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Bibliothèques humanistes dans l’Europe moderne

Parler de « bibliothèques humanistes », c’est nouer deux entités complexes et problématiques, les bibliothèques d’une part, l’humanisme d’autre part.

S’il est clair que, « loin d’être né avec la Renaissance et d’être l’apanage de la seule Europe, l’humanisme saisi dans sa double dimension de savoir philologique et de posture philosophique » traverse géographiquement tout l’espace méditerranéen et peut remonter chronologiquement jusqu’à l’Antiquité grecque (Touati 2014), nous l’appréhenderons ici de façon restrictive, en tant que « mouvement représenté par les humanistes de la Renaissance » (Rey dir. 1998) en Europe, en mettant l’accent, pour des raisons de commodités documentaires, sur la France. Cette acception restreinte ne permet cependant pas de lever toutes les ambiguïtés inhérentes au terme : le latin moderne humanista désignait au XVe siècle l’érudit disposant d’une connaissance approfondie des langues et littératures grecque et latine, lesquelles faisaient l’objet des studia humanitatis. L’humanisme entendu au sens faible se limiterait à cette première définition, tandis qu’au sens fort il désignerait une théorie de la dignité humaine illustrée notamment, quoique de manière ambiguë, par le célèbre discours de Pic de la Mirandole sur la dignité de l’homme (Bouriau 2015). L’articulation entre sens faible et sens fort est toutefois assurée par la mise en équivalence, attribuée à Cicéron, de l’humanitas latine et de la paideia grecque, qui désigne l’ensemble des processus – la culture – rendant possible la transformation de l’enfant en homme. Si cette assimilation entre humanitas et paideia est surtout due à la lecture des Nuits attiques d’Aulu-Gelle (Auvray-Assayas 2014), elle permet de mesurer combien l’humanisme réfléchit à l’épanouissement de l’homme en termes de culture : c’est l’éducation, le savoir qui devraient rendre l’homme plus humain. La qualité d’être humain n’est, à la naissance, qu’une virtualité que chacun doit réaliser par l’effort et par l’étude, ce qui se traduit dans la célèbre formule d’Érasme : « on ne naît pas homme, on le devient (homines non nascuntur, sed finguntur) » (Bénévent 2007). Le lien extrêmement fort tissé entre la nécessaire éducation et le livre (Lumières de la sagesse2013) explique l’importance qu’il faut accorder aux bibliothèques dans le contexte humaniste.

Il n’est pas sûr que ce contexte puisse être limité à la période que l’on désigne sous le nom de « Renaissance », correspondant au Quattrocento italien et au siècle suivant dans la plupart des autres pays européens. En premier lieu, on a pu qualifier d’« humanistes » des bibliothèques antérieures ou postérieures aux XVe et XVIe siècles, ce qui conduit à un second questionnement : ce qualificatif peut en effet s’appliquer à différentes facettes de la bibliothèque qui ne sont pas toujours convergentes. S’agit-il de qualifier leur contenu ? leur possesseur ? leurs usagers (lesquels ne se confondent pas nécessairement avec les possesseurs) ? des pratiques et des usages spécifiques ? Car la bibliothèque constitue elle aussi un objet complexe, que l’on a parfois tendance à réduire aux livres physiques qui la composent ou à aborder comme une entité isolée. La tentation de l’étude monographique est en effet forte dès lors que l’on aborde des bibliothèques particulières d’une certaine importance. Celles-ci ne se prêtent pas si facilement à des études sérielles, plus aisées à constituer sur des petites et moyennes bibliothèques, qui présentent souvent un fonds commun (Aquilon [1989] 2008 ; Tournieroux 2017). En outre, bien que lieu de mémoire et espace de conservation d’un patrimoine, la bibliothèque ne doit pas être considérée dans son splendide isolement mais comme une interconnexion dynamique dont les ramifications sont multiples (Latour 1996), que ce soit par le jeu des savoirs inscrits dans les livres qu’elle rassemble, par les circulations passées ou à venir de ces livres, par les reconfigurations voulues ou subies des classements et des collections, ou encore par les dialogues que nouent leurs lectures. Comme le souligne Christian Jacob, la bibliothèque est aussi une institution, au croisement d’un désir utopique d’exhaustivité et d’universalité, et de la nécessité du choix, de la sélection. Nous partirons avec lui du principe que, par son architecture, par la définition de son public, par les principes qui ordonnent ses collections, par les options technologiques déterminant l’accessibilité et la matérialité des textes comme par la visibilité des choix intellectuels qui en organisent le classement, toute bibliothèque dissimule une conception implicite de la culture, du savoir et de la mémoire, ainsi que de leur fonction dans la société (Pouvoir des bibliothèques 1996) : c’est en interrogeant ces différents aspects que nous tenterons de cerner plus précisément ce que sont les bibliothèques humanistes de l’Europe moderne.

 La bibliothèque humaniste : un nouveau paradigme renaissant ?

On associe volontiers humanisme et Renaissance, ce qui s’explique par le sentiment de renouer avec un Âge d’or antique dont on serait séparé par un ténébreux Moyen Âge. La volonté d’un retour ad fontesse traduit entre autres par une active chasse aux manuscrits les plus anciens, porteurs de l’écriture caroline qui inspirera l’écriture humanistique, mais également par la place croissante accordée aux auteurs de l’Antiquité profane gréco-latine, et ce dès avant la chute de Constantinople.

Ainsi, la bibliothèque humaniste pourrait se caractériser d’abord par la détermination de corpus spécifiques, marqués par la moindre place accordée à la théologie (par opposition aux bibliothèques religieuses) et par la place faite au latin et au grec (par opposition au modèle des bibliothèques princières). On ne peut pour autant négliger dans cette première approche une autre invention majeure que l’on associe fréquemment à l’humanisme, à savoir la naissance de l’imprimerie et les bouleversements qu’elle induit dans l’accès au livre.

La bibliothèque humaniste idéale

Les contours, même fluctuants, de ce corpus peuvent d’abord être définis à partir des inventaires et catalogues de bibliothèques qui nous restent, même si leur utilisation nécessite bien des précautions méthodologiques (Walker 2002 ; Walsby 2013 ; Van Gulik 2018 à propos d’Érasme), ou bien grâce à des reconstitutions fondées sur le repérage de mentions de provenance (c’est le cas par exemple pour la bibliothèque de Montaigne) ou sur les références intertextuelles (Sanchi 2018 à propos de Budé). On peut également s’appuyer sur des textes descriptifs et/ou normatifs, tels que, aux deux extrémités de notre période, le De politia litteraria d’Angelo Decembrio (début du XVe s.) d’une part et d’autre part l’Advis pour dresser une bibliothèque de Gabriel Naudé (1627), de peu antérieur au De bene disponenda bibliotheca dû à Francisco de Araoz en Espagne (1631).

Le De politia litteraria, dans lequel Anthony Grafton voit « le seul texte élaboré avant l’Advis de Naudé à nous donner des renseignements précis sur le réseau des savoirs techniques et des pratiques culturelles selon lesquels a été formée et administrée une importante bibliothèque humaniste » (Grafton 1996, p. 192), décrit la vie intellectuelle de la cour de Ferrare pendant la jeunesse de Leonello d’Este (1407-1450). La matière en est organisée en sept livres, subdivisés en 103 chapitres. Le troisième chapitre met en scène Guarino da Verona, maître de Leonello, et Leonello lui-même, devisant de la taille et de l’organisation à observer pour constituer une bibliothèque, de la manière d’en user, et des auteurs grecs et latins qu’il faut y inclure (Qui modus ordoque seruandus in curanda poliendaque bibliotheca, deinde quo pacto struenda, scilicet qui libri in ea ex latinis & graecis opportuni). Leur dialogue révèle combien cette bibliothèque,à l’instar des bibliothèques fondées auQuattrocento, cherche à imiter les grandes bibliothèques de l’Antiquité, de la bibliothèque d’Alexandrie aux bibliothèques publiques et privées de la Rome ancienne (Petrucci 1983).Guarino et Leonello rejettent les compendia de la culture monastique, « ces mers d’histoires comme on les appelle, ces immenses fardeaux pour les ânes », et placent à part, comme ne relevant pas des studia humanitatis, les ouvrages de théologie et les ouvrages en langues vernaculaires, jusqu’à Dante, Pétrarque et Boccace. Si certains Pères de l’Église tels que Ambroise, Augustin ou Jérôme trouvent davantage grâce à leurs yeux, le noyau dur de la collection sera constitué par Virgile, Cicéron, Térence, Tite-Live, Pline, Salluste, Juvénal et des auteurs grecs traduits en latin (Walker 2002), liste restrictive qui nous place bien loin du modèle alexandrin. C’est dans une lettre de Pline le Jeune (II, 17. 8) et dans les traités de Sénèque qu’ils trouvent la justification de ce canon rigoureux, lequel prémunit « contre l’acquisition de beaucoup de livres, parce qu’ils nous font perdre la tête (librorum multitudinem vitandam admonet, quod animos distrahat) » (Ep. 2). Or la même phrase se retrouve en 1627 sous la plume de Gabriel Naudé (1600-1653) à l’ouverture du chapitre III de son Advis, portant sur « la quantité de livres qu’il y faut mettre ».

Dans l’Advis, les citations de Sénèque semblent faire plutôt office de précaution oratoire, tant Gabriel Naudé, qui fut le bibliothécaire du président de Mesmes avant de devenir celui de Mazarin, s’attache à prôner une « bibliothèque universelle », c’est-à-dire la plus large possible, ou encyclopédique. Toutefois ce n’est pas la « quantité infinie » qui définira la « bonne » ou la « belle » bibliothèque qu’il cherche à dresser : il s’agit d’abord de « recueillir tous ceux [i.e. les livres] qui auront les qualitez et conditions requises pour estre mis dans une Bibliotheque », lesquelles font l’objet du volumineux chapitre IV. La tension entre perpectives universalisante et sélective se donne à lire d’emblée : il faut « fournir premierement une Bibliotheque de tous les premiers & principaux Autheurs vieux et modernes, choisis des meilleures éditions, en corps ou en parcelles, & accompagnez de leur plus doctes &meilleurs interpretes qui se trouvent en chaque Faculté, sans oublier celles qui sont le moins communes, & par consequent plus curieuses  » (Naudé 1627, p. 37-38, nous soulignons). Et Naudé de signaler ensuite les noms d’auteurs incontournables en Théologie, Positive et Scholastique, en Droit, Médecine, Astrologie, Optique, Arithmétique, Songe…Viennent ensuite « tous les vieux & nouveaux Autheurs dignes de considération en leur propre langue et en l’idiome duquel ils se sont servis », puis « ceux qui ont mieux commenté ou expliqué quelque Autheur ou Livre particulier », et ainsi de suite, les prescriptions de Naudé obéissant ici à une logique cumulative qui va du plus évident au plus curieux et au plus inattendu : les quatre dernières maximes peuvent être tenues pour « extravagantes », admet l’auteur, puisqu’elles prônent d’accueillir dans la bibliothèques des auteurs modernes, des « petits livrets », des anciens passés de mode et des manuscrits inédits. Les considérations qui closent le chapitre, appelant à se fier à son jugement davantage qu’à la doxa, soulignent à nouveau les logiques contradictoires qui irriguent ce chapitre, tiraillé entre le désir d’universalité et la nécessité de choisir – mais sur quels critères ?

Nombre de spécialistes ont noté que le modèle inavoué de cette bibliothèque idéale était celle de Jacques-Auguste de Thou, dont le contenu, l’organisation, le choix des livres sont reconnaissables dans l’Advis. Jacques-Auguste de Thou (1553-1617) avait constitué la plus importante bibliothèque particulière à Paris, voire en Europe, dont le contenu est connu par quatre catalogues (trois manuscrits et un imprimé) et dont le volume, d’après les estimations d’Antoine Coron, serait de 5.600 entrées correspondant à 9.000 éditions. Cette bibliothèque est ordonnée, ce qui en facilite l’accès, et équilibrée, puisqu’elle représente tous les domaines du savoir. Elle est idéale non pas parce qu’elle rassemble tous les livres, mais parce qu’elle sait sélectionner les meilleurs auteurs, anciens et modernes, les meilleures éditions de textes, les meilleures sources, les meilleurs commentateurs (Coron [1989] 2008 ; De Smet 2006)…

On trouvera prioritairement dans une bibliothèque humaniste des ouvrages liés au trivium et à l’apprentissage des trois langues. Les classiques latins (au premier rang desquels Cicéron et Quintilien pour l’art oratoire, Salluste et Tite-Live pour l’histoire, Virgile et Ovide pour la poésie, Térence et Plaute pour le théâtre) y côtoieront des classiques grecs, de plus en plus souvent en langue originale : échappant au désespoir de Pétrarque pleurant sur son Homère muet, ses successeurs mettent à profit l’essor de l’hellénisme, que l’on a sans doute trop étroitement lié à la chute de Constantinople, mais dont l’orientation se renforce à partir de 1453 (Barbier 2013, p. 111 ; Ronconi 2019), pour approfondir leur connaissance de cette langue. La maîtrise du grec apparaît clairement comme un signe de distinction humaniste (Saladin 2000 ; Boulhol 2014). La place accordée à l’hébreu constitue un critère moins discriminant dans la mesure où, malgré la création de collèges trilingues, sa maîtrise, même limitée, reste l’apanage d’une minorité. L’injonction de Gargantua à son fils, qui doit apprendre les langues grecque, latine et hébraïque, mais aussi chaldaïque et arabique, et former son style à l’imitation de Platon et Cicéron, souligne l’élan qui anime la constitution d’une bibliothèque humaniste : l’attention portée aux trois langues est inséparable d’une volonté de retour aux textes, d’un geste véritablement philologique. La miniature de Budé écrivant au milieu de ses livres est révélatrice à cet égard, puisqu’il est encadré par Mercure et par Dame Philologie (lien). Le corpus classique, potentiellement trilingue, s’accompagnera en outre des textes et outils forgés par les humanistes pour y donner accès.

Toutefois, si la liste des œuvres à rassembler selon Naudé est à ce point considérable et se donne pour horizon la bibliothèque d’Alexandrie bien plus que la bibliothèque choisie à la Pline le Jeune, c’est aussi parce que les conditions matérielles ont changé : « si on veut entrer en consideration des temps, des lieux, & des inventions nouvelles, personne de jugement ne peut douter qu’il ne nous soit maintenant plus facile d’avoir des milliers de livres qu’il n’estoit aux anciens d’en avoir des centaines » (Naudé 1627, p. 34) : l’imprimerie, à l’origine d’un « processus de massification » (Barbier 2013, p. 105), introduit un changement d’échelle radical, qui a des conséquences majeures sur la structure des bibliothèques dont les fonds deviennent progressivement plus riches.

Un contexte matériel nouveau : manuscrits et imprimés

Dans leur entreprise de retour ad fontes et de restauration des lettres naufragées, les humanistes ont d’abord vu dans cette invention récente une puissante alliée, qui devait faciliter grandement la constitution de bibliothèques personnelles. Au cours du Moyen Âge, la typologie des bibliothèques occidentales peut s’organiser en trois blocs principaux : les bibliothèques communautaires ; les bibliothèques princières dont certaines peuvent avoir une utilisation communautaire mais qui présentent toujours une dimension de distinction sociopolitique ; les bibliothèques privées qui se développent peu à peu (Barbier 2013, p. 81-82). C’est à ces dernières que ressortissent a priori les bibliothèques humanistes. Alors que les bibliothèques communautaires et princières sont déjà constituées et peuvent être, pour certaines, très riches dès le temps du manuscrit, l’essor des bibliothèques privées semble lié aux profondes transformations qu’induit l’imprimerie, malgré les contre-exemples d’un Nicolas de Cues (1401-1464), dont la bibliothèque de travail contient quelque 270 manuscrits et de rares incunables (Barbier 2013, p. 124), ou d’un Jean Jouffroy (Desachy 2012).

Les citations d’humanistes abondent, pour saluer la capacité nouvelle à multiplier les livres plus rapidement (Martin 1987 ; Gilmont 2003 ; Jourde 2007) et, par conséquent, à moindre prix. Ainsi, Giovanni Andrea de Bussi, bibliothécaire du pape qui soutint l’arrivée en Italie des imprimeurs allemands Sweyneim et Pannartz et éditeur de textes anciens, affirme-t-il en 1468 que désormais « même les plus pauvres peuvent acquérir des bibliothèques pour peu d’argent » (Gilmont 2003) : Érasme, que l’on voit à travers sa correspondance copier lui-même un manuscrit de Térence ca 1489 (ep. 31), consacre ensuite, dès qu’il a un peu d’argent, toutes ses économies à acheter des livres.

Très rapidement pourtant, cette euphorie de l’abondance se transforme en vertige, et menace de faire des bibliothèques des lieux de conservation inutiles : le bibliomane, dont la célèbre gravure ouvre le Narrenschyff de Sébastien Brant en 1494, époussette des livres qu’il ne lit jamais, conformément au titre du chapitre inaugural qu’illustre cette gravure, « Des livres inutiles ». Il n’est pas anodin qu’il s’y compare au « vieux roi Ptolémée » fondateur du Mouseion d’Alexandrie. Les chapitres 27 (« Des études qui ne mènent à rien » et 48 (« Du bateau de plaisance ») du Narrenschyff dressent en écho un portrait peu amène des étudiants embauchés comme correcteurs et des imprimeurs, dont le point commun est l’ivrognerie. La multiplication inquiétante du nombre des livres a pour corollaire la multiplication des éditions fautives et des mauvais livres, déplorée en 1505 par Murmellius, humaniste de Münster, dans son Opusculum de discipulorum officiis aussi bien que par l’italien Giacomo Costanzi en 1508 (Gilmont 2003, p. 45). Le changement d’échelle qu’introduit l’imprimerie, à l’origine d’un « processus de massification », s’opère sur une période de transition assez longue, les bibliothèques savantes amiénoises, par exemple, n’augmentant significativement qu’au cours de la décennie 1533-1542 (Bozzolo, Ornato[1989] 2008). Il fait surgir de nouvelles problématiques au sein des bibliothèques particulières : il faut créer de nouveaux outils bibliographiques pour se repérer dans la masse toujours croissante des imprimés, mais aussi de nouveaux outils catalographiques pour gérer l’abondance et ses conséquences sur l’organisation d’un espace voué à l’expansion (voir infra).

Ce phénomène attire également l’attention sur le fait que l’on ne peut étudier les bibliothèques sans prendre en compte les conditions économiques, sociales et politiques dans lesquelles elles s’élaborent, fonctionnent et se pérennisent ou non. L’étude des bibliothèques renaissantes s’enrichit aujourd’hui des perspectives nouvelles suscitées par la vague d’intérêt croissant pour le marché du livre, pour les conditions de sa vente, de sa diffusion et de sa circulation (Dondi ; Nuovo ; Walsby 2015). Chercher à dessiner une géographie des réseaux de circulation du livre fait par exemple mesurer l’importance des aires géographiques, culturelles et linguistiques, qui fonctionnent à de multiples échelles (transnationales, nationales, régionales, locales), et rappelle que « ces circulations sont à l’époque moderne au fondement de l’existence de la plupart des bibliothèques » (Bibliothèques et lecteurs 2016, p. 8). On pourrait ajouter que ces circulations fondent non seulement l’existence des bibliothèques, mais aussi leurs transfert, transformation, dispersion ou destruction, en particulier dans le contexte des guerres. La Bibliothèque royale en France s’est nourrie des pillages en Italie, tandis que l’entreprise éditoriale de Gessner, la Bibliotheca universalis, trouve en partie son origine dans certaines destructions traumatiques, celle de la Corviniana ou le sac de Rome, de même que certains catalogues imprimés de l’époque moderne ont été conçus autant pour conserver la mémoire d’une bibliothèque à l’heure de sa dispersion que pour permettre cette dispersion.

Les changements induits par l’invention de l’imprimerie et le contexte économique et politique affectent cependant toutes les bibliothèques, et l’on peut se demander ce qui, au-delà d’un corpus donné, singularise les collections humanistes au sein de l’écosystème bibliothécaire.

L’essor des bibliothèques privées

Si la bibliothèque humaniste correspond à l’invention d’un nouveau modèle – ce qui reste à démontrer –, il peut être tentant de la définir par opposition aux modèles existants, et d’abord par rapport au modèle qui a dominé le Moyen Âge, à savoir les bibliothèques communautaires relevant de la sphère religieuse, y compris quand elles procèdent d’institutions d’enseignement liées à l’essor des universités comme les bibliothèques de collèges. On songe en particulier à celles des monastères qui adoptent, pour nombre d’entre eux, la règle de Saint Benoît et dont la vie quotidienne est rythmée par la prière, le travail et la lecture. Ce dernier aspect implique la présence de livres, et l’enrichissement des bibliothèques ainsi constituées se fait d’abord par la copie dans le scriptorium, mais aussi par des dons et legs. L’accès de la bibliothèque ainsi constituée est généralement réservé aux religieux du monastère et, malgré quelques exemples de prêts à l’extérieur, « les bibliothèques monastiques sont restées, pour la plupart, des collections fermées jusqu’à la fin du Moyen Âge » (Garand [1989] 2008). Ces collections partagent un certain nombre de traits spécifiques, que l’on peut synthétiser avec Claude Jolly de la façon suivante : la capacité à durer, privilège que ne partagent par exemple pour la France que la bibliothèque du Roi et de rares collections privées comme celle de Mazarin, capacité dont le revers est de se muer en inertie ; l’austérité, du fait de la finalité utilitariste des collections et de la relative pauvreté des maisons ; le poids de la tradition, qui se traduit certes par l’importance du fonds religieux, mais aussi et peut-être surtout par l’absence ou le retard quasi permanent des entrées d’ouvrages pour certains champs de la production (il faut compter une, voire deux générations entre un mouvement intellectuel séculier et son assimilation partielle par les collections religieuses : l’humanisme, par exemple, ne rejoindrait les collections qu’au début du XVIIe s., alors qu’émerge le libertinage érudit) ; le poids des interdits, qui conduit à la mise à l’écart (plutôt qu’à la destruction) de certains ouvrages et les soumet à des conditions particulières de consultation (Jolly [1989] 2008, p. 11-13).

Autant d’éléments qui pourraient dessiner comme en creux les caractéristiques inverses de la « bibliothèque humaniste ». Il n’existe de bibliothèque que si quelqu’un la conçoit et la met en œuvre, lui impose un ordre – ou un désordre (Chartier 1992) : la bibliothèque humaniste est généralement constituée par une personne physique et non par une personne morale, et donc destinée à s’éteindre avec celui qui l’a rassemblée. La préoccupation pour l’avenir de la bibliothèque se manifeste ainsi dans nombre de dispositions testamentaires prises par les humanistes (voir infra), dont les inventaires ont souvent été privilégiés par les historiens du livre, ce qui induit des biais (Bozzolo, Ornato [1989] 2008). Impliquant que son possesseur dispose de moyens financiers ou d’un solide réseau d’interlocuteurs prêts à lui faire des dons, la bibliothèque humaniste est aussi réactive aux dernières actualités, obéissant à une « politique d’acquisition » concertée, ouverte aux idées nouvelles et aux hétérodoxies : la constitution de la bibliothèque d’Érasme témoigne exemplairement de ces différents aspects (Van Gulick 2018). Bibliothèque de travail et de référence, elle partage néanmoins avec la bibliothèque religieuse une forme d’austérité qui la rend relativement imperméable aux reliures de luxe et aux livres relevant davantage du cabinet de curiosités que de la bibliothèque, mais cette austérité n’a rien d’exclusif et elle s’inscrit dans un processus de sécularisation comparable à celui qui fait passer du clerc à l’homme de lettres.

En dépit de l’intérêt heuristique de telles distinctions, il faut cependant admettre que cette opposition manichéenne s’avère largement trompeuse et doit plutôt alimenter la réflexion : il suffit de songer aux circulations incessantes entre ces deux types de bibliothèques, les unes se nourrissant des dons et legs issus des autres. Dans cette perspective, on peut s’appuyer sur la réception première de l’Advis, qui n’a pas fait l’unanimité en sa faveur. En témoigne un échange à son sujet entre Jacques Dupuy et Peiresc, tous deux détenteurs de riches bibliothèques, dénonçant un « auteur bien novice en ce qu’il escript », et qui « n’a veu la clarté que par un trou ». On perçoit dans cet échange l’irritation à voir popularisée et réduite à quelques règles simples la difficulté de réunir des livres, tâche à laquelle d’aucuns consacrent, comme le note cruellement Naudé, « tout le temps de leur vie » (Coron [1989] 2008). De fait, si tous les traits de la bibliothèque thuanienne sont reconnaissables dans l’Advis, ils sont en même temps schématisés selon une réduction qui semble faire fi de la complexité dans laquelle se mouvaient de Thou comme les frères Dupuy (Delatour 1998), complexité propre aux multiples usages que l’on peut faire des bibliothèques.

 Bibliothèques humanistes : usages et pratiques

Si donc qualifier une bibliothèque d’humaniste peut se fonder en première approche sur l’identification d’un corpus spécifique, le risque est grand, ce faisant, de céder à une simplification abusive. En vérité, comme le montre le « manifeste humaniste » contenu dans la célèbre lettre de Gargantua à Pantagruel, les bibliothèques s’inscrivent dans un vaste écosystème humaniste qui, composé de gens avides de savoir, de gens capables de le dispenser, a aussi besoin de lieux d’enseignement et de « conservatoires » entre lesquels ce savoir doit circuler : « Tout le monde est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de librairies très amples, qu’il m’est avis que, ni au temps de Platon, ni de Cicéron, ni de Papinien, n’était telle commodité d’étude qu’on y voit maintenant, et ne se faudra plus dorénavant trouver en place, ni en compagnie, qui ne sera bien expoli en l’officine de Minerve ». Or cette belle utopie se heurte à la réalité sociale et économique de la condition humaniste, étroitement dépendante du pouvoir princier ou royal.

Savoir, pouvoir, prestige

Outre l’opposition aux bibliothèques des communautés religieuses, on a pu mettre en balance le modèle humaniste et le modèle de la cour (Barbier 2013). Avec Charles V, le modèle de la bibliothèque en tant qu’attribut du prince se diffuse à travers l’Europe (Jacquot 2016) : une collection répondant à l’habitus de la cour princière se caractériserait notamment par le poids des manuscrits en langue vernaculaire. Si place est faite aux imprimés, il leur sera conféré une forme particulière, la plus proche possible de l’objet de collection. Les lignes de partage entre le modèle de cour, d’origine française, et le modèle humaniste, élaboré en Italie, opposeraient ainsi les langues vernaculaires au latin, la lecture de divertissement à l’étude, le prestige à l’humilité.

Pour utile qu’elle soit, une telle distinction ne permet pas de rendre raison d’institutions telles que la Bibliotheca Corviniana, fondée à l’initiative du roi de Hongrie Matthias Corvin, presque exclusivement constituée de manuscrits mais dont le contenu correspond plutôt au modèle italien de l’humanisme. Le problème est tout aussi aigu dans le cas de la bibliothèque de Fontainebleau (laquelle a fait l’objet de plusieurs études, en partie renouvelées par les célébrations de 2015), dont les catalogues dressés dans la seconde moitié du XVIe siècle (Omont 1908, Trésors royaux 2015) attestent la présence de nombreux manuscrits grecs, à l’affût desquels se tenaient, à partir des années 1530, les ambassadeurs français à Venise. La « chasse aux livres », initiée par les humanistes italiens dès le XIVe siècle, s’est assez vite muée en instrument de prestige, et même en objet de concurrence entre bibliothèques royales et princières, dont les puissants propriétaires « veulent s’imposer comme les nouveaux princes humanistes et les héritiers d’Athènes et d’Alexandrie » (Barbier 2013, p. 112).

Il faut alors opérer une distinction entre possesseurs et usagers de ces bibliothèques : les utilisateurs de telles collections sont au premier chef les érudits, dont s’entoure le souverain désireux de constituer une collection prestigieuse. Les cénacles humanistes qui se forment ainsi, placés au service des princes, sont à la fois proches du pouvoir et extrêmement fragiles, comme le prouve l’exemple de János Vitez, ancien précepteur et conseiller du roi Matthias Corvin, à l’origine d’une sodalitas italo-hongroise dispersée