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Anthropos

L’humain, l’homme civilisé et les cultures des autres dans la Grèce classique

Dans un essai consacré à la catégorie de l’humain, Thomas W. Laqueur (1999) montre que, pour le XVIIIe siècle anglo-saxon, le concept d’« humain » correspond à trois termes et donc à trois acceptions différentes :

– « human » désignant l’être humain dans sa spécificité, en tant que membre du genre humain ;
 
– « humane » pour se référer à l’homme compatissant et bienfaisant ;
 
– « humanity » pour désigner la bonté humaine et par conséquent la charité.

Il fonde sa brève recherche sémantique en particulier sur la lecture de l’Essay on the Slavery and Commerce of the Human Species, particularely the African de Thomas Clarkson (Londres, 1785). Dans la perspective de l’Enlightment anglo-saxon, l’humain et l’humanité sont donc envisagés dans une perspective d’éthique philosophique et sociale : l’homme comme « co-homme » (comme Mitmensch – ajoute Laqueur dans une sorte d’anachronisme culturel).

Or si le terme humanisme n’apparaît qu’au début du XIXe siècle pour désigner « le culte de tout ce qui est de l’homme » et pour l’attribuer en propre à l’Europe d’inspiration chrétienne, les représentants des Lumières s’étaient employés à donner de l’être humain une définition moins orale que psychologique et juridique : libéré de la tutelle des institutions (monarchiques et ecclésiastiques) l’homme est donné de manière universelle, comme un individu autonome, doué de raison ; c’est une personne disposant d’une part d’une intériorité affective et intellectuelle, d’autre part d’une pluralité de libertés individuelles adossées à un certain nombre de droits, également partagés et universellement reconnus. À vrai dire, ni la qualité d’humain comme compassion de l’homme à l’égard de ses congénères, ni la définition de l’homme par l’intermédiaire de droits à exercer dans une liberté universelle ne sont très familières à une pensée grecque classique qui est toujours une pensée pratique, à l’écart de la spéculation philosophique abstraite ; surtout quant il s’agit d’appréhender, au sens premier de l’humanisme, ce qui fait d’un être humain un homme en général, de sexe mâle ou de sexe féminin.

Il convient ici, une fois encore, de se plier à l’effort de traduction transculturelle que requiert l’approche d’une culture distante (Calame 2002) ; ceci dans la pleine conscience que cette exigence anthropologique est nécessairement orientée par le paradigme idéologique du moment, avec l’obsession de l’individualisme contemporain quant au développement compétitif d’un « self » essentiellement tourné vers l’extérieur. En plus d’une cosmologie, chaque culture dispose d’une anthropologie en tant que conception de l’être humain (soi-même et les autres), donc d’un « humanisme » ou d’une « humanity » (à aborder de manière comparative comme le fait par exemple Lloyd, 2012, p. 8-30). Quelle est donc, pour les Grecs anciens, la conception de l’homme (et de ses actions) qui, explicitement ou non, apparaît de manière polymorphe dans les différentes formes de discours qui le mettent en scène ?

En guise de prélude, l’Athènes des sophistes, à la fin du Ve siècle. Thucydide y introduit son traité sur l’affrontement entre gens du Péloponnèse et Athéniens par une déclaration programmatique célèbre : « Tous ceux qui voudront soumettre à un examen clair les actions passées aussi bien que les actions qui dans le futur présenteront à leur tour des ressemblances en vertu de leur caractère humain, il leur suffira de les juger utiles. Leur réunion constitue un acquis pour toujours davantage qu’un morceau de bravoure destiné à une audition immédiate » (Thucydide 1, 22, 4 ; cf. Hornblower 1991, p. 59-62). Tò anthrópinon  : moins nature humaine que comportement de l’homme ou condition humaine ; attitude propre à l’être humain qui fait que les actes passés des hommes permettent non pas de prédire, mais de comprendre le futur ; caractère partagé de l’homme qui sert à l’historien de critère de vraisemblance dans la narration du passé éloigné et du passé touchant au présent. Les jugements qu’occasionnellement, et souvent implicitement, l’historien formule à propos des actions narrées en portent la marque. Si nous hésitons par exemple à traduire l’expression hos eikós par « comme il est vraisemblable » ou par « comme il est naturel », c’est qu’il s’agit précisément, par comparaison, de conjecturer ou de juger d’un action obéissant à des mobiles inscrits dans « l’humain » (pour le sens à donner à ces deux expressions, voir Hornblower 1987, p. 75-76 et 106-107).

À cette commune « nature humaine » appartiennent notamment violence, pulsions et volonté de domination ; un instinct de domination que, dans leur dialogue avec les Méliens, les Athéniens réfèrent à la nécessité d’une nature qu’ils opposent avec la convention d’une règle établie par les hommes (nómos). Le constat à l’issue des premiers affrontements d’une guerre considérée comme une guerre civile, entre Grecs, est sans appel : « En raison des dissensions internes, de nombreux maux s’abattirent sur les cités comme il s’en produit et comme ils adviendront toujours aussi longtemps que la nature humaine (he phúsis anthrópon) restera la même, des maux qui augmentent ou qui s’apaisent, des maux dont les formes varient suivant les changements affectant les conjonctures » (3, 82, 2). Pour Thucydide, la « nature des hommes » est attachée à l’esprit de domination (voir encore, par exemple, 1, 76, 3 ainsi que 4, 61, 5-6 et 5, 105, 2, où les Athéniens associent les dieux aux hommes dans cette pulsion « naturelle » de domination qu’ils opposent à une loi !).

 Genre humain et civilisation des hommes dans la poésie homérique

Par l’intermédiaire du terme ánthropos utilisé génériquement au singulier ou collectivement au pluriel, la classe des hommes en tant qu’êtres humains semble bien correspondre à une catégorie indigène ; et ceci déjà dans la poésie homérique où le genre humain se définit par la mortalité, en contraste avec l’immortalité des dieux. Avertissant Diomède dans ses tentatives d’abattre Énée, Apollon le proclame de sa voix frappante : « Prends garde, fils de Tydée, recule ! Ne nourris pas des intentions égales à celles des dieux ! Jamais la race (phûlon) des dieux immortels et la race des hommes qui marchent sur le sol ne seront égales » (Homère, Iliade 1, 272). Étymologiquement, il y a donc entre les immortels et les mortels une différence de nature, de l’ordre du phúein. Et le critère de la distinction est d’ordre spatial : si les dieux habitent l’Olympe ou plus généralement dans le ciel, les hommes évoluent sur la terre comme l’atteste notamment l’emploi du qualificatif epikhthónios. Désignant l’homme en général dans la poésie homérique, ce qualificatif peut aussi s’appliquer aux brotoí qui deviennent alors « les terrestres mortels » ; au critère distinctif de l’existence terrestre s’ajoute donc celui, essentiel, de la mortalité (voir par exemple Iliade 5, 440-442). Ainsi avant de s’engager en duel contre Glaucos qu’il ne connaît pas et cherchant à identifier son adversaire, le farouche Diomède tire la leçon de l’avertissement d’Apollon et situe d’emblée le combattant troyen du côté des « hommes mortels » (katathnetoì ánthropoi) par opposition aux « immortels qui descendent du ciel », divinités célestes (Iliade 6, 119-129) Les brotoí, mortels que distingue leur régime alimentaire, s’opposent donc aux immortels ámbrotoi (cf. p. ex. Iliade 22, 8-9, Odyssée 1, 31-32 et 5, 195-197) dans une double dénomination fondée sur la même racine que le latin mortuus. Pindare lui-même (Pythique 10 28) connaît un éthnos brotón, un « peuple mortel ».

