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Balâgha

Tradition classique de l’éloquence arabe

 Introduction

« Sache – que Dieu t’accorde la puissance – que nous autres savons charmer par notre langue (bayân) et tromper par nos discours (qawl), alors que les gens ne considèrent que l’état (al-hâl) [de ce qu’ils voient] et ne jugent que d’après ce qu’ils ont sous les yeux (‘iyân). Aussi je te demande de nous marquer d’une trace (athar) capable de parler (yantiqu) quand nous nous taisons (idhâ sakatnâ), car celui qui affirme sans preuve (bayyina) s’expose à être démenti » (Jurjânî, Dalâ’il al-i‘jâz, p. 511).

Cette brève épître, qui a pour destinateur Jâhiz (9e siècle) et pour transmetteur ‘Abd al-Qâhir al-Jurjânî (11e siècle) nous ménagera peut-être une bonne introduction à la balâgha. Nous montrerons, en effet, que la conception de l’éloquence dans son rapport à la communication du sens et aux différents moyens de le manifester, qu’elle esquisse et met en pratique en une remarquable ellipse, n’est autre que celle qui sous-tend les théories de la balâgha de Jâhiz à Jurjânî et au-delà, aussi bien que la pratique de la balâgha que représente, exemplairement, la poésie (chi‘r).

Ces quelques lignes nous fourniront l’occasion de situer la balâgha au confluent de trois discours : 1) un discours rhétorique sur le statut de la langue, la nature de l’éloquence et sa finalité ; 2) un discours éthico-théologique relatif à la rétribution des actes (jazâ’) et 3) un discours poétique de louange et de célébration, madîh, thanâ’, par lequel le poète exprime sa gratitude, chukr, à son bienfaiteur.

 Nature et finalité de l’éloquence

Que l’enjeu de ces quelques lignes adressées par Jâhiz à son mécène, Ibn al-Zayyât, ait trait à la condition de possibilité de la balâgha n’est pas d’emblée évident. Il n’y est, semble-t-il, aucunement question de cette dernière. Ce qu’il y dit est apparemment bien banal : Nous autres, rhéteurs, lettrés, ou poètes, savons parler et manier le discours, mais les gens croient ce qu’ils voient non ce qu’on leur dit. Si tu souhaites donc que le message que nous voulons leur communiquer soit crédible, il convient que tu nous en fournisses la preuve, afin qu’au lieu de parler nous la leur mettions sous les yeux. En disant cela, cette épître se soumet deux fois à la loi de l’implicite. Une première fois, en passant sous silence la raison pour laquelle son destinataire serait intéressé par l’éloquence des rhéteurs, des poètes, des lettrés. En effet, Jâhiz n’explicite à aucun moment l’objet d’une telle éloquence, à savoir la louange et la célébration du mécène : faire connaître aux autres les bienfaits reçus de ce bienfaiteur et ainsi les amener à reconnaître sa générosité. Une deuxième fois, parce qu’en taisant cet objet il réussit à escamoter le message final de son propre discours, qu’il revient au seul destinataire de déduire et de formuler lui-même : c’est à la condition d’être riche qu’un laudateur peut être crédible, donc convainquant et persuasif : qui pourrait croire un poète - fût-il le plus habile manieur de mots - présentant les signes évidents de la misère, qui prétendrait que son mécène est le plus généreux des hommes ? Mais, en vérité, il n’y a rien d’étonnant à ce que Jâhiz y taise ce qu’il veut dire ou le passe sous silence : le sous-entendu, l’implicite, la réticence et la dissimulation (kinâya, ta‘rîd) sont, comme nous le montrerons, tout ensemble la thèse qu’énonce cette épître au sujet de la balâgha et la loi à quoi se soumet sa propre énonciation.

Et c’est grâce à l’autre grand rhétoricien de la tradition arabe que nous savons qu’il est impossible d’entendre ce qu’elle veut vraiment dire à moins de l’entendre résonner comme l’écho d’une longue tradition poétique. Au moment de les citer, Jurjânî nous dit, en effet, que ces quelques lignes constituent une reformulation en prose, « d’une rare qualité » (fî ghâyati n-nudra), de l’hémistiche par quoi le poète Nusayb (8e siècle) conclut son éloge au calife ‘Abd al-Malik b. Sulaymân :

Je dis à des voyageurs rencontrés au-delà de Dhât Awshâl,
qui s’en revenaient de là où je me rendais  :
Faites halte et renseignez-moi sur Sulaymân, car je suis
un homme de Waddân en quête de ses bienfaits.
Se tournant vers moi, ils prononcèrent les éloges que tu mérites ;
et s’ils s’étaient tus, les charges de leurs montures t’auraient loué (Jurjânî, Dalâ’il al-i‘jâz, p. 511).{}

« Aussi je te demande de nous marquer d’une trace (athar) capable de parler (yantiqu) quand nous nous taisons (idhâ sakatnâ) » est sans doute l’expression où Jurjânî entend l’écho inventif de ce qu’exprime l’hémistiche : « et s’ils s’étaient tus (wa law sakatû), les charges de leurs montures t’auraient loué (athnat ‘alayka l-haqâ’ibû). »

À en croire l’auteur des Secrets de l’éloquence, l’épître de Jâhiz serait donc une traduction du vers de Nusayb :

Se tournant vers moi, ils prononcèrent les éloges que tu mérites ;
et s’ils s’étaient tus, les charges de leurs montures t’auraient loué.

Or ce vers est doublement exemplaire : d’une part, il occupe une place décisive dans le discours rhétorique de Jâhiz, qui s’en sert pour étayer sa démonstration aussi bien dans le Bayân que dans le Hayawân, d’autre part, il constitue aux yeux de la critique arabe médiévale l’expression sinon la plus remarquable, du moins la plus notoire d’un thème, ma‘nâ, fondamental de la poésie laudative se rapportant à la reconnaissance du bienfait d’un bienfaiteur. Si bien que ce vers, par le biais duquel s’ajointent la théorie de la balâgha et cette pratique privilégiée de la balâgha qu’est la poésie, nous permettra d’explorer la dimension éthique ou éthico-théologique de ces deux discours, telle que la manifeste la question du jazâ’, de la rétribution des actes, donc de la gratitude et de l’ingratitude.

Et pour se persuader que cette question éthique de la rétribution entretient le rapport le plus étroit avec la rhétorique, l’éloquence et la communication du sens, il suffit d’entendre tel hadith du Prophète, que le même Jâhiz cite dans son épître sur La Vie future et la vie terrestre (où la nécessité de la rétribution, jazâ’, et donc de l’expression de la gratitude, chukr, constituent, justement, le nerf de l’argumentation relative à l’éthique du comportement des hommes à l’égard de leurs semblables et du créateur) : « Que celui qui a reçu un bienfait (‘urf) le récompense (fa-l-yachkurhu). S’il ne le peut, qu’il le fasse connaître (fa-l-yanchurhu), car le faire connaître revient à le récompenser, alors que le taire (katamahu) revient à le nier (kafarahu). » (Risâla fî al-Ma‘âd wa al-ma‘âch in Rasâ’il al-Jâhiz, I, p. 95). Dès lors qu’il faut rétribuer un bienfait, dès lors que le faire connaître aux autres est une manière (en vérité, nous le verrons, la meilleure manière) de le rétribuer, et dès lors que Jâhiz nous assure, dans un texte sur lequel nous reviendrons, que faire comprendre, faire connaître (ifhâm, izhâr al-ma‘nâ), est l’objet principal de la rhétorique, on admettra aisément que la question éthico-théologique de la rétribution soit inséparablement une question de rhétorique.

De la balâgha ou du meilleur moyen de faire connaître le bienfait du bienfaiteur, tel semble bien être le sujet de l’épître de Jâhiz à son mécène. Celle-ci, qui a donc pour enjeu la manifestation (tabyîn) de la générosité du bienfaiteur, est toute entière portée par l’opposition des deux mots qui l’encadrent (issus, il faut le noter, d’une même racine) : bayân et bayyina. L’argumentation qu’il y poursuit vise apparemment à dissocier ces deux notions. Disposer, affirme-t-il, de ce moyen de s’exprimer qu’est la langue (bayân), être capable de manier le discours à loisir, ne donne pas au locuteur le pouvoir d’être convainquant, persuasif, crédible. Seule la preuve (bayyina) exhibée le permet. Ainsi la capacité de parler de manière à emporter la conviction de l’auditeur, par quoi se définit, nous le verrons, l’éloquence, balâgha, ne dépendrait pas de la maîtrise du moyen de s’exprimer, bayân, mais de la preuve, bayyina. L’évidence de cette opposition entre parole, discours, éloquence d’une part et preuve matérielle d’autre part est toutefois trompeuse. On ne saurait en déterminer la vraie portée et définir ce que désigne ici la notion de bayyina, à moins de revenir aux ouvrages théoriques de Jâhiz. Du reste, dans cette épître, quelques signes nous incitent déjà à la prudence. Difficile, en effet, d’y définir avec quelque rigueur le rapport que la bayyina entretient avec le bayân. S’agit-il aux yeux de l’épistolier de deux termes d’une alternative, dont il faudrait préférer le premier, comme le laisse penser telle phrase : « Aussi je te demande de nous marquer d’une trace (athar) capable de parler (yantiqu) quand nous nous taisons (ou « si nous nous taisions », idhâ sakatnâ) » ? Sans doute pas : aussitôt après, l’auteur ajoute « car celui qui affirme sans preuve (bayyina) s’expose à être démenti », suggérant par là que la preuve est cet adjuvant non discursif qui doit accompagner le discours, le doubler, en vue de l’étayer et de lui accorder la crédibilité qui lui fait défaut. Mais cette distinction entre la chose et le mot semble à son tour peu fiable, dès lors que la parole qui est retirée aux « rhéteurs » est aussitôt attribuée à l’indice probant, en principe muet, qu’ils portent sur eux : quand ceux-là se taisent, c’est pour permettre à celui-ci de parler. Comme si la bayyina, loin de s’y opposer, ou même de s’en distinguer simplement, n’était qu’une modalité du bayân, une manière de le prolonger, une autre manière de parler, voire de manifester l’essence de la parole, puisque la preuve est dite plus éloquente, plus convaincante, donc plus parlante (antaq, Jahshiyârî, k. al-Wuzarâ’ wa al-kuttâb, p. 206) que la parole. Il convient enfin de se demander pourquoi les personnes sur qui le bienfaiteur est invité à laisser la marque de sa générosité, et qui doivent se taire pour la laisser se montrer dans son évidence muette, sont, justement, celles dont la vocation est de parler, celles qui se définissent par leur pouvoir de manier le bayân. A quoi tient donc le privilège des rhéteurs, poètes ou lettrés ; pourquoi est-ce à eux, précisément, qu’est confiée la tâche d’assurer tacitement la reconnaissance du bienfait ; et comment faut-il comprendre l’exigence selon laquelle c’est à l’instance de la manifestation, au bayân en somme, d’apparaître comme la preuve tacite de ce qu’elle manifeste ?

