de l’enseignement supérieur musulman ; reformulation de la doctrine islamique à la lumière de la pensée moderne ; défense de l’islam contre les influences européennes et les attaques chrétiennes dans les domaines de la doctrine, des institutions et de la vision de l’histoire (ibid., 45). Ceci s’appliquerait tout aussi bien aux réformistes ou aux salafiyya de Laoust. Gibb insiste pourtant sur des penseurs plus libéraux que ceux étudiés par Laoust et est de surcroît tourné vers l’Inde. Ses modernistes sont Muhammad ‘Abduh, ‘Alī ‘Abd al-Rāziq et de nombreux musulmans indiens : Sayyid Ahmad Khan (1817-1898), Sayyid Amir Ali (1849-1928), Shibli Nu‘mani (1857-1914), Muhammad Iqbal (1877-1938). De Ridā, Gibb dit qu’il est un « moderniste néo-hanbalite », « un fondamentaliste qui se dit réformiste » (ibid., 76).

Si imparfaites soient-elles - pour ne pas dire qu’elles obscurcissent l’analyse – ces élaborations conceptuelles témoignent d’un échange constant entre les penseurs et activistes musulmans d’une part, et les discours scientifiques sur lesdits penseurs et activistes d’autre part. Co-produites et retravaillées d’une langue à l’autre, elles disent quelque chose du bouillonnement religieux et intellectuel du monde musulman et de la culture du débat des années 1920 aux années 1940. Elles traduisent un rapport diversifié à la religion et des formes très variées, voire opposées, de repositionnement par rapport à la tradition islamique. Elles signalent une quête morale et identitaire et un besoin d’approfondissement théologique et philosophique qui ne cessent, depuis, de traverser le monde musulman.

ANNE-LAURE DUPONT

 Bibliographie

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Articles scientifiques traités comme des sources primaires

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Sources secondaires

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Pour citer :
Anne-Laure Dupont, « Islah : le réformisme musulman moderne », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, avril 2018, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Islah