Mais dans la même Iliade, on apprend aussi par la bouche d’Agamemnon que le genre humain se divise en hommes et en femmes qui peuvent s’unir d’amour réciproque sur une couche commune. La distinction sémantique entre ánthropos et anér permet en effet aux Grecs de distinguer l’homme comme Mensch de l’homme comme Mann. Si on ignore tout de l’étymologie du premier terme, la comparaison linguistique dans le champ indo-européen attribue au second les qualités de force et de courage du guerrier ; quant à guné, l’étymologie savante ne peut qu’associer ce terme à une féminité très générale, peut-être en relation avec l’épouse comme objet de quête (Iliade 9, 132-134 ; cf. Chantraine 1968, p. 87-91).

Qu’il s’agisse d’êtres de sexe masculin ou féminin, c’est en particulier en contraste avec la divinité que, dans l’Odyssée, Ulysse tente de définir les différentes personnes auxquelles le confronte ses errances dans la Méditerranée occidentale ; sans point de repère géographique par rapport à la Grèce homérique, cet espace correspond largement à une géographie de conte et de fiction. Sur son île flottante, Éole, cher aux immortels, vit comme un dieu. Avec son épouse et ses six filles qu’il a données en mariage à ses six fils, il vit dans les réjouissances du banquet le jour et du lit partagé la nuit, en pleine endogamie. Et quand le compagnon envoyé par Ulysse en éclaireur sur l’île de Circé perçoit la beauté de la voix qui émane de la demeure de la nymphe, il se demande s’il s’agit d’une déesse ou d’une femme ; finalement pourvue de pouvoirs de séduction d’origine divine, Circé n’approche les hommes mortels que pour les transformer en animaux ou s’engager avec eux en une relation érotique qui oppose la belle magicienne à l’épouse fidèle attendant auprès du foyer domestique le retour de l’époux parti guerroyer (Odyssée 10, 1-12 et 10, 226-228 ; voir encore 10, 251-257 ainsi que 12, 143 et 150 ; on se référera à ce propos à Pucci 1998, p. 131-178). La confrontation narrative avec des êtres atypiques dans une géographie largement fictive invite donc à une définition implicite de l’humain. Par rapport aux immortels naturellement, mais également par contraste non pas avec les animaux, mais avec des êtres plus ou moins sauvages. On se souviendra sans doute que, pour Ulysse racontant ses aventures comme un aède à la cour des Phéaciens, les puissants Lestrygons ressemblent davantage aux Géants qu’à des hommes (ándres  ! Odyssée 10, 118-120) – ces Géants que la Théogonie d’Hésiode (50 et 185-186, cf. West 1966, p. 173 et 220-221) fait naître en soldats d’une grandeur exceptionnelle tout en les associant à l’espèce des hommes ; ces Géants qui, avec les Phéaciens mais aussi avec les Cyclopes, partagent d’ailleurs un proximité avec les dieux, selon les termes mêmes employés par Alcinoos dans l’Odyssée (7, 201-206)  ; ces Géants qui néanmoins sont organisés en des « tribus sauvages », représentant un peuple de mortels violents (7, 59-60 ; cf. Baldry 1965, p. 8-16).

Parents des Géants sont donc aussi les Cyclopes, qui bénéficient de la part d’Ulysse d’une description beaucoup plus articulée. D’emblée ces êtres monstrueux sont présentés comme des êtres violents, ne reconnaissant ni lois, ni dieux ; donc pas d’assemblées, pas de vie sociale ni politique, pas de pratiques cultuelles chez les Cyclopes qui vivent isolés les uns des autres ; mais pas non plus d’agriculture, sinon du blé et de la vigne qui poussent spontanément, comme à l’âge d’or ; pas davantage de navigation, et donc ni artisanat, ni commerce. L’approche de Polyphème va préciser le portrait ; vivant seul dans une caverne comme chacun de ses congénères, le géant à l’œil unique va se révéler être un berger soucieux de ses troupeaux de brebis et de chèvres, certes, mais niant les lois de l’hospitalité et ignorant la règle civilisée du vin mélangé et partagé. Reconnaissant l’autorité d’un seul dieu, son père Poséidon qui ébranle la terre, il va aussi agir comme un redoutable anthropophage. Comparable à un pic boisé au milieu des montagnes, il n’a donc rien de l’homme « mangeur de pain » (Homère, Odyssée 9, 105-135 et 187-192 ; cf. Pucci 1993/1998 et Calame 1985/2008).

C’est donc bien par le régime alimentaire que l’homme se distingue en tant qu’être civilisé du supra- ou de l’infra-humain. En plus du partage du vin en général sous l’égide de Dionysos et des viandes après l’acte sacrificiel qui reproduit les gestes du partage rituel opéré par Prométhée entre les hommes et les dieux, est essentiel tout le processus de la production du blé et de la fabrication du pain. Dans l’approche des Lôtophages mangeurs de la fleur d’oubli tout comme dans le premier contact avec les Lestrygons anthropophages, la question est de savoir s’il s’agit bien d’hommes « mangeurs de pain » (Odyssée 9, 82-97 et 10, 100-117 ; le caractère central du régime alimentaire entre partage des viandes sacrifiées et régime « au blé moulu » a été montré par Vernant 1979 ; voir aussi Vidal-Naquet 1970/1983). Non contente d’impliquer tout le processus de l’activité agricole et de l’action civilisatrice de Déméter, la présence des céréales et de différentes formes de galettes dans les pratiques du culte et du banquet signifie l’action commune et socialisée des hommes autant pour leur survie alimentaire que dans la communication réciproque. À la cour d’Alcinoos le roi des Phéaciens, les interventions de l’aède Démodocos puis les récits épiques d’Ulysse lui-même ont pour cadre un banquet où abondent galettes de pain, morceaux de viande et grands crûs (Odyssée 9, 5-18). De même en va-t-il chez Circé qui célèbre le retour d’Ulysse et de ses compagnons descendus dans l’Hadès par un repas marqué par du pain, des viandes nombreuses et un vin rouge sombre avant que la divine magicienne ne prenne la parole pour indiquer à Ulysse, en divinatrice, les écueils dont est parsemée la voie du retour vers Ithaque ; ce retour signifie, pour le héros mortel, le refus de l’immortalité successivement offerte par les femmes divines qui tentent de le retenir en leur demeure solitaire (Odyssée 12, 16-27 ; cf. Segal 1964/1994).