 Aux origines du bayân

Le rapport complexe entre bayân et bayyina, qui constitue l’un des enjeux fondamentaux du discours rhétorique arabe, est le sujet principal des pages d’al-Bayân et de k. al-Hayawân que Jâhiz consacre à wasâ’il al-bayân, aux systèmes sémiotiques propres à communiquer le sens, ma‘nâ, à le transmettre et le faire comprendre. « En effet, lit-on dans le premier ouvrage, ce autour de quoi tout tourne et qui constitue le but vers quoi tendent le locuteur et l’auditeur est le fait de comprendre et de faire comprendre (al-fahm wa al-ifhâm). Par conséquent, relève du bayân tout ce au moyen de quoi tu parviens (balaghta), à chaque fois, à faire comprendre et à rendre clair ce que tu veux dire. » (Jâhiz, al-Bayân wa al-tabyîn, I, p. 76). Par ce mot, Jâhiz désigne, on le voit, le médium en général dont il énumère les différentes espèces. Elles sont au nombre de cinq, nous dit-il dans le Bayân. De quatre, précise-t-il dans le Hayawân - la parole, l’écriture, la gestuelle, et l’art de figurer les nombres par les doigts - auxquelles on peut, éventuellement, en ajouter une cinquième : an-nisba, al-hâl ad-dâlla : l’état ou la manière d’être de tout ce qui existe, qui renseigne comme le ferait une preuve (ici nommée burhân, châhid, âya). Jâhiz, on le voit, hésite sur la nature de la nisba, il ne sait pas si l’état, la manière d’être d’une chose ou d’une personne fait partie, au même titre que la parole (lafz), de la classe du bayân. S’il croit devoir l’y intégrer dans les pages du Bayân, c’est parce que le critère envisagé est « le fait de comprendre et de faire comprendre » indépendamment de la nature du médium par le biais duquel la signification se transmet. Or il ne fait pas de doute que la manière d’être (al-hâl) d’une chose ou d’une personne nous apprend ou nous fait comprendre quelque chose sur celles-ci. Dans le Hayawân, le contexte de l’énumération des systèmes sémiotiques est tout autre : il s’y agit, d’une certaine manière, de rendre compte de la naissance du bayân. Jâhiz nous explique, en effet, que l’univers et tout ce qu’il contient, en tant qu’ils existent, en tant qu’existants, sont porteurs d’une sagesse, d’un enseignement (hikma) et que ces existants porteurs d’enseignement sont de deux sortes : ceux qui enseignent sans être eux-mêmes capables de comprendre l’enseignement délivré par les autres êtres ni ses conséquences, et ceux qui en sont capables. Aussi doit-on dire que tout existant (animé ou inanimé, doué de parole ou non), en tant qu’il est, en tant qu’il existe, est un signe (dalîl  : ce mot désigne aussi bien l’indice que la preuve, la marque ou le symptôme), et que ces signes se répartissent en deux catégories : les signes capables de comprendre ou d’interpréter les signes (dalîl yastadill) et les signes incapables de le faire. Jâhiz range dans cette dernière catégorie les choses et les vivants non doués de raison et réserve la première aux seuls humains. À ces signes, capables de comprendre les signes, que sont les hommes, fut octroyé un moyen (sabab) afin qu’ils puissent faire comprendre (yadullu) les enseignements tirés de leur interprétation des signes. C’est ce qu’on appelle le bayân, conclut Jâhiz, avant d’en énumérer les quatre espèces déjà mentionnées. On comprend pourquoi l’auteur hésite cette fois à inclure la nisba dans la classe du bayân. Si l’on peut dire que tous les êtres, y compris les vivants non doués de raison et les choses inanimées, signifient, c’est dans la mesure où, sans qu’ils le sachent ni le veuillent, à leur insu et comme malgré eux, leur état ou manière d’être (hâl, nisba) implique toujours, comme le fait une preuve, précisément, quelque signification ou renseignement. Le bayân serait donc apparu afin de permettre à ceux qui sont capables d’interprétation, de déchiffrement – autrement dit, d’expliciter l’enseignement implicite du dalîl que constitue chaque existant – de communiquer leur interprétation. De sorte que faire usage du bayân reviendrait toujours à dire quelque chose au sujet de ce que la nisba recèle sans pouvoir l’exprimer. Difficile, dans ce cas, d’affirmer que la nisba participe du bayân, alors même que ce qui la définit est le défaut de bayân, de moyen d’expression, comme le rappelle telle phrase : « La nisba est la manière d’être qui parle sans recourir à la parole (al-hâl an-nâtiqa bi-ghayr al-lafz) et indique sans recourir à la main. » (Jâhiz, al-Bayân wa al-tabyîn, I, p. 81). C’est pourquoi Jâhiz peut conclure que l’enseignement tacite qu’elle implique "ne renseigne que ceux qui lui soutirent des renseignements, et ne parle qu’à ceux qui le font parler » (Jâhiz, K. al-Hayawân, I, p. 34). En vérité, il n’a été possible de faire de la nisba et du lafz deux types de bayân qu’à la faveur de l’extrême ambiguïté de la notion d’ifhâm (faire comprendre, enseigner, renseigner). Et cette ambiguïté s’explique à son tour par le fait que la nisba - la manière d’être de chaque existant - qu’on serait spontanément tenté d’opposer au système sémiotique qu’est le bayân, est en vérité appréhendée non comme une chose mais comme un indice (dalîl, âya dâlla).

Rien n’est plus propice à la mise en évidence du trait qui distingue la manière de faire comprendre de la parole, lafz (qui représente le bayân par excellence), de celle de la nisba que l’anecdote suivante par laquelle Jâhiz illustre ce dernier mode controversé de bayân  : se tenant devant la dépouille d’Alexandre le Grand, un orateur (khatîb) dit : « Parler, Alexandre le pouvait hier (kâna antaq) plus qu’aujourd’hui ; convaincre, il le peut aujourd’hui (huwa aw‘az) plus qu’hier ». L’intérêt de cette anecdote, destinée donc à expliquer ce qu’est la nisba, tient à ce qu’elle nous montre comment une seule et même instance, Alexandre le Grand, peut signifier, renseigner, communiquer, porter à la connaissance d’autrui, faire comprendre une seule et même signification, ma‘nâ, en l’occurrence une sagesse, hikma (relative à l’impuissance des puissants, à leur vulnérabilité face à la mort, du type : nul n’échappe à la mort si puissant soit-il), de deux manières. D’abord par ce mode de bayân qu’est la parole, nutq : de son vivant Alexandre le Grand était capable de prendre la parole pour affirmer, par exemple, que les souverains meurent aussi ; puis par cet autre mode de bayân qu’est la manière d’être, la nisba : sans parler, sans donc rien affirmer, l’état du souverain (sa manière d’être = d’être mort) nous fournit la preuve (bayyina, shâhid, burhân) de ce même enseignement, il nous démontre de manière irréfutable, incontestable, indéniable, que les souverains meurent - en nous montrant un souverain mort. Alexandre vivant et Alexandre mort veulent dire la même chose, mais ce dernier le fait comprendre de manière beaucoup plus persuasive, convaincante, irréfutable, ce qui revient à dire qu’on ne peut qu’admettre ce qu’il nous fait comprendre, que sa manière de signifier ce qu’il signifie obtient aussitôt notre assentiment.

On admettra pourtant que, quand on dit qu’Alexandre vivant et Alexandre mort veulent dire la même chose, l’expression « vouloir dire la même chose », selon qu’elle s’applique à l’un ou à l’autre, ne peut pas vouloir dire la même chose, pour la très évidente raison que, mort, Alexandre le Grand ne veut ni ne peut plus rien dire du tout, qu’il est dépourvu de tout vouloir, irâda, et que son bayân, c’est-à-dire la bayyina qu’il est, ne véhicule aucune signification intentionnelle, murâd. En tant que nisba, le cadavre d’Alexandre peut avoir un ma‘nâ (une signification) mais il ne saurait avoir de murâd (une signification intentionnellement exprimée). D’où l’hésitation à inclure la nisba (al-hâl ad-dâlla) dans la classe du bayân. Avec la nisba, la communication est certes tout à fait réussie, puisque l’action de faire comprendre y est plus efficace que jamais, plus efficace qu’avec toute autre espèce de bayân, sauf que la nisba, du fait qu’elle est dépourvue de toute intention de faire comprendre, de toute intention d’ifhâm, d’ikhbâr ou de tabyîn marque aussi bien la fin de la communication et du bayân. Et c’est parce que ce cadavre ne dit absolument rien qu’il appelle irrésistiblement la parole : ce n’est sans doute pas un hasard si le témoin qui le fait parler est un orateur. De là à conclure que si le cadavre d’Alexandre le Grand est à ce point persuasif, si l’on est irrésistiblement amené à traduire ce qu’il veut dire et à y souscrire, c’est précisément parce qu’il ne veut rien dire, il n’y a qu’un pas qu’il va falloir tout à l’heure franchir.

Le vers de Nusayb est donc l’autre exemple que Jâhiz nous donne, dans le Bayân comme dans le Hayawân, pour éclaircir ce mode d’ifhâm qu’est la nisba. Et cet exemple ne fait que souligner le paradoxe de cette théorie du bayân. Il s’agit, cette fois, non d’une information qui se communique nonobstant l’impossibilité de communiquer, comme dans le cas d’Alexandre le Grand, mais d’un renseignement que même le refus de faire savoir ne pourrait étouffer : l’information que les voyageurs, à qui le poète demande de le renseigner sur la générosité du calife, refusent (ou plutôt, puisqu’il s’agit d’une hypothèse, auraient pu refuser) de communiquer, ils la signifient malgré eux, à leur insu et sans doute mieux et plus éloquemment qu’ils ne l’eussent fait s’ils avaient parlé. Comment comprendre qu’un discours, qui fait de la capacité de faire comprendre, faire connaître, faire savoir, le critère du bayân, s’appuie sur des exemples illustrant l’incapacité (pour Alexandre le Grand) ou le refus (pour les voyageurs) de communiquer, de faire comprendre, connaître ou savoir, et trahissant par là la superfluité du bayân ? Autre manière de poser la question : comment doit être appréhendé l’ifhâm pour que la nisba (ou la bayyina) en soit le modèle ? Le même vers de Nusayb, pris cette fois comme exemple de louange reconnaissante (mais non moins paradoxale, puisqu’elle ne loue qu’à reconnaître la superfluité de l’éloge) nous aidera à répondre à cette question.

Nombreux sont les critiques médiévaux, nous le disions, qui voient en ce vers un modèle de panégyrique, le modèle plus ou moins explicitement copié par des poètes qui veulent faire montre de gratitude, qui veulent et en principe peuvent reconnaître le bienfait de leur bienfaiteur et le rétribuer pour sa générosité. Ils ont souvent tenté de retracer l’origine de l’idée, ma‘nâ, qu’il véhicule, que certains repèrent dans tel vers du poète préislamique Hâjib b. Zurâra :

Et quand quelqu’un comme moi ne reçoit pas la récompense (lam yujza) de ses œuvres,
c’est son bienfait qui se charge de parler pour lui (Amâlî al-Zajjâjî, p. 48).

Mais ils se sont surtout intéressés, pour en attribuer le mérite à son auteur, à son innombrable descendance (dont fait partie l’épître de Jâhiz). Ils ont en retrouvé l’écho chez des poètes du 9e siècle, comme Abû Tammâm, parlant du bienfait de celui qu’il loue :

Un bienfait tel que si l’obligé (châkir) se montrait négligent,
ce bienfait tiendrait au bienfaiteur lieu d’orateur (Husrî, al-Masûn, p. 86).{}

ou al-Nâshi’ al-Akbar :

Et si ma parole ne divulguait pas ma reconnaissance (yabuh bi-ch-chukr)
mes mains droite et gauche diraient ce que je te dois (Hâtimî, Risâla, p. 132).

Ils l’ont reconnu dans tels vers du célèbre poète du 10e siècle, Mutanabbî :

Ses louanges que chantent nos vêtements
sont des paroles que ne prononce nulle bouche ;
Si, les revêtant, nous venions à passer devant quelque sourd
ses yeux le dispenseraient de l’usage de ses oreilles (Badî‘î, Subh, p. 69).

 Impératif éthique et éloquence

Or dans son ouvrage, al-Munsif, consacré au plagiat dans la poésie de Mutanabbî, Ibn Wakî‘ cite, pour le condamner sans appel, ce vers. Que lui reproche-t-il au juste ? Ceci qu’en s’exprimant de la sorte, Mutanabbî avoue que l’ingratitude (juhûd ou kufr) est un trait de son caractère ou de sa nature, à quoi il ne résiste que contraint et forcé, parce qu’il ne peut faire autrement. Reconnaître qu’il y a eu bienfait, en d’autres termes, admettre à contrecœur malgré soi, ce qu’on voudrait nier, dit en substance Ibn Wakî‘, ce n’est pas reconnaître le bienfait, ce n’est pas faire montre de reconnaissance et manifester de la gratitude. Plutôt que de laisser entendre que s’il ne nie pas, s’il reconnaît (aqarra) le bienfait, c’est parce qu’il ne peut faire autrement, la chose étant indéniable et attestée par des témoins qui ne manqueraient pas de devenir des témoins à charge, Mutanabbî aurait dû s’exprimer comme al-Hârith b. Khâlid al-Makhzûmî, lequel présente sa reconnaissance comme un effet de sa loyauté (wafâ’), donc comme une réaction volontaire, libre et délibérée :

Nous lui devons un bienfait passé
que jamais nous ne renierons (najhaduh).

Le reproche d’Ibn Wakî‘ est-il fondé ? La réponse à la question de savoir lequel du critique ou du poète a eu tort, l’un en s’exprimant comme il l’a fait et l’autre en condamnant cette manière d’exprimer sa reconnaissance, suppose sans doute que l’on ait préalablement déterminé ce que veut dire ce vers, son murâd, au delà de sa simple signification, ce qu’il vise, sa finalité, maqsid ou maghzâ, ultime. C’est seulement en fonction de cette visée que l’on pourra conclure à la réussite ou à l’échec de son expression par Mutanabbî.

L’erreur d’Ibn Wakî‘, si erreur il y a, tiendrait à ce qu’il n’a pas vu que ce ma‘nâ que véhiculent le vers de Mutanabbî ou celui d’Ibn Bassâm qu’il cite également :

Je porte sur moi les marques du bienfait d’un homme,
qui reconnaîtraient sa générosité si je ne la reconnaissais pas (tuqirru wa in lam uqirr).{}

et d’autres encore que nous avons déjà mentionnés ou que nous mentionnerons, n’est que la version, l’inflexion, ou, si l’on préfère, la formulation spécifique d’un ma‘nâ générique, en fonction duquel il convient de le comprendre et donc de l’apprécier. Afin de le montrer, il faut commencer par une remarque relative aux mots aqarra et iqrâr qui reviennent six fois dans le paragraphe d’une dizaine de lignes que le critique consacre au vers de Mutanabbî : quatre fois dans les vers qu’il cite et deux fois dans son propre commentaire. Ibn Wakî‘ a recours lui-même, une première fois, au verbe aqarra pour signifier que Mutanabbî ne reconnaît le bienfait qu’au mauvais sens du mot reconnaître : qu’il admet contre son gré qu’il y a eu bienfait, l’avoue bon gré mal gré, et seulement en raison de la présence de témoins à charge, alors que sa déloyauté le pousserait à s’en abstenir. Dès lors que la reconnaissance se fait ici malgré soi, Ibn Wakî‘ a sans doute raison de la qualifier d’iqrâr (aveu tacite) plutôt que d’i‘tirâf (reconnaissance explicite). En effet, dans al-Furûq al-lughawiyya, ‘Askârî établit une distinction entre ces deux notions. Or le critère ultime sur quoi repose, selon lui, cette distinction est le savoir ou la connaissance, ma‘rîfa. Au rebours de l’iqrâr, l’i‘tirâf implique le savoir et l’implique, qui plus est, deux fois. Une première fois, parce qu’une reconnaissance ne mérite le nom d’i‘tirâf que si celui qui reconnaît (par exemple une dette) le fait explicitement, expressément, savoir à autrui. Une deuxième fois, parce que l’acte délibéré de faire savoir à autrui que l’on reconnaît (une dette) suppose nécessairement que la personne qui l’accomplit le sache elle-même, en soit consciente, le fasse en connaissance de cause (innamâ l-i‘tirâfu huwa l-iqrâru lladhî sahibathu l-ma‘rifatu bi-mâ uqirra bihi). En revanche, on parlera d’iqrâr quand la reconnaissance est implicite ou tacite, non exprimée, c’est-à-dire comprise par autrui bien qu’elle n’ait pas été explicitement, expressément, formulée par celui qui reconnaît (huwa tahsîlu mâ lam yusarrih bihi l-qawl). Et cela parce que l’iqrâr peut se faire à l’insu de celui qui le fait. On peut reconnaître ou avouer sans le faire sciemment, expressément, intentionnellement, sans en être conscient, sans le savoir (yajûzu an yuqirra bi-ch-chay‘i wa huwâ lâ ya‘rifu annahu aqarra bihi) et donc sans le vouloir, involontairement. Et sans doute est-ce parce que le trait spécifique de cette espèce de reconnaissance appelée iqrâr est le défaut de savoir, d’intention et de volonté, que ‘Askarî parle, plus d’une fois, à son propos d’idh‘ân (de soumission, d’obéissance). Il y a iqrâr quand on ne peut que reconnaître un fait, quand on n’a pas le choix (Askârî, Furûq, p. 59-60). Autre manière de dire qu’il est cette reconnaissance qui s’impose à nous, se fait en nous, et se manifeste sur nous, sans qu’on le sache ou le veuille. Dans ce cas, quand l’i‘tirâf arrive, il arrive comme une confirmation seconde voire secondaire, supplémentaire voire superflue, qui vient redoubler une reconnaissance qui a déjà eu lieu. Bref, l’iqrâr en tant que tel, dans son moment propre, en tant qu’il est distinct de l’i‘tirâf, est essentiellement implicite, tacite, passif, non intentionnel, non volontaire. Il n’est guère donc surprenant que Mutanabbî et Ibn Bassâm parlent dans leur vers respectifs d’iqrâr. Ce qui l’est davantage est qu’Ibn Wakî‘ recourt lui-même à ce mot pour nommer et, cette fois, louer, la reconnaissance, le témoignage libre et spontané de la gratitude, dont est supposé faire montre le vers d’al-Hârith b. Khâlid. Et pourquoi utilise-t-il le mot d’iqrâr, sinon parce qu’il doit bien lui-même admettre que, tout comme ceux de Mutanabbî ou d’Ibn Bassâm, les vers d’al-Hârith b. Khâlid et de Buhturî s’entendent comme un aveu de l’impossibilité de ne pas reconnaître le bienfait du bienfaiteur. Quand Buhturî affirme dans le vers que cite Ibn Wakî‘ :

Je te suis reconnaissant (châkirun) pour ce généreux bienfait,
car nier le bienfait du prince, c’est être mécréant.

ne reconnaît-il pas, en effet, ne pas pouvoir taire le bienfait (kufr an-ni‘ma) sans que son silence ne soit aussitôt assimilé à cet acte hautement condamnable qu’est la mécréance (kufr) ? En vérité, « Je ne peux pas nier le bienfait » est l’affirmation que laissent entendre aussi bien les vers de Mutanabbî et d’Ibn Bassâm que ceux d’al-Hârith Ibn Khâlid et de Buhturî. La subtile différence entre un « je ne peux pas » et l’autre tient à la double valeur du « ne pas pouvoir » qui hésite entre l’impossible et l’interdit. Les uns reconnaissent qu’ils ne peuvent pas nier, parce que cela est physiquement impossible, cependant que les autres avouent qu’ils ne le peuvent, parce que cela est éthiquement condamnable. C’est ce qu’avoue également ce vers que nous prélevons dans un des poèmes d’Abû Tammâm, qui combine les deux valeurs du « je ne peux pas » :

Comment pourrais-je masquer un bienfait aussi éclatant que la clarté
de la lune dans la nuit, sans faire montre de bassesse (Tabrîzî, Charh, III, p. 293) ?{}

Dans tous les cas, on le voit, il s’agit de ne pas nier l’indéniable, donc de reconnaître qu’il y a de l’indéniable, de reconnaître qu’on ne peut pas ne pas reconnaître, bref de reconnaître son iqrâr. Tout se passe comme si le chukr (l’expression de la gratitude) qui est, selon ‘Askarî, nécessairement un i‘tirâf (une reconnaissance explicite) ne pouvait être ce qu’il est qu’à avouer qu’il est un iqrâr (un aveu tacite) autrement dit, qu’à reconnaître la superfluité du chukr et de l’i‘tirâf (de la formulation explicite de la reconnaissance).

Voilà qui nous amène à ce qu’Ibn Wakî‘ n’aurait pas perçu, à savoir le ma‘nâ générique dont le vers de Mutanabbî constituerait une expression spécifique, et que l’on peut résumer ainsi : « Au bienfait, à la bienfaisance (in‘âm) ne peut faire défaut la récompense (jazâ’) » et dont nous trouvons une autre formulation dans l’épître sur La Vie future de Jâhiz : « La juste générosité (jûd) rend nécessaire (yûjib) la louange (hamd) » (Jâhiz, Risâla fî al-Ma‘âd wa al-ma‘âch, op. cit., I, p. 110), où le « rendre nécessaire », l’îjâb, hésite entre la nécessité propre à la conséquence naturelle et celle qu’appelle l’impératif éthique.

L’exceptionnelle fortune qu’a connue le vers de Nusayb, tient sans doute à ce que les critiques et rhétoriciens y voient la formulation la plus percutante d’une affirmation fondamentale de la culture arabe médiévale, relative à la rétribution des actions, jazâ’. De cette affirmation typique les exemples abondent dans le Coran, dans des versets du type : « Qui aura fait le poids d’un atome de bien, le verra. Qui aura fait le poids d’un atome de mal, le verra », fa-man ya‘mal mithqâla dharratin khayran yarah wa man ya‘mal mithqâla dharratin charran yarah, (99, 7-8), ou dans ceux où il est question du salaire, ajr, des croyants : « Allah ne laisse point perdre (lâ yudî‘u) la rétribution (ajr) des croyants » (3, 171). Les exemples en sont également très nombreux dans la poésie. Témoins (entre cent autres) ces vers préislamiques de la femme de Rabî‘a b. Mukaddam :

Au nom de Rabî‘a nous récompenserons (sa-najzî) le bienfait de Durayd,
car tout homme est récompensé (yujzâ) pour ce qu’il a fait ;
Si c’est le bien, c’est par le bien qu’il sera récompensé (jazâ’uhu)
et si c’est le mal, par un mal détestable il le sera (Isfahânî, Aghânî, 16, p. 67-68).

Ce qu’il s’agit d’affirmer, c’est le caractère infaillible, nécessaire, certain, de la rétribution, jazâ’, qu’appelle ou attend un acte de bienfaisance et que celui-ci entraîne celle-là aussi nécessairement aussi infailliblement qu’une condition suffisante sa conséquence. Il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce que la phrase conditionnelle et la rhétorique qui l’accompagne soient aussi remarquablement attestées dans ce type de poésie, ainsi que nous ne manquerons pas de le vérifier. Pour signifier le lien indéfectible entre in‘âm et jazâ’ (bienfaisance et rétribution) quel modèle de relation serait, en effet, plus éloquent que celui qu’il y a entre la protase (chart) et l’apodose (nommée, justement, jazâ’) dans la phrase conditionnelle ? Comment mieux signifier ou suggérer que la récompense est aussi solidement liée à la bienfaisance que l’apodose l’est à la protase dans une phrase conditionnelle qu’en affirmant cela dans une phrase conditionnelle, justement, dont le jazâ’, l’apodose, énonce l’infaillibilité du jazâ’, rétribution, et dont le chart, la protase, est chargée, elle, d’exprimer la condition suffisante, chart, d’une telle rétribution ? C’est précisément ainsi que se présentent les versets 7-8 de la sourate 99 (fa-man ya‘mal ... yarah), le vers de Hutay’a : « A celui qui fait le bien la récompense ne peut faire défaut » (Man yaf‘al ... lâ ya‘dam jawâziyahu), ou celui de la soeur de Rabî‘a b. Mukaddam : « car tout homme est récompensé pour ce qu’il a fait ; / Si c’est le bien, c’est par le bien qu’il sera récompensé ... » (wa kullu fatan yujzâ bi-mâ kâna qaddamâ / Fa-in kâna khayran kâna khayran jazâ’uhu ...).

Mais en vue d’établir l’infaillibilité de la récompense – que traduit la phrase conditionnelle : « s’il y a bienfaisance, alors il y a nécessairement rétribution » –, cette poésie recourt souvent à une rhétorique plus complexe dans laquelle un autre type de phrase conditionnelle est sollicité : la conditionnelle concessive avec « même si », wa law, wa in. Alors qu’une phrase conditionnelle comme celle de Hutay’a « À celui qui fait le bien la récompense ne peut faire défaut ; man yaf‘ali l-khayra lâ ya‘dam jawâziyahu » affirme qu’il suffit que la condition soit remplie, à savoir la bienfaisance, in‘âm, pour que la conséquence, à savoir la récompense, advienne, la rhétorique à l’oeuvre dans les vers que nous citerons doit, elle, expliquer pourquoi il en est ainsi.

La phrase conditionnelle concessive se reconnaît à ceci que la proposition qui constitue son apodose, jazâ’, affirme l’infaillible arrivée de la rétribution, jazâ’, alors même que son shart, sa protase, prend acte du défaut du shart, de la condition nécessaire à l’arrivée du jazâ’, ce qui revient à démontrer qu’une telle condition supposée nécessaire ne l’est pas en vérité. Il suffit que la conséquence soit possible même quand sa condition de possibilité fait défaut, pour que l’on puisse conclure que la rétribution, jazâ’, tire sa possibilité d’ailleurs. Cette démonstration prend deux formes.

- La première consiste à tirer la conséquence de telle phrase conditionnelle : s’il suffit que le bienfait d’un bienfaiteur soit reconnu pour que celui-ci soit déjà effectivement récompensé, alors jamais un poète ne sera privé du pouvoir de rémunérer. Nous entendrons différents poètes décliner la rhétorique concessive suivante : même si la condition de la rétribution, à savoir la possession de biens matériels, me fait défaut, même s’il est vrai que je suis incapable de jazâ’, il est également indéniable que je suis capable d’ijtizâ’, capable de répondre par un jazâ’ substitutif, qui n’est autre que la célébration poétique.

- La deuxième forme que prend la démonstration est destinée à établir encore plus fermement la certitude de la rétribution, jazâ’, en mettant son infaillibilité à l’épreuve non plus du seul défaut du pouvoir de récompenser, mais d’un défaut encore plus radical, puisqu’il concerne, cette fois, la condition première et apparemment irréductible de toute récompense, à savoir l’i‘tirâf, la reconnaissance elle-même : la volonté de reconnaître et donc de faire connaître le bienfait. Même si c’est le cas, même si le bénéficiaire du bienfait ne voulait pas faire montre de reconnaissance en faisant connaître la générosité du bienfaiteur, il ne pourrait pas s’empêcher de la manifester, fût-ce contre son gré et à son insu, et le bienfaiteur ne serait donc pas privé de jazâ’. On aura sans doute reconnu là le ma‘nâ qu’exprime le vers de Mutanabbî (Ma propre peau reconnaissant ma dette ...) et que traduit plus généralement la rhétorique de la phrase conditionnelle concessive – dont l’hémistiche de Nusayb (et s’ils s’étaient tus, les charges de leurs montures t’auraient loué) nous fournit le modèle – qui structure des vers tels que ceux, déjà cités, d’Ibn Bassâm.

C’est seulement en faisant planer, ne serait-ce qu’à titre de simple hypothèse, la menace de la non-reconnaissance, due à l’absence de volonté de reconnaître et de faire connaître, juhûd, que le poète peut l’exclure radicalement. C’est ce que, recourant à son tour à la rhétorique concessive, résume telle sagesse que l’on peut lire dans l’ouvrage d’adab d’Ibn Qutayba : « Le bienfait, même s’il est fait à un ingrat (littéralement : à celui qui le nie, man yakfuruhu), sera récompensé (machkûr) par la langue d’un autre. » (Ibn Qutayba, ‘Uyûn al-akhbâr, III, p. 163). Traduisons : la récompense n’est certaine qu’à ne pas venir du bénéficiaire du bienfait.

Voilà, sans doute, ce qu’Ibn Wakî‘ n’a pas vu. Dès lors que la rhétorique concessive a pour finalité d’établir d’une manière irréfutable que le jazâ’ est inéluctable, il lui faut, d’une manière ou d’une autre, signifier que la rémunération n’a pas besoin, pour avoir lieu, d’un rémunérateur, qu’elle peut en faire l’économie, qu’il peut y avoir jazâ’ (rétribution) sans mujzî (rémunérateur), chukr (expression de la gratitude) sans châkir (celui qui l’exprime), i‘tirâf (reconnaissance) sans mu‘tarif (reconnaissant), ifhâm (action de signifier) sans ta‘rîf (volonté de faire savoir), et c’est précisément cet aveu involontaire qu’on appelle iqrâr.

Alors que le vers de Nusayb est destiné, chez Jâhiz, à illustrer le mode d’ifhâm (la manière de faire comprendre) propre à la nisba, il exemplifie, dans la poésie laudative, la reconnaissance implicite, iqrâr, des bénéficiaires du bienfait. Dans l’hypothèse envisagée – celle où les voyageurs refusent d’informer le poète qui le leur demande, en s’abstenant de lui dire ce qu’ils savent du calife – leur état se charge de lui transmettre cette information, et dès lors que cet ifhâm ou ta‘rîf se fait passivement, malgré les voyageurs sans qu’ils le veuillent ou le sachent, par le seul biais de leur manière d’être, et qu’il ne relève donc pas de l’i‘tirâf, on peut dire qu’il constitue de leur part un iqrâr, un aveu involontaire, tacite, de la générosité du calife. Mais, étant donné que cet aveu involontaire, iqrâr, est aussi bien une information que les voyageurs portent sur eux et transmettent sans le savoir, telle une marque visible et signifiante pour les autres, un symptôme en quelque sorte, étant donné qu’en tant que véhicule d’un message ou d’une information ils ont eux-mêmes un statut de bayân, il y a lieu de s’interroger sur le destinateur de ce message à qui ils servent de moyen de communication. Et qui serait-il sinon l’instance même qui est à l’origine des présents, à savoir le calife qui aura pour ainsi dire inscrit sa générosité, comme pour la communiquer, la faire connaître et reconnaître, à même les voyageurs, faisant d’eux la preuve ou le témoin tacite de ce prédicat, la marque qui le signifie par implication, et donc le reconnaît implicitement – ainsi que Jâhiz le demande à son bienfaiteur quand il lui dit : « Aussi je te demande de nous marquer d’une trace (athar) capable de parler (yantiqu) quand nous nous taisons (idhâ sakatnâ). »

En somme, tout se passe comme si la nisba (la prospérité des voyageurs) était cet indice, âya, dans laquelle l’ikhbâr (information) du bienfaiteur et l’iqrâr (aveu tacite ou involontaire) du bénéficiaire du bienfait s’énoncent l’un comme l’autre. En tant qu’iqrâr, les présents parlent pour ceux qui en sont les bénéficiaires, ils avouent à la place de ces derniers ce qu’ils pourraient être tentés de nier ; en tant qu’ifhâm, ikhbâr, ils parlent pour le calife Sulaymân, en sa faveur certes, mais surtout à sa place, comme s’il les déléguait pour qu’ils s’expriment en son nom. Car le bienfait est le porte-parole du bienfaiteur, il parle en son nom, comme nous le rappellent Hâjib b. Zurâra :

Et quand un homme comme moi ne reçoit pas la récompense de ses œuvres,
c’est son bienfait qui se charge de parler pour lui.

De sorte que, par un paradoxe apparent, ce que l’aveu implicite des bénéficiaires du bienfait implique, c’est la voix même du bienfaiteur.

Et quel est donc le rôle du poète dans cette communication doublement tacite ? Remarquons d’abord que la place qu’il occupe dans le poème de Nusayb n’est pas sans analogie avec celle de l’orateur, de l’homme de la parole et de l’éloquence qui reconnaît la supériorité de la nisba sur la parole, dans l’anecdote d’Alexandre le Grand. Dans cette histoire, l’orateur figure bien sûr le destinataire qui comprend le message qu’exprime le cadavre d’Alexandre et déclare qu’on ne peut qu’y acquiescer. Mais il est aussi bien, en tant qu’orateur, celui qui parle pour le mort et le fait parler, celui qui traduit pour les autres ce que veut dire sans pouvoir le dire le cadavre d’Alexandre. Si bien que tout en étant le destinataire du message que délivre la dépouille d’Alexandre, l’orateur en est aussi bien, en tant qu’interprète, le destinateur qui énonce ce que veut dire le cadavre. De même le poète est-il, dans les vers de Nusayb, ce témoin qui voit la nisba, al-hâl ad-dâlla, en l’occurrence la richesse des voyageurs, et qui en comprend et traduit le message tacite. Et dès lors que cette nisba sans voix est porteuse du message du bienfaiteur - au nom de qui elle informe ceux qui la voient de sa générosité -, non moins que de l’aveu des bénéficiaires du bienfait, de leur iqrâr, le poète se trouve lui-même chargé de faire résonner la voix qui vient de l’un comme celle qui vient des autres. Le poème serait donc ce bayân dont la tâche est de rendre audible un ikhbâr (information) et un iqrâr (aveu) également muets ou privés de voix.

Que révèle le fait que le vers de Nusayb, qui sert de modèle à une certaine poésie laudative, ait pu également servir d’exemple au discours rhétorique de Jâhiz ? Ceci sans doute que le paradigme sur quoi se règle, sans l’avouer, la théorie de la communication, de l’ifhâm, de ce dernier, est le chukr  : l’expression de la reconnaissance et de la gratitude. Parler consisterait avant tout à louer et à témoigner sa gratitude à un bienfaiteur en faisant connaître son bienfait. En d’autres termes, la parole, avant d’affirmer ceci ou cela, serait d’abord une reconnaissance de dette, et par là même déjà une rétribution (jazâ’), le moyen le meilleur de s’acquitter d’une dette en la reconnaissant. Or le credo sur quoi repose l’édifice de la culture arabe médiévale étant que, de chaque action, la rétribution (la récompense, jâzâ’) est infaillible, il faut que la reconnaissance le soit aussi. Et elle ne peut l’être qu’à devenir reconnaissance implicite, aveu tacite (iqrâr).

Le vers de Nusayb veut dire que la bienfaisance (in‘âm) est nécessairement reconnue, parce que le bienfait est un indice probant (âya dâlla, âya bayyina) qui, du seul fait de son être, témoigne infailliblement du bienfaiteur. Que peut, en effet, signifier la définition de Jâhiz que nous rappelions, selon laquelle la nisba est la manière d’être qui parle sans recourir à la parole et indique sans recourir à la main, qui communique sans le secours de ce au moyen de quoi on communique ? En quoi peut bien consister cette manière de renvoyer au ma‘nâ, sans bayân, sinon en un renvoi par implication. Cela se produit à chaque fois que l’être ou la manière d’être de A suppose, présuppose nécessairement B : on ne peut, dans ce cas, prendre acte de l’existence de A sans reconnaître ipso facto B, dès lors que la possibilité du premier est elle-même déjà une reconnaissance de facto, implicite, tacite, du second. C’est pourquoi la condition muette, tacite, de la preuve ne tient pas, il convient d’y insister, à son statut de chose, mais au fait qu’elle est un indice (dalîl) qui signifie ce qu’il signifie implicitement, c’est-à-dire en l’impliquant. L’assimilation du rapport bienfaiteur / bienfait à celui de locuteur / moyen d’expression, qui sous-tend les pages que Jâhiz consacre au bayân, n’aurait d’ailleurs pas été possible si le bienfait (ni‘ma) n’était appréhendé comme un témoin ou un indice probant (châhid, âya bayyina). De même, la visibilité de la nisba, sur laquelle insistent tous les textes, traduit-elle deux traits relatifs à ce mode de signification par implication. Le premier concerne sa passivité. La nisba est visible à la manière de l’indice (dalîl ou âya) qui ne fait pas comprendre par l’effet d’une intention ou d’une volonté, mais en se donnant à comprendre, en s’offrant à la considération (nazar) de ceux qui l’observent, « le font parler », « lui soutirent des renseignements », dit Jâhiz. Le deuxième trait que traduit la visibilité de la nisba est l’évidence de la signification qu’elle véhicule. La "manière d’être" ne peut cacher son sens ni le soustraire à la saisie ou à la compréhension du témoin, et elle ne le peut, paradoxalement, parce que ce sens n’est pas exprimé ou révélé, mais s’impose avec l’évidence de ce qui est nécessairement impliqué.

 L’implicite : critère ultime de l’éloquence

On ne sera donc pas étonné de voir l’autre grand rhétoricien de cette tradition, Jurjânî, faire de l’implicite (kinâya, ta‘rîd) le critère ultime de la balagha : parler de telle manière que ce qu’on veut faire comprendre, faire savoir, ne soit pas l’énoncé du discours mais son impliqué. Pour Jurjânî, la balâgha consisterait à faire du bayân lui-même la bayyina de ce qu’on veut dire (murâd).

Dans les pages de Dalâ’il al-i‘jâz consacrées à la supériorité (maziyya, fadl) de l’expression figurée (majâz, isti‘âra), implicite (kinâya), indirecte (ta‘rîd), sur l’expression littérale (haqîqa), explicite (ifsâh) ou directe (tasrîh), Jurjânî se propose de fonder en raison une telle supériorité sur laquelle tout le monde s’accorde bien que personne ne l’ait vraiment justifiée (Jurjânî, Dalâ’il al-i‘jâz, op. cit., p. 70-73). La balâgha est le critère de cette supériorité : Jurjânî entend, en effet, fournir la raison pour laquelle le premier type d’expression (figurée, implicite ou indirect) est ablagh  : a plus d’effet (ta’thîr), est plus persuasif, plus à même d’obtenir l’acquiescement de celui qui l’entend, d’emporter sa conviction, que le second type d’expression. Or la raison de ce surcroît de force persuasive n’est pas, insiste-t-il, à chercher du côté de ce qu’on veut dire, du sens exprimé, ma‘nâ, mais du côté de ce qu’il appelle taqrîr al-ma‘nâ  : la manière d’établir ce qu’on veut signifier, de le fonder, de l’affermir, de le rendre nécessaire (îjâb). De fait, ce qui, avec le recours au mode d’expression figurée, implicite ou indirect, augmente, croît, se renforce nous dit Jurjânî, ce n’est pas l’idée affirmée, mais l’affirmation de cette idée (fî al-ithbât dûna al-muthbat) – sa confirmation – qui devient plus sûrement, plus fermement, plus solidement établie, moins sujette à la contestation (afadta ta’kîdan wa tachdîdan wa quwwatan fî ithbâtik). Îjâb al-ma‘nâ  : s’exprimer de telle sorte que ce qu’on dit rende nécessaire ce qu’on veut dire, tel semble bien être l’enjeu de ces trois pages des Dalâ’il (où abonde le vocabulaire de la nécessité ou du « nécessiter » : îjâb, awjaba, wâjib, wûjib), dans lesquelles Jurjânî se propose de nous expliquer en quoi consiste le mode de taqrîr (établissement de ce qu’on veut dire) propre au majâz, à la kinâya. Partant du constat que la balâgha tient à l’usage de l’expression figurée, implicite ou indirecte, et que ce type d’expression n’affecte pas ce qu’on veut exprimer, faire comprendre ou connaître, mais la manière d’en établir la nécessité, il lui faut montrer pourquoi la métaphore, la métonymie et, plus généralement, l’expression figurée, réussissent à conférer à une assertion donnée une telle nécessité (wujûb).

« On s’accorde à dire que parler par kinâya est plus éloquent (ablagh) que parler explicitement (ifsâh). » C’est par cette affirmation que s’ouvre le discours de Jurjânî. Comment faut-il comprendre et donc traduire le mot de kinâya dans cette phrase ? Dès lors que la kinâya s’oppose à l’ifsâh, à la formulation explicite, il semble évident que Jurjânî désigne par ce mot l’expression implicite. Quelques lignes plus loin, il l’oppose à nouveau à l’explicitation de ce qu’on veut dire (tusarrih bi-lladhî turîd). Cependant, il convient d’être attentif à ceci que les exemples qu’il nous donne de la kinâya ne laissent aucun doute sur le fait qu’il utilise ce mot pour désigner la figure de style que la rhétorique française appelle métonymie, plus exactement encore, métalepse, par laquelle on nomme la conséquence pour signifier la cause ou l’inverse, et qui procède par implication, précisément. Que cette logique de l’implication, caractéristique de la métonymie ou de la métalepse, soit, chez Jurjânî, le critère ultime de la balâgha, le montre assez le fait qu’elle constitue à ses yeux le soubassement de tous les types d’expressions figurées. Quand, dans le but de louer l’hospitalité d’un homme, un laudateur recourt à une expression métonymique, kinâya, telle que « La cendre de ses marmites est abondante », plutôt que d’affirmer qu’il est hospitalier, ou quand, pour dire qu’il est courageux, il use d’une métaphore, isti‘âra, du type « J’ai vu un lion », que se passe-t-il ? Ceci que le locuteur tait ce qu’il veut affirmer (l’hospitalité ou le courage de la personne louée), pour n’en donner que la preuve (dalîl, châhid, burhân, bayyina), qu’il met à la place de l’énoncé affirmatif (x est hospitalier, x est courageux). Ce faisant, dit Jurjâni, il établit fermement cet attribut qu’il tait en posant ce qui l’implique et le rend nécessaire. C’est comme si, dans la parole même, la preuve muette remplaçait l’assertion et en tenait lieu ou que la signification, ma‘nâ, se manifestait sans le locuteur et pour ainsi dire malgré lui. Il en résulte, selon Jurjânî, que ce qui est ainsi établi l’est aussi fermement, aussi nécessairement que le serait l’existence de quelque chose dont on exhiberait la preuve. Il est remarquable que le verbe arabe que l’on a traduit par « exhiber », nusiba, dans l’expression « exhiber la preuve », nusiba lahu dalîl, en appelle justement à la nisba. Dans ce texte, l’expression figurée est une parole, bien sûr, mais une parole qui tient la parole pour inefficace, un bayân dans lequel la bayyina vient à la place du bayân. Aussi peut-on dire que chez Jurjânî le majâz (l’expression figurée) se rapporte à la haqîqa (l’expression littérale), la kinâya au ifsâh (l’implicite à l’explicite), comme la nisba se rapporte au lafz, la bayyina au bayân, chez Jâhiz, ou l’iqrâr (l’aveu tacite) à l’i‘tiraf (la reconnaissance formelle) dans la poésie exprimant la reconnaissance. L’implication étant la condition de la balâgha, celle-ci qualifiera, paradoxalement, un discours qui implique le silence au coeur du discours : c’est à devenir bayyina (preuve) que le bayân atteint la balâgha chez Jâhiz, c’est à devenir iqrâr (aveu tacite) que le chukr (expression de la gratitude) l’atteint dans la poésie, c’est à devenir kinâya (à parler implicitement, par implication) que le taqrîr (l’établissement de ce qu’on veut dire) l’atteint chez Jurjânî. Ce qu’on veut dire, il faut le taire - voilà, en somme, le trait commun à ces trois discours, pour lesquels la seule manière de rendre nécessaire ce qu’on veut dire est de ne pas le dire, de ne pas l’affirmer, pour manifester ce qui l’implique.

Étant admis que l’implication est la condition de la balâgha, si maintenant et pour conclure, nous nous demandions quand cette implication devient absolument nécessaire, absolument soustraite à toute négation, ne laissant de place qu’à la seule dénégation (jahd), il faudrait répondre que cela arrive quand le discours, se retournant sur lui-même, entend témoigner de sa propre condition de possibilité ; exemplairement, quand il se fait discours de reconnaissance, rendant grâce au bienfaiteur qui l’aura rendu possible. Quand le don de la parole, du bayân, du pouvoir de parler éloquemment, constituent eux-mêmes le bienfait, alors il n’y a plus moyen de cacher ou de nier celui-ci. Il suffit que le poète ouvre la bouche, pour rendre aussitôt hommage à son bienfaiteur et le reconnaître indéniablement. La négation (inkâr), elle-même, ne ferait qu’attester le bienfait (le pouvoir de faire usage de la parole) et avouer sa dette à l’égard du bienfaiteur.

S’il en est ainsi, il faut en conclure que tout bayân qui témoigne de ce qui l’aura rendu possible se met à ressembler à une bayyina ; que toute parole qui prétend reconnaître son bienfaiteur, autrement dit celui sans qui elle ne parlerait pas, s’entend aussitôt comme un iqrâr, une reconnaissance implicite ; enfin que tout discours qui s’exprime de sorte que ce qu’il dit rende nécessaire ce qu’il veut dire participe du majâz, du métaphorique ou du métonymique (isti‘âra, kinâya), plutôt que de l’expression littérale (haqîqa, ifsâh, tasrîh).

Pour peu qu’on la lise à la lumière du parcours que nous venons de tracer, n’est-ce pas, au fond, ce que laisse entendre l’épître de Jâhiz ? Prenant acte de ce que 1) la balâgha n’a pas trait à ce qu’on veut dire ou faire comprendre, au sens en tant que tel, mais à la manière dont on le confirme et l’établit pour le rendre incontestable et le soustraire à toute infirmation ; 2) que la manière d’être (le fait pour une personne d’être ce qu’elle est : riche, prospère ou indigente etc.) est le moyen le plus efficace de signifier ; 3) que la manière d’être spécifique aux maîtres du bayân, dont Jâhiz se fait le représentant, ne saurait être étrangère à leur manière de parler, il dirait à son destinataire : je ne peux établir ta générosité, en parler éloquemment, qu’en en parlant implicitement, car je ne peux l’établir fermement qu’à l’impliquer sans en faire l’objet d’une assertion, je ne puis la rendre incontestable qu’à en faire le supposé du discours qui devrait la poser, et je ne peux l’impliquer ou la supposer à moins que la manière d’être de ce discours n’en constitue la reconnaissance de fait. Permets-moi donc de parler de telle sorte que ma parole, par sa seule manifestation, par sa manière d’être, suppose nécessairement ta bienfaisance, et partant en constitue la reconnaissance ou l’aveu implicites et donc indéniables.

 Poétique de la louange

Le fait est que ce message qui, dans l’épître de Jâhiz, s’énonce comme un souhait, nombre de poèmes le formulent comme ce qui est effectivement advenu, et a rendu possible le poème qui le formule. Indépendamment de ce qu’elle énonce, indépendamment de la reconnaissance qu’elle exprime explicitement, la seule possibilité de la louange (le simple fait de pouvoir parler, louer ou exprimer sa gratitude) suppose par elle-même la générosité du bienfaiteur et donc la reconnaît ou en implique la reconnaissance : c’est là un thème typique de la poésie laudative, qu’elle exprime par le biais d’une analogie tout aussi typique et récurrente : je te dois la reconnaissance, comme la terre doit sa végétation à la pluie ; ou : ma reconnaissance est la floraison due à la pluie de ta générosité. Nous nous contenterons ici de deux exemples, tirés tous les deux de la poésie de Buhturî (9e siècle) et choisis en raison même de la naïveté de leur expression :

Les vers te sont parvenus à la suite du bienfait
comme éclosent les roses après la pluie (Buhturî, Dîwân, II, p. 958).
 
De cette poésie les paroles sont une végétation
dont les bonnes actions hâtent le mûrissement (Buhturî, Dîwân, II, p. 958).{}

De ce lieu commun, naïf à souhait (dont on pourrait, du reste, donner des exemples à la rhétorique plus complexe et plus sophistiquée), les conséquences le sont peut-être moins. Alors que Buhturî ne dit, dans ces deux vers, rien de plus que Jâhiz quand il affirme que « la juste générosité rend nécessaire la louange », tel autre vers fait un pas de plus en donnant à cette idée un tour plus radical ou hyperbolique :

Je rendrai grâce à ton bienfait auquel doivent leur pouvoir
ma main et ma langue, laquelle proclame ta gloire (Nuwayrî, III, p. 253).{}

Cette fois, la parole louangeuse qui chante le bienfait n’est pas seulement appelée par celui-ci comme l’effet par ce qui en serait la cause, elle n’est pas seulement ce qui y répond comme la rétribution (jazâ’) répond à la bonne action : le pouvoir de parler, la possibilité de la louange, le don de l’éloquence (balâgha) deviennent eux-mêmes le bienfait dont il leur faut témoigner. Après avoir, tout comme Buhturî, reconnu sa dette et promis de s’en acquitter, en disant à son bienfaiteur : « je te dois la louange, il faut que je te loue », le poète aggrave infiniment cette dette jusqu’à en rendre impossible l’acquittement, en ajoutant : « je te dois la louange », pour signifier, cette fois : « cette louange supposée m’acquitter envers toi, c’est encore à toi que j’en suis redevable. »

La louange se transforme alors en plainte. Une plainte que nous avons entendu Jâhiz formuler dans son épître et que répète inlassablement la poésie laudative : quelque désireux et capable que je sois de t’exprimer ma gratitude, je n’y arrive pas :

Je m’avoue incapable de rendre grâce à sa bienfaisance (al-‘ajz ‘an shukr birrih)et pourtant, reconnaissant, on ne saurait l’être plus que moi  !
Je l’eusse immanquablement fait, si ç’avait été possible,
mais comment réussir l’impossible (Marzûqî, Charh, IV, p. 1596) ?{}

Le poète ne nous dit rien de la nature de ce bienfait qui met au défi celui qui l’a reçu de s’en acquitter, en mettant à l’épreuve l’expression de la reconnaissance. D’un tel bienfait qu’on ne peut que reconnaître, tout en reconnaissant qu’il excède la reconnaissance (chukr), le pouvoir d’exprimer sa gratitude, un épistolier anonyme parle en ces termes, dans une épître adressée à son bienfaiteur : « À chaque fois que je pense être parvenu au degré suprême (mâ antahî ilâ ghâya) de l’expression de ma gratitude à ton égard (chukr), je découvre que ta bienfaisance est parvenue à un degré supérieur qu’il m’est impossible d’atteindre (yahsurunî bulûghuhâ). Et ce que les gens ne peuvent faire (mâ ‘ajaza ‘anhu n-nâs), Dieu s’en charge. » (Ibn Qutayba, ‘Uyûn al-Akhbâr, op. cit., III, p. 163). La reconnaissance du bienfait, l’expression de la gratitude, le chukr, est ce à la poursuite de quoi le discours ne peut que s’essouffler interminablement, sans arriver à l’atteindre. Ce qui est en cause, dans ce cas, n’est pas la bonne volonté du locuteur, qu’il soit poète ou lettré, ni son éloquence, balâgha, (dans les deux vers précédents le poète précise : « et pourtant, reconnaissant, on ne saurait l’être plus que moi ») ; ce n’est pas non plus la surabondance des bienfaits accordés par le bienfaiteur ni sa libéralité extrême. Ce qui est en cause, c’est le rapport du bayân au bienfait : celui-ci est, semble-t-il, appréhendé par le discours comme ce qui est structurellement hors d’atteinte, comme ce qui, pour des raisons essentielles et non plus factuelles, met au défi la balâgha, en rendant impossible le bulûgh, le pouvoir d’arriver au but (ghâya yahsurunî bulûghuhâ). Quand le locuteur atteint son but (ghâya), il l’atteint comme cela qui reste encore à atteindre. D’où la nécessité de s’en remettre à ce tiers qu’est Dieu.
Bien qu’elle en fasse un thème de prédilection, cette épreuve, que rencontre la balâgha quand elle se fait chukr (expression de la gratitude), n’est pas propre à la poésie. D’une manière ou d’une autre, tous les discours de louange dans la culture arabe médiévale s’y soumettent. Pour s’en persuader il suffit de lire un texte qui n’appartient ni à la poésie, ni simplement à la littérature (adab), mais ressortit plutôt à la théologie, puisqu’on le trouve dans le traité de soufisme de Kalâbâdhî (10e siècle). Nous l’avons choisi, parce qu’en quelques mots il constate le fait (l’expression de la gratitude est hors de portée du discours) et en rend compte. Citant le propos de Yahyâ b. Mu‘âdh (9e siècle) : « Tu ne saurais être reconnaissant (lasta bi-châkir), cependant que tu exprimes ta reconnaissance (mâ dumta tachkur) : l’expression de la reconnaissance ne peut qu’aboutir à l’embarras (tahayyur) », Kalâbâdhî en donne le commentaire suivant : « Cela parce que l’expression de la gratitude est un bienfait de Dieu, pour lequel il faut encore exprimer sa gratitude et ainsi de suite indéfiniment. » (Kalâbâdhî, Ta’arruf, p. 100).
L’embarras (hayra) en question est, on l’aura compris, l’épreuve de la balâgha, ce qui l’empêche de parvenir à sa fin (bulûgh al-ghâya), et laisse le locuteur perplexe, incertain, désorienté, ne sachant comment faire pour arriver à exprimer sa gratitude. Le locuteur le plus éloquent n’arrive pas à être quitte de la gratitude qu’il doit au bienfaiteur, alors qu’il l’exprime, bien qu’il l’exprime, et en vérité parce qu’il l’exprime : pendant qu’il l’exprime, il s’endette à mesure qu’il s’acquitte. Il reconnaît le bienfait, et cependant il n’est pas reconnaissant ; cependant qu’il reconnaît, on ne peut lui attribuer le statut de sujet reconnaissant (châkir). Et pourquoi en irait-il ainsi, sinon parce que le pouvoir d’arriver à exprimer sa pleine reconnaissance (bulûgh al-ghâya), qui est le critère de la balâgha, constitue précisément une nouvelle manifestation du bienfait, à quoi son bénéficiaire doit à nouveau rendre grâce, comme on s’attelle à une tâche toujours devant soi.
Croisant les deux motifs que nous évoquions plus haut (d’une part, une analogie : la louange se rapporte à la générosité du bienfaiteur comme la végétation à la pluie ; d’autre part, une affirmation : le don de l’éloquence est lui-même le bienfait dont il faut parler éloquemment), Mutanabbî nous dévoile une autre face de l’insurmontable difficulté dans laquelle « s’embarrasse » fatalement l’expression de la gratitude, en disant à son mécène :

Ce n’est pas parce que les biens reçus me firent plaisir que je rendis grâce :richesse et pauvreté sont pour moi pareilles ;
Mais je trouvai bien laid qu’à celui qui fait montre de générosité
on ne veuille pas rendre son dû.
Je fus donc pour la pluie, qui de bon matin l’arrose,
une haute terre où fleurissent les jardins et non un sol ingrat ;
Une terre arrosée qui révèle à ceux qui la considèrent que les pluies souvent ignorent ce qu’elles font (‘Ukbarî, Charh, 3, 278-79).{}

Dans ces vers où le sol représente le poète et la pluie la générosité du bienfaiteur, le jardin florissant figure, quant à lui, inséparablement deux choses en principe tout à fait distinctes, puisqu’elles se rapportent l’une à l’autre comme la cause à l’effet ou la condition à sa conséquence : le bienfait généreusement accordé et les louanges du poète reconnaissant ce bienfait. Et quand le bienfait se manifeste comme sa récompense et ne s’en laisse plus distinguer (ce qui rappelle le statut des présents que transportent les voyageurs dans le vers de Nusayb), on ne peut plus savoir qui en est la source ni à qui au juste en attribuer le mérite. Dès lors que le pouvoir de parler est le bienfait, le poète ne peut rendre hommage à son mécène que par la manifestation de son propre pouvoir, il ne peut célébrer le mérite de ce mécène qu’en célébrant le sien propre, ni reconnaître la générosité du bienfaiteur à moins de faire connaître son talent de poète. Comme il les représente s’impliquant l’une l’autre, on ne peut plus savoir si le poète veut dire que c’est grâce à sa poésie qu’apparaît la générosité de son mécène ou si c’est grâce à celle-ci qu’apparaît la poésie. Impossible ici de distinguer, en vue de le reconnaître, l’agent à qui il faut attribuer l’acte.
Quand nous prétendons qu’il est difficile de cerner l’intention exacte de Mutanabbî, ce n’est pas là une simple clause de style, mais une incertitude effective : le fait est que tous les commentateurs de ces vers de Mutanabbî ne les entendent pas de la même manière, parce qu’ils ne les lisent pas de la même manière. Ainsi, la phrase arabe que nous avons traduite par « Je fus donc pour la pluie, qui de bon matin l’arrose, une haute terre où fleurissent les jardins » se prête à deux lectures : – soit Fa-kuntu manbita rawd al-hazn : je fus le sol que la pluie fit fleurir ; – soit Fa-kuntu munbita rawd al-hazn  : je fus celui qui fit fleurir la terre que la pluie arrosa. La première lecture insiste sur la passivité du bénéficiaire du bienfait, qui reçoit son pouvoir de louer de son bienfaiteur, telle la terre qui doit sa végétation à la pluie. Dans cette hypothèse, l’activité et tout le mérite reviennent au bienfaiteur. Au rebours de cette première interprétation, la deuxième lecture ne fait plus du poète un sol qui se contenterait de recevoir la pluie bienfaisante, mais bien l’origine de la floraison, autrement dit la source de la louange reconnaissante, la source du pouvoir de louer, dont dépend la célébrité du mécène. L’inflexion passive (manbit) ou active (munbit) que l’on donne à un mot de la phrase, en déplaçant la responsabilité de l’action d’un agent à l’autre, change considérablement le sens du vers, et partant la nature du poème qui exprime tout cela : le bienfait ou sa rétribution.
De même, la phrase arabe du vers suivant :

Une terre arrosée qui révèle à ceux qui la considèrent
que les pluies souvent ignorent ce qu’elles font

a également été lue de deux manières : ghaythun yubayyinu li-n-nuzâri mawqi‘ahu ou ghaythun yubayyinu li-n-nuzâri mawqi‘uhu. D’une lecture à l’autre, l’agent responsable de l’acte de "manifester, révéler, faire savoir, faire connaître ou comprendre", le sujet du tabyîn (mot dont l’usage pèse ici, on l’accordera aisément, d’un grand poids), n’est plus le même. Tantôt, c’est la terre fertile qui manifeste la bienfaisance de la pluie, en d’autres termes, c’est le poète, grâce à la qualité de sa louange, qui révèle et rétribue la générosité du bienfaiteur, qui la révèle en faisant exister le bienfait, et il faut traduire le vers comme nous l’avons fait. Tantôt, c’est la pluie qui est à l’origine du bienfait qui se manifeste sur la terre, à savoir la floraison, autrement dit, c’est le bienfaiteur qui est à l’origine de la louange reconnaissante du poète, et il faut traduire par :

Une pluie qui manifeste son effet aux yeux des témoins,
alors que bien souvent les pluies ignorent ce qu’elles font.

Quelle que soit la lecture pour laquelle on opte (celle qui veut que la reconnaissance soit l’œuvre du bienfaiteur ou celle qui veut qu’elle soit l’oeuvre du poète), c’est la possibilité de ces différences de lecture qui nous importe ici. Elle tient au sujet même de ces vers de louange, à savoir la louange, plus exactement son statut de nisba. Sur la scène que décrivent ces vers, nul ne parle, ne manifeste, ne signifie, qu’il ne le fasse par le biais d’un autre : le bienfaiteur par l’intermédiaire du poète et réciproquement, les deux par le biais du poème, lequel ne parle que par la bouche de ces lecteurs qui, sans l’entendre, le considèrent et le déchiffrent comme le feraient des sourds. Si bien que la reconnaissance a beau s’exprimer par le biais du bayân, en l’occurrence le poème laudatif, le statut de celui-ci, en tant quil atteste indéniablement la générosité, n’en reste pas moins celui d’une preuve muette, offerte aux regards, qui signifie par implication, qui témoigne non par son contenu mais par son être même, et parle donc sans mot dire de sa condition de possibilité (la générosité du bienfaiteur), comme la floraison témoigne par son existence de la pluie. Au fond, dans ce poème le statut du bayân qu’est la louange n’est pas fondamentalement différent de celui de la bayyina que représentent les vêtements dans l’autre poème, déjà cité, de Mutanabbî, où ces vêtements chantent des louanges que ne prononce nulle bouche, ne parlent donc qu’à ceux qui les font parler, autrement dit les lisent tels des sourds déchiffrant des indices muets :

Ses louanges que chantent nos vêtements
sont des paroles que ne prononce nulle bouche
Si, les revêtant, nous venions à passer devant quelque sourd
ses yeux le dispenseraient de l’usage de ses oreilles.

Affirmer comme dans ce dernier poème que c’est à la preuve qu’il revient d’affirmer la générosité, ou comme dans le précédent que c’est à l’affirmation de se faire la preuve de ce qu’elle affirme, n’est-ce pas dire deux fois la même chose ? Ne sont-ce pas là deux manières pour le locuteur qui se veut éloquent (balîgh, fasîh) de compter avec le silence (un silence absolument hétérogène à la parole et non plus le simple fait de s’abstenir de parler, sukût) et, ce faisant, de compter sur une tierce personne, un témoin, en lui confiant le soin de faire entendre ce qui ne s’entend pas ? De ce témoin nous n’avons cessé de croiser les figures : c’est tantôt le lecteur, tantôt, comme dans l’anecdote d’Alexandre le Grand, l’orateur, tantôt, comme dans le poème de Nusayb, le poète, et tantôt, comme dans l’épître cité un peu plus haut, Dieu.
Cependant qu’il loue son bienfaiteur, en nous assurant qu’il ne le loue que parce qu’il lui doit la louange, Mutanabbî nous démontre qu’à devoir la louange, on ne peut s’en acquitter, ni venir à bout d’une tâche où il faut rendre grâce éloquemment d’un bienfait qui n’est autre que le don de la parole et de l’éloquence.
Si rendre grâce au bienfaiteur et à sa générosité est une tâche impossible à accomplir, qui reste toujours devant le locuteur, cependant qu’il l’accomplit, c’est justement parce que cette générosité, dont le discours voudrait parler éloquemment, c’est-à-dire irréfutablement, est ce qui aura dû le précéder pour le rendre possible, ce qu’il lui faut donc toujours supposer comme sa condition même, cela à quoi il ne peut que renvoyer implicitement ; elle est, cette générosité, la signification que le discours ne peut que reconnaître ou avouer tacitement, sans jamais réussir à la poser pour en parler objectivement, sans jamais parvenir à en faire l’objet qu’il explicite ou manifeste. Que la reconnaissance soit ce qui suscite et met en échec le bayân et le tabyîn (la parole et la volonté de manifestation), n’est-ce pas ce que, dans son épître, laissait entendre, aussi elliptiquement qu’ironiquement, l’auteur d’al-Bayân wa al-tabyîn ?

HACHEM FODA

 Bibliographie

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Pour citer :
Hachem Foda, « Balâgha : Tradition classique de l’éloquence arabe », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2014, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Balagha