Ainsi, dans l’Iliade aussi bien que dans l’Odyssée, l’humain est identifié, par le biais de la narration et de la figuration épiques, à la série des pratiques de commensalité et des relations sociales impliquée par la nécessité de survivre à la condition fondamentalement précaire de l’homme, une condition fondée sur la mortalité. Loin de se définir en rupture avec un « Autre » érigé en altérité « radicale », les hommes partagent avec les dieux aussi bien qu’avec les êtres violents que le récit théogonique d’Hésiode donne comme plus anciens que les mortels de nombreux traits communs, en bien et en mal. Il en ira de même à l’intérieur du genre humain quand la curiosité ethnographique doublée de la conjoncture historique permettra à Hérodote de comparer les manières d’être des Grecs avec celles de leur voisins immédiats et beaucoup plus lointains ; les réflexions de caractère anthropologique sur le caractère largement relatif des coutumes des peuples de la terre habitée sont coiffées par la reconnaissance de l’existence d’une nature humaine ; cette phúsis soumet tous les hommes, quelle que soit leur appartenance ethnique et culturelle, aux mêmes renversements de fortune, au même caractère inéluctable du destin de l’homme et à une même loi de justice immanente ! Propres à la conception classique de la condition de mortel, ces brusques revers de fortune animent ce qu’Hérodote dénomme « le cycle des vicissitudes humaines » (3, 65, 4 ; voir aussi 1, 207, 2, dans la bouche de Crésus sauvé du bûcher, ainsi que 7, 46, 2 et 7, 47, 1, sur la brièveté de la « vie humaine »).

Par ailleurs la culture des hommes qui se dessine en filigrane dans le déroulement de l’action guerrière de l’Iliade et dans les parcours géographiques de l’Odyssée, correspond à une vision très grecque de la civilisation, avec les limites assignées à l’homme dans ses contacts avec les dieux aussi bien que dans ses pratiques de mortel. Rappelons encore une fois la définition qu’en donne précisément Hérodote quand il aborde l’ultime épisode de son récit des guerres médiques, au moment où les Grecs divisés en communautés civiques autonomes sont enfin parvenus, dans la confrontation avec les Perses et les barbares, à se reconnaître dans une identité unique : « Un même sang, une même langue, pour les dieux des sanctuaires et des sacrifices communs, mêmes tournures d’esprit et mêmes attitudes » ; c’est ainsi qu’Hérodote définit tò Hellenikón (8, 144, 2). Tout au début de l’Enquête (1, 4, 4), la « grécité » est d’emblée mise en contraste avec les Perses et les peuples barbares, dans une confrontation doublée d’une opposition géographique entre Europe et Asie (cf. Hall 2002, p. 189-194, ainsi que, sur les différentes étapes de cette conscience du Hellenikón, les références données par Fowler 1999).

 La généalogie du genre humain : une « anthropopoiésis » poétique

Tel qu’il semble se dessiner dans les récits homériques, le statut de l’humain ne se définit donc qu’à travers la communication et par le contraste avec d’autres êtres anthropomorphes : dieux d’une part, êtres marginaux de l’autre. Attaché à l’existence éphémère et limitée qu’impose la condition de mortel, ce statut implique le respect d’une série de règles de comportement communautaire qui font d’emblée de l’homme non pas encore un « animal politique », mais un être social. La communication même avec d’autres êtres à forme humaine fait que le statut d’homme mortel connaît des frontières parfaitement perméables. Non seulement l’homme dans sa finitude peut être appelé à partager pour le temps de l’offrande sacrificielle et des réjouissances gastronomiques et musicales qui s’en suivent le bonheur éternel des dieux, mais il est conduit à enfreindre les limites que la condition de mortel lui assigne pour se comporter en être plus ou moins monstrueux ; ceci à d’autant plus forte raison que les protagonistes de l’Iliade et de l’Odyssée sont des héros, engagés dans une action épique fictionnelle, et il appartient au statut même de ces hommes de la légende épique d’outrepasser par certaines de leurs capacités surhumaines les règles de la civilisation des hommes. Tel Achille pratiquant le sacrifice humain pour honorer la mémoire de Patrocle ou traitant le cadavre d’Hector comme l’aurait fait un chien ensauvagé, l’homme civilisé peut se transformer pour un temps en animal sauvage. Par ailleurs, la gloire trouvée dans la mort à l’occasion d’un haut fait accompli grâce à ce pouvoir surhumain peut aussi conférer au héros homérique une forme d’immortalité, soit que son kléos est entretenu par le chant répété de l’aède, soit que tel Ménélas dans l’Odyssée le héros est appelé à éviter de partager le destin d’un Achille ou d’un Agamemnon errant comme des fantômes dans l’obscurité humide l’Hadès pour connaître aux Champs Élysées « la vie la plus facile que puissent connaître les hommes » (4, 565 ; cf. Sourvinou-Inwood 1995, p. 10-107). Même pour qui a franchi le seuil de la mortalité et pour qui est désormais réanimé par les souffles doux du zéphyr dans un éternel printemps, la condition reste celle d’un ánthropos.

Dans la poésie homérique, l’humain n’est donc pas un donné. Non seulement il se construit à travers l’action narrative — c’est une évidence —, mais à l’intérieur même de cette représentation de l’ordre du discursif et du fictionnel la condition humaine se réalise dans des pratiques et des relations qui relèvent de la culture. Ainsi l’ensemble des gestes et habitus qui, du régime alimentaire aux manières de communiquer entre les hommes et avec les dieux, définissent dans la poésie homérique la condition de l’homme civilisé relève de ces pratiques « anthropopoiétiques » qui permettent à l’homme de se développer socialement en être de culture ; pour nous à partir d’une incomplétude constitutive et surtout à partir de capacités neuronales et cérébrales exceptionnelles mais fondamentalement plastiques : « anthropopoiésis » comme catégorie opératoire permettant de comparer dans différentes communautés culturelles les différentes manières que l’homme invente pour se constituer en être social de culture (un concept développé dans la recherche collective d’Affergan, Borutti, Calame, Fabietti, Kilani, Remotti 2003). Dans l’interaction avec les proches, ces différentes pratiques constituent une identité d’ordre organique, collectif et symbolique s’exprimant à travers une série de représentations partagées ; elle correspondent à différents habitus dont l’ensemble, à la fois instable et perméable aux ensembles voisins, est identifié en tant que culture : civilisation non pas sens universalisant du terme, mais comme ensemble de représentations et de pratiques d’ordre relatif (dans la distinction essentielle entre une civilisation postulée comme universelle à partir du siècle des Lumières et la multiplicité relative et mobile des cultures par Wieviorka, 2005 : p. 18-23). Au sein des pratiques d’identité civilisée des Grecs, la poésie représente, dans ses différentes formes narratives ou davantage axées sur l’action cultuelle, l’un des moyens privilégiés d’une fabrication collective de l’humain en tant qu’être de culture. Les récitations publiques ritualisées autant que les performances chorales rythmées par danse et musique donnent aux figurations poétiques et symboliques d’une identité et d’une mémoire culturelles une efficacité anthropopoiétique qui s’exprime sur les plans physiologique, esthétique et intellectuel.

Les poètes grecs ne sont donc pas limités à concevoir et à circonscrire l’homme civilisé par l’intermédiaire du récit des contacts de leurs héros avec différents êtres anthropomorphes, supra- ou infra-humains. Si dans la poésie homérique cette définition anthropopoiétique implicite advient en général en synchronie, l’humain est aussi pensé en termes diachroniques de naissance. Mais paradoxalement seuls des récits mythologiques locaux ou tardifs mettent en scène l’apparition d’un premier être humain. Dans une tradition argienne (Acousilaos d’Argos FGrHist. 2 F 23 a ; cf. aussi Pausanias 2, 15, 5 et 19, 5) le premier homme est Phorôneus ; fils du fleuve et roi d’Argos Inachos, il est l’inventeur du feu (en substitution de Prométhée) et il est le premier à avoir réuni les hommes (déjà !) en communautés alors que, comme les Cyclopes, ils vivaient isolés et dispersés. Un poème épique également argien fait de Phorôneus « le père des hommes mortels » (Phoronide fr. 1 Bernabé ; cf. Hall 1997, p. 78-89). Du côté thessalien, on trouve Deucalion , le fils de Prométhée, l’époux de Pyrrha elle-même fille d’Epiméthée et de Pandôra (!), qui, à l’issue déluge voulu par Zeus pour détruire l’espèce des hommes de bronze, crée les hommes en tant que genre humain : ánthropoi d’emblée divisés en ándres nés des cailloux jetés par-dessus tête par Deucalion, et en gunaîkes nées des pierres jetées de la même manière par Pyrrha, avant que le couple héroïque n’engendre un premier fils qu’ils appellent Hellen, le héros éponyme de la Grèce (selon le manuel de mythographie attribué à Apollodore, Bibliothèque 1, 8, 2 ; cf. Briand 1998). Dans une histoire encore davantage focalisée sur le récit de fondation d’une cité particulière, on peut évoquer la création des Spartes, des « Semés », des hommes qui naissent tout armés des dents du dragon tué à l’occasion de l’action civilisatrice de Cadmos le Phénicien sur le site labouré de la future cité de Thèbes et dont les cinq survivants à l’issue d’une premier conflit sont installés par le héros fondateur comme les premiers citoyens de la ville (Phérécyde d’Athènes, FGrHist. 3 F 22 ; cf. Vian 1963, p. 158-177).

Quelle qu’en soit le mode de réalisation local, la création des premiers êtres humains à proprement parler est non seulement attachée aux premiers temps d’une cité singulière, mais elle est régulièrement accompagnée d’un acte civilisateur à portée politique : synécisme à Argos, éponymie de l’Hellade en Thessalie, institution de la citoyenneté à Thèbes. À tous ces récits il conviendrait d’ajouter naturellement tous les « mythes d’autochtonie » que la naissance du sol de la patrie soit athénienne, argienne ou spartiate ; mais, pourvu de la fonction de roi fondateur, le premier être à naître des entrailles de la terre qu’il va civiliser et dominer a le statut d’un héros quand il ne partage pas une partie de sa nature avec un serpent comme c’est le cas de Cécrops, le premier roi de l’Attique.

 L’advenir hésiodique des hommes mortels

Présenté par Hérodote comme le premier poète théologien de la Grèce en compagnie d’Homère, Hésiode n’offre pas dans sa Théogonie à portée panhellénique de récit mythique de la création du genre humain : les humains semblent avoir toujours existé à côté des dieux. En revanche plusieurs épisodes intégrés au récit théogonique dessinent les contours de leur statut de mortel : l’institution par Prométhée et par Zeus d’une forme asymétrique de commensalité (et non pas de sacrifice) qui consacre la séparation des « hommes mortels » (thnetoì ánthropoi) d’avec les dieux ; le don par Prométhée à ces mêmes hommes mortels du feu qui deviendra le feu de l’artisanat et de l’alimentation civilisée ; et la création de Pandôra, la jeune fille dont la fabrication artisane pour la parer des grâces de la séduction divise le genre humain en mortels mâles d’un côté et tribus de femmes de l’autre. Par la production d’une descendance l’institution implicite du mariage permettra aux uns et aux autres de pallier certaines des limites de la mortalité (Hésiode, Théogonie 521-616 ; sur ces épisodes tant discutés voir les contributions publiées dans Blaise et al. 1996 ; pour l’iconographie de la création de Pandôra, cf. Lissarrague 2001).

Mais il est un récit hésiodique qui définit avec plus de précision la fabrication de l’homme en tant qu’être qui compense sa mortalité par des traits de culture. Sans doute n’est-ce pas un hasard si le récit des cinq âges, mieux connu sous la dénomination doublement abusive de « mythe des races », sert d’argument narratif non pas au déploiement généalogique de la Théogonie  ; mais dans les Travaux et les Jours ce récit est mis au service du plaidoyer pour l’administration de la justice dans les cités, en corollaire de la production harmonieuse et abondante nécessaire pour assumer pleinement les aléas de la condition d’homme mortel (Travaux 106-201 ; cf. Calame 2006, p. 85-131, à l’écart de tout schéma structural). Il appartient donc aux dieux immortels de créer le premier génos, la première espèce des hommes mortels qui, dispensés des travaux agricole par une nature généreuse jouissent d’une vie festive semblable à celle des dieux ; au moment de leur disparition par la volonté de Zeus ces premiers humains deviendront les gardiens sur la terre des mortels en général. Leur succède le clan des hommes d’argent que la démesure, la violence et l’impiété écartent de la condition humaine pour en faire des démons logés sous terre. Créés par Zeus lui-même, mais à peine meilleurs que leur prédécesseurs d’argent, ne connaissant pas le pain, mais artisans d’armes de bronze, les hommes du troisième génos succomberont à leur tour dans une violence qu’ils retournent contre eux-mêmes pour disparaître sans laisser de trace dans l’Hadès. Intervient alors l’espèce très particulière des héros, une nouvelle création de Zeus : non pas des ánthropoi, mais d’emblée des ándres  ; une espèce divine et qui mérite par conséquent la qualification de demi-dieux ; et plus précisément une génération (geneé) d’hommes qui, en tant que protagoniste de la guerre contre Thèbes puis de la guerre de Troie, s’inscrit désormais dans la grande histoire héroïque de la Grèce. De là le double destin qui est promis à ces héros de même que dans l’Odyssée  : la disparition dans l’obscur Hadès ou une vie de l’âge d’or dans la forme d’immortalité qu’accorde la vie dans les îles des bienheureux.

Désormais repérée autant du point de vue spatial que du point de vue temporel, cette nouvelle espèce d’hommes plus proches des dieux est non seulement focalisée sur l’Hellade et son histoire héroïque, mais elle est inscrite dans la perspective de l’espèce suivante, celle des hommes de fer, celle à laquelle appartient celui qui chante le poème ; elle est donc repérée par rapport au hic et nunc de la récitation musicale des Travaux. C’est l’âge de la vie dans des communautés civiques marquées par des relations sociales qui doivent se conformer aux principes de la justice établie et garantie par Zeus ; c’est l’âge des différentes activités destinées à produire le bíos retiré aux hommes par les dieux et singulièrement par Zeus irrité par les fourberies de Prométhée : agriculture, artisanat, commerce. Et dans sa formulation narrative et poétique le principe de la justice garantie par la divinité et apportant aux communautés humaines la prospérité matérielle et politique est donné comme une règle (nómos) à partager par tous les hommes, en contraste avec les poissons, les bêtes sauvages et les oiseaux « qui se dévorent les uns les autres puisque parmi eux il n’est point de díke » (Hésiode, Travaux 274-285).

Au-delà de tous les schémas structuraux dans lesquels on a voulu enfermer ce récit de la succession hétérogène d’espèces d’hommes mortels, l’inscription progressive de l’advenir narratif des espèces humaines dans une histoire et dans un espace qui finissent par coïncider avec le lieu de la composition et de la performance du poème qui la chante tend à nouveau à faire correspondre l’humain avec une communauté civilisée : la civilisation correspond avec la culture grecque du présent ! Saisie dans sa dimension historique et dans sa focalisation spatiale, figurée par l’intermédiaire d’un acte de poésie didactique en diction épique et à forte dimension pragmatique, la condition humaine est identifiée avec l’économie et le réseau de relations sociales et religieuses de mortels vivant dans une communauté civique hellène ; le stéréotype en serait celle pour qui Hésiode compose ses poèmes, en Béotie probablement au début du VIIe siècle avant notre ère.

Par l’efficacité de la parole poétique, le processus narratif d’anthropopoiésis à travers la succession des familles d’hommes jusqu’à l’âge de fer devient un processus de fabrication de l’humain pour la communauté présente. De même que du point de vue narratif la condition des héros immortalisés dans les îles des Bienheureux évoque la possibilité d’une libération de la mortalité et d’une vie proche de l’âge des hommes d’or, de même sur le plan pragmatique les appels lancés par le poète lui-même concernant l’administration politique de la justice et la production économique entretiennent l’espoir de conditions de vie sans doute précaires, mais en bon voisinage avec les dieux. Représenté par l’intermédiaire d’un développement historique, l’anthropopoiésis selon le modèle civil et civique grec doit se réaliser par la « performance » poétique.

 Civilisation technique et civique in fieri


À l’origine les humains regardaient sans voir,
 
ils écoutaient sans entendre ; semblables à des formes de rêve,
 
ils passaient leur longue vie dans le hasard de la conjecture,
 
ils n’avaient pas de maisons bâties de briques et exposées au soleil,
 
ils ignoraient le travail du bois ; ils vivaient enfouis sous terre,
 
comme des fourmis agiles, dans les replis d’antres sans lumière.

Puis vint Prométhée qui inventa et qui enseigna aux hommes les levers et les couchers des astres pour l’organisation des travaux des champs, des arts mnémotechniques tels l’arithmétique et l’écriture « mémoire de toutes choses », les techniques de la domestication des animaux pour agriculture et transport de marchandises, les nombreuses recettes de mélange comme médicaments pour se libérer des maladies et les différents arts de la divination — interprétation des songes nocturnes, herméneutique de paroles à double sens, interprétation de coïncidences au détour du chemin, lecture du vol et des mœurs des oiseaux, repérage de présages inscrits dans la disposition des viscères des animaux sacrifiés ou dans la fumée des viandes consumées sur l’autel ; sans compter le feu, ce maître de « techniques nombreuses », nécessaire notamment pour exploiter par l’artisanat les ressources sidérurgiques de la terre. Tels sont donc les arts que le héros Prométhée, enchaîné aux confins du monde habité, se vante d’avoir apporté aux hommes dans la longue tirade de la tragédie homonyme, attribuée à Eschyle (Prométhée 436-506 et 248-256 ; cf. Calame 2010, p. 36-48) ; des bienfaits qui s’adressent au genre humain saisi dans sa mortalité puisque dans sa désignation, le texte tragique oscille entre ánthropoi et la qualification de « mortels » (brotoí ou thnetoí).

En tant que savoir-faire techniques (tékhnai), les différents arts de Prométhée se définissent comme des artifices (sophísmata) et comme des moyens ingénieux (mechanémata), comme des expédients (póroi) pour se tirer d’une situation d’embarras et d’impasse. Non seulement tous ces savoirs techniques relèvent de cette intelligence artisane dont Héphaïstos le forgeron et Athéna l’astucieuse sont les maîtres à Athènes (Detienne & Vernant 1974), mais surtout ils correspondent tous à des lectures de systèmes de signes ; d’ordre sémiotique, ils correspondent tous à des arts de l’interprétations débouchant soit sur des pratiques permettant d’assurer la survie, soit sur la prévision d’un avenir dont l’orientation ne dépend pas des humains. C’est dire que, par production et prévisibilité interposées, les techniques sémiotiques et herméneutiques d’un Prométhée permettent à l’homme de maîtriser, en partie au moins, les aléas d’une condition de mortel marquée par les nombreux renversements de fortune. Ce sont ces retournements spectaculaires que représente par exemple la tragédie attique ; ils en constitueraient le centre et la réussite dans la théorie qu’en développe Aristote dans la Poétique (10, 1452a 12-18 et 13, 1452b 28-1453a 6 ; cf. Dupont-Roc & Lallot 1981, p. 238-245). Définies en termes d’ophelémata, d’ « avantages » qui sont sources de profit, ces techniques prométhéennes de la lecture des systèmes de signes se caractérisent par leur utilité sociale ; fondées sur les astuces du déchiffrement prévoyant et de l’intelligence artisane, elles rendent possible la vie civilisée des mortels dans des communautés que Platon, en reprenant la légende dans le Protagoras (320c-323a ; cf. Morgan 2000 : 132-154) place explicitement sous le signe de la politikè tékhne, art politique et justice civique.

Ainsi les arts interprétatifs inventés par Prométhée contribuent à ouvrir les yeux et les oreilles des hommes mortels ; d’un état premier d’aveuglement et par conséquent d’incomplétude dans l’absence d’exploitation de leurs capacités perceptives les différents savoirs techniques prométhéens confèrent aux hommes une clairvoyance qui les engage à orienter par la prévisibilité leur condition de mortels. Le Prométhée d’Eschyle engage donc les hommes mortels dans le processus d’une anthropopoiésis de type herméneutique telle que seuls les Grecs, maîtres de l’interprétation des oracles et des récits à double entendre, pouvaient la concevoir ; pour conduire non seulement à une représentation bien grecque de la civilisation des hommes, mais aussi à une vision très athénocentrée. Enchaîné au rocher représenté sur la scène attique et s’adressant indirectement au public athénien, Prométhée s’exprime face au pouvoir discrétionnaire de Zeus comme un sophiste avant la lettre (cf. Saïd 1975 : 131-187, et Cerri 1975 : 45-53). Le héros sophiste offre une représentation de la fabrication technique de l’homme inscrite dans un processus historique à partir d’un état premier ; c’est une représentation qui se réalise par l’intermédiaire de la parole poétique avec l’efficacité pragmatique propre au rituel dramatique athénien.

Sans doute n’est-ce pas un hasard si Eschyle lui-même, tel qu’Aristophane le met en scène dans la comédie des Grenouilles, attribue aux quatre grandes figures grecques de poètes fondateurs une série d’arts techniques relatifs à la lecture des signes et au bien-être humain, ici encore dans une perspective historique :

Examine – dit Eschyle à Dionysos, le dieu du théâtre – combien, dès l’origine, se sont révélés utiles (ophélimoi) les plus nobles parmi les poètes ;
 
Orphée parce qu’il nous a enseigné les rites initiatiques et la haine du meurtre,
 
Musée la guérison des maladies et les oracles,
 
Hésiode les travaux de la terre, les saisons des fruits et les labours,
 
le divin Homère enfin (...) les ordres de bataille, les valeurs, l’armement des hommes (Aristophane, Grenouilles 1030-1036).

Au rhéteur et sophiste Prométhée se substituent donc, dans cette conception de l’éducation civique par la poésie et les arts des Muses, les poètes fondateurs de la culture hellène pour donner aux hommes les savoirs de la civilisation : les hommes sont désormais à identifier avec le groupe des citoyens athéniens auxquels s’adressent essentiellement les poètes comiques et tragiques de la deuxième moitié du Ve siècle !

 Traits distinctifs de l’humain : qualités intellectuelles

Mais de nombreux textes provenant de la même époque nous invitent à revenir à la question de la définition de l’homme en tant qu’être humain.

« Qu’est-ce que l’homme ? » Telle est la question préalable à toute enquête sur la nature selon l’auteur hippocratique de l’Ancienne médecine (20, 1-3). Dans cette conception hippocratique d’une phúsis anthropocentrée, l’homme se définit non seulement par sa constitution propre, mais encore par les causes dont relève sa composition organique ; pour un organisme dont l’équilibre et l’efficacité dépendent du juste mélange des humeurs et des qualités fondamentales (sec/humide, froid/chaud), essentiel est le régime alimentaire qui détermine la communication et l’interaction entre le système organique interne et l’environnement. Cette représentation d’une physiologie propre à l’homme, dans une perspective explicitement anthropopoiétique, est donnée comme valable pour tout être humain, indépendamment de son statut de sexe ou de son statut social. Dans un autre petit traité de la même époque, cette constitution physiologique de l’homme avec son impact sur morphologie et caractère est mise en relation avec les qualités correspondantes de l’environnement ; il en résulte une conception climatique de la nature humaine dont le mélange organique de base, la constitution morphologique et les dispositions morales varient suivant l’exposition aux vents et la qualité des eaux propres à l’habitat respectif des cités et des communautés ethniques composant le genre humain (cf. Calame 1986/2005).

Mais au-delà de cette conception physiologique, médicale et morale de l’homme appréhendé dans la composition humorale et qualitative de son organisme, les sages et penseurs de la nature qui ont précédé Socrate n’ont pas manqué de tenter de définir la spécificité de l’humain. Par l’intermédiaire du traité qu’Aristote consacre aux parties des animaux, nous savons par exemple que, selon Anaxagore, l’être humain se distingue des autres êtres vivants par une intelligence qui dépend de l’organe particulier que constituent les deux mains. Tout en tentant de renverser cette relation et de montrer que c’est l’intelligence de l’homme qui lui permet l’usage de ses mains, Aristote ajoute que l’homme doit à sa nature orthostatique l’usage des mains comme instrument ; un instrument multifonctionnel, ayant pour corollaire l’usage des arts techniques. Et de conclure : « Car l’être le plus intelligent est capable du bon usage des outils les plus nombreux, et la main correspond non pas à un seul, mais à de nombreux instruments [...]. C’est donc à l’être susceptible de recevoir les techniques les plus nombreuses que la nature (he phúsis) a donné la main, de loin le plus utile des outils » (Anaxagore fr. 59 A 102 Diels-Kranz, cité par Aristote, Parties des animaux 10, 687a 6-b4 ; cf. Longo 2000). À nouveau pensé en termes d’utilité en relation avec l’intelligence qui caractérise l’homme, les techniques instrumentales se révèlent susceptibles de combler le déficit de l’homme, considéré comme le plus dépourvu des animaux. Aristote illustre son propre propos sur l’inachèvement constitutif de l’être humain en prenant l’exemple des produits artisanaux que sont les chaussures et les armes ; ce sont les moyens versatiles dont l’homme nu dispose pour se déplacer et se défendre, là où les autres animaux sont liés aux moyens univoques que leur donne la nature.

Si selon Aristote, Anaxagore de Clazomène distinguait l’intelligence pratique qui caractérise l’homme en termes de phroneîn, réflexion prudente fondée sur sentiment juste et la présence d’esprit, son collègue Alcméon de Crotone définissait l’être humain par la compréhension : l’homme « saisit » (xuníesi) au contraire des autres êtres animés qui perçoivent sans comprendre (fr. 24 A 5 et B 1 a Diels-Kranz, fragments cités par Théophraste, Des sens 25-26 ; cf. Longo 1995). L’attention et la conscience doublent donc la simple perception ; de même pour Eschyle – comme on l’a signalé – les capacités sensorielles dont disposent les hommes n’avaient qu’un rôle passif avant que Prométhée n’invente à leur intention les arts sémiotiques et interprétatifs du déchiffrement et de la conjecture. L’homme se distinguerait donc par cette forme d’intelligence pratique, la súnesis, qui pour un Thucydide est celle des grands hommes politiques athéniens, tels Thémistocle, Périclès, mais aussi le héros tutélaire Thésée.

Mais disposer d’organes multifonctionnels et des qualités d’une intelligence à la fois pratique et consciente ne semble pas suffisant pour différencier l’homme-ánthropos des animaux. Dans notre tradition extrêmement lacunaire, il semble qu’il ait appartenu à l’un des premiers de ces sages pré-platoniciens d’insister sur le rôle joué par l’éducation dans la fabrication de l’homme en tant qu’être humain. Dans le résumé qu’en fait pour nous un traité attribué à Plutarque, le vieil Anaximandre de Milet aurait affirmé que « dès le début l’homme s’est distingué des êtres vivants à l’aspect différent dans la mesure où les autres êtres animés ont rapidement une vie autonome alors que les humains requièrent des soins éducatifs de longue durée » (fr. 12 A 10 Diels-Kranz ; ces différentes conceptions « présocratiques » de l’essence de l’homme sont bien discutées par Vegetti 1987, p, 95-116). Davantage que le développement civilisateur proposé par le Prométhée mis en scène par Eschyle, on anticipe avec Anaximandre l’idée développée vingt-cinq siècles plus tard par Herder : l’homme n’est rien sans Bildung et Kultur  !

Lui-même animal, l’homme se distingue donc des autres êtres animés autant par les qualités de l’intelligence technique réalisée par l’intermédiaire d’un organe tel que la main, que par une intelligence politique d’ordre à la fois moral et social ; c’est la combinaison de ces deux types d’intelligence pratique qui permet la vie en société caractérisant la civilisation des hommes mortels. Sans doute est-ce dans quelques-uns des aphorismes d’Héraclite que l’on trouvera l’expression la plus concentrée de la conception hellène d’un homo sapiens aux qualités universellement partagées. « Commun à tous est le bon sens » (fr. 22 B 113 Diels-Kranz) : phroneîn compris comme attitude et jugement prudents et sages. Dès lors, « tous les hommes partagent la connaissance de soi-même et l’esprit sain » (fr. 22 B 116 Diels-Kranz). Trait commun à l’ensemble de l’humanité, la conscience de ses propres possibilités est couplée avec la sage modération ; au cœur de la sagesse delphique, ce sophroneîn permet à l’homme mortel de ne point dépasser les limites de sa condition de mortel. C’est pourquoi « la sage modération est la plus grande des vertus et la sagesse revient à dire la vérité et à agir selon la nature en étant à son écoute » (fr. 22 B 112 Diels-Kranz ; cf. Kahn 1979, p. 14-23 et 116-123). La définition même de l’homme et de sa condition sociale par ses activités intellectuelles va de pair avec l’extraordinaire développement du lexique de l’intellect dont les sages penseurs de la nature sont les témoins avant Socrate et Platon (voir, dans le cadre de conceptions du genre humain, Baldry 1965, p. 35-45 et 72-87, ainsi que Hilfiger 2004).

 Distinctions internes au genre humain et hellénocentrisme

Dans ses représentations multiples, la réflexion anthropopoiétique grecque semble se concentrer sur les effets pratiques d’une intelligence universellement partagée ; mais une intelligence en accord avec le paradigme hellène dans la mesure où elle permet de gérer, dans un réseau de relations civilisées, une condition humaine qui est marquée par les limites imposées par la mortalité, face aux dieux. Dans son orientation grecque, cette universalité de l’homme en tant que mortel est non seulement fondée sur le partage de qualités intellectuelles permettant actes techniques producteurs et relations sociales équilibrées ; mais cet « humanisme » est aussi basé sur une intelligibilité partagée du monde environnant par l’intermédiaire des arts interprétatifs de la lecture des signes.

Pour conclure, on pourra se mettre à l’écoute d’un autre traité hippocratique, celui consacré au pronostic médical : « Il faut savoir à propos des marques de preuve (tekméria) et des indices (semeîa) qu’en toute région et chaque année, les mauvais signes indiquent quelque chose de mauvais et les bons un bien ; en effet les indices énumérés disent la vérité en Libye, à Délos, en Scythie » (Prognosticon 25). Du point de vue géographique, cette définition de l’extension spatiale de l’art sémiotique à la grecque est significative du caractère ambivalent de son universalité : la validité universelle de l’interprétation médicale des symptômes s’inscrit dans une représentation du monde habité qui, des régions extrêmes du sud libyen et du septentrion scythe, est focalisée sur Délos, le centre religieux et économique d’une mer Égée dominée à l’époque classique par les Athéniens. Avec Athènes, l’Ionie ou précisément Délos comme point de référence, cette image hellénocentrée du monde habité est très répandue dès le Ve siècle ; elle marque aussi bien l’Enquête d’Hérodote que le traité hippocratique Airs, eaux, lieux consacré à l’influence du climat sur physiologie et caractère des hommes (cf. Calame 1986/2005, p. 267-273).

Même si elle s’avère hellénocentrée, l’universalité des capacités intellectuelles et sémiotiques de l’homme dépasse le cadre de la cité grecque. Les pérégrinations d’Ulysse montrent que les limites de l’essence anthropopoiétique de l’homme se trouvent aux marges du monde connu, là où les frontières entre la mortalité et la divinité, mais aussi l’humain et le monstrueux, le civilisé et le sauvage, l’homme et l’au-delà de l’homme se font floues et perméables. Par ailleurs ces limites de l’acception (grecque) de l’humanité et de l’extension de la classe de l’humain ne se définissent pas uniquement par rapport à l’extérieur. Au-delà des divisions ethniques et des groupements civiques, la conscience progressive de constituer une communauté grecque, selon la définition que donne par exemple Hérodote du Hellenikón, entraîne toute une série de distinctions internes au genre humain. La plus exploitée est celle qui sépare les Grecs des barbares, ces barbares que les guerres médiques portent à identifier avec les Perses et à doubler d’une partition territoriale entre Europe d’un côté et Asie de l’autre ; mais en particulier chez Hérodote, un certain relativisme culturel permet de distinguer au sein de la barbarie différents degrés de civilisation jusqu’aux Égyptiens qui grâce à leur histoire d’une remarquable profondeur ont pu transmettre aux Grecs les « noms », c’est-à-dire l’identité de leurs dieux (voir Hartog 1996 : 87-112 et 55-69 pour l’Égypte en particulier ; sur les noms des dieux, cf. Calame 2011). La confrontation des coutumes grecques avec les mœurs de leurs voisins plus ou moins lointains n’est pas toujours à l’avantage de la Grèce et ce constant décentrement présuppose une nature humaine unique.

Mais les différenciations ne sont pas uniquement d’ordre ethnique et culturel. On sait que pour Aristote, à l’intérieur du genre humain, la femme ne dispose pas du même statut que l’homme. D’ordre fondamentalement physiologique, les différences sont pensées moins en termes d’opposition qu’en termes de gradation sur une échelle qui va du passif à l’actif. Ainsi, par exemple, si sperme et menstrues doivent être considérés l’un et les autres comme des résidus de nourriture, dans le processus anthropopoiétique de la conception tel que le conçoit Aristote, le sperme vient en quelque sorte alimenter le sang menstruel ; conclusion : « Si le mâle est comme le moteur et créateur, la femelle, en tant que femelle, comme l’élément patient, à la semence du mâle, la femelle ne saurait apporter de la semence, mais seulement de la matière (...) ; car la nature des menstrues relève de la matière première » (Génération des animaux 1, 726b 1-729a 33 ; voir à ce propos notamment Lloyd 1983 : 58-111). Il est remarquable que pour désigner le mâle et la femelle, Aristote utilise des termes génériques à la forme neutre : « le masculin » (tò árren) et « le féminin » (tò thêlu). C’est que cette conception de la collaboration asymétrique entre mâle et femelle dans le processus complexe de la génération s’étend aux autres mammifères. Dès lors, dans les Enquêtes sur les animaux, les observations faites sur la différenciation dans les caractères physiques et moraux du mâle et de la femelle s’appliquent à l’homme aussi bien qu’aux animaux de grande taille et aux quadrupèdes vivipares ; pour conclure par exemple que si le caractère des femelles est en général plus doux et qu’elles se laissent mieux apprivoiser, en revanche les mâles sont plus courageux ; et si l’être humain (ánthropos) jouit parmi les animaux de la nature « la plus achevée », la compassion, les larmes, la jalousie, les plaintes, les accès de colère distinguent la femme comme guné de l’homme qui, en tant qu’anér, se révèle plus actif et plus empressé (Histoire des animaux 9, 608a 21-608b 15 ; voir, par exemple, Sassi 1988, p. 81-116).

À l’intérieur du genre humain, pas plus d’ailleurs qu’en ses marges, il n’y a à chercher d’« altérité radicale ». Au-delà d’une phúsis fondamentalement identique, ce sont surtout les caractères et les coutumes, les nómoi à instituer les différences, avec des gradations dans le plus ou le moins par rapport à une norme grecque, en général de l’ordre de l’implicite. Ainsi en va-t-il également des différences de statut social : citoyen, métèque, artisan, affranchi, esclave, pour n’évoquer que le cas de l’Athènes classique. Mais il s’agit de catégories qui peuvent se recouper, et de deux manières : à l’époque de la guerre du Péloponnèse par exemple les exclus de la citoyenneté athénienne que sont les métèques pouvaient acheter l’équipement de l’hoplite et servir aux côtés des citoyens dans la défense de la cité ; par ailleurs, parmi les métèques servant dans l’armée athénienne comme hoplites se trouvaient de nombreux barbares, Lydiens, Phrygiens ou Syriens (cf. Cartledge 1993, p. 90-117, ainsi que Thomas 2000, p. 102-134 sur la dialectique entre nómos et phúsis).

Et que dire du statut anthropologique complexe qu’Aristote attribue à l’esclave ? Comme tout être humain l’esclave a une âme et c’est ce qui permet de le définir non seulement comme un « outil animé » (órganon émpsukhon), mais surtout comme une propriété qui est orientée davantage vers l’action que vers la production. Soumis comme tous les autres êtres vivants à la relation dialectique de domination entre l’âme et le corps, l’esclave a part à la raison (lógos), mais par nature il ne peut que la percevoir sans être capable d’y recourir. Et si le caractère instrumental de l’esclave semble inscrit dans sa nature, l’esclavage imposé aux prisonniers de guerre contraint Aristote à reconnaître que tout homme peut devenir esclave par le biais d’une convention : non plus phúsis, mais nómos  ; non plus un état naturel, mais un statut social. Sans oublier de plus que l’ensemble de cette réflexion paradoxale est placé sous le chapeau de la thèse qui fait de l’homme un animal politique par nature (ánthropos phúsei politikòn zôion) ; un être de nature civique dans la mesure où seul parmi les autres êtres vivants il possède le lógos entendu comme discours, et par conséquent la possibilité de s’exprimer et d’argumenter sur les valeurs du juste et de l’injuste, du bien et du mal (Politique 1, 1253a 1-18). Remarquons à ce propos que dans les Parties des animaux (660a 17-27), Aristote montrait qu’en raison de la mobilité singulière de sa langue, l’homme se distinguait des autres animaux par sa perception particulière des saveurs et par le langage articulé ! « Or c’est le partage commun de ces valeurs qui fait la famille et la cité », conclut Aristote en incluant ensuite dans la maisonnée les esclaves (qui le sont « par nature »… ; Politique 1, 1253b 23-1254b 26 ; cf. Cartledge 1993 : 18-151, notamment sur la double homologie « Grec : barbare : : libre : esclave » et « libre : esclave : : citoyen : étranger », sans compter les ressemblances que présente le statut de l’esclave avec celui attribué à la femme). La représentation de l’humain dans son essence revient à une anthropopoiésis d’éthique politique.

Mais au-delà des traits distinctifs inscrits dans la phúsis ou relevant du nómos, hommes et femmes, Grecs et barbares, adultes et jeunes, citoyens, artisans et esclaves appartiennent d’une manière ou d’une autre au même genre humain. Et c’est sans doute cette appartenance commune qui induit la perspective relativiste volontiers adoptée par historiens et sophistes de l’époque classique. Tel est en tout cas le principe fondant le petit traité des Discours doubles, exercices scolaires de rhétorique philosophique qui consistent à affronter à propos des coutumes de l’homme des affirmations exactement contraires pour en résoudre les contradictions dans une position de relativisme absolu. « Les uns affirment que le bien est une chose et le mal une autre. Les autres, que la même chose serait pour les uns bonne, pour les autres mauvaise, et, pour le même homme, tantôt bonne, tantôt mauvaise. Pour ma part, c’est l’opinion de ces derniers que je ferai passer en avant. J’examinerai cela en me fondant sur la vie humaine (ho anthrópinos bíos), attachée au manger, au boire et aux plaisirs d’amour. Toutes choses mauvaises pour un malade, mais bonnes pour qui a la santé et en éprouve le besoin » (Discours doubles 90, 1, 1-2 Diels-Kranz, trad. J.-P. Dumont). Certes, l’énoncé initial de ce manuel anonyme que l’on aimerait attribuer à un élève de Protagoras situe ces « discours doubles » dans la bouche des praticiens de la sagesse « en Grèce » ; il n’en reste pas moins que par référence aux manières de la table, à la consommation du vin et aux relations sexuelles, cette pensée de sagesse médicale embrasse les divergences qui seront relevées au sujet de l’activité guerrière entre Athéniens et Lacédémoniens, Achéens et Troyens, Grecs et barbares/Perses, voire Lapithes et Centaures, englobés dans un même mode de vie propre à l’homme.
Pour en revenir en structure annulaire au point de départ proposé pour ce bref parcours, écoutons encore une fois Thucydide justifier, en guise de prélude à son traité, le sujet et le scénario donnés à son entreprise historiographique. Tout en se réclamant de l’autorité de la Muse, le poète homérique narrant les hauts faits de la guerre de Troie ne procédait pas autrement : Achille et sa colère, les Achéens et leurs souffrances — l’action narrative avec ses protagonistes. Dans la mesure où il touche aussi une partie des « barbares », le conflit entre les Péloponnésiens et les Athéniens semble concerner finalement « la plus grande partie de l’humanité » (epì pleîston anthrópon  ; 1, 1, 2). Sans doute est-ce là le meilleur moyen pour Thucydide de légitimer l’inscription dans une nature humaine des comportements relevés à l’occasion du déroulement de la guerre du Péloponnèse. Manière anthropopoiétique de construire par le discours historique une représentation psychologique et politique de l’humain qui aura une large influence sur nos propres manières de configurer l’histoire des hommes ; une représentation, et donc une anthropologie, qui correspond essentiellement à un mode de vie (hellène), et à un mode de vie aussi fragile que versatile, tant il est vrai que la réflexion anthropopoiétique des Grecs est constamment orientée vers la pratique : l’humain est sans cesse à reconstruire. Dans cette dynamique, les formes de discours efficaces, en vers ou en prose, jouent un rôle essentiel, faisant de l’anthropopoiésis ce que le Périclès de Thucydide (2, 41, 1) conçoit comme une paídeusis.

CLAUDE CALAME

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Pour citer :
Claude Calame, « Anthropos : l’humain, l’homme civilisé et les cultures des autres dans la Grèce classique », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2014, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Anthropos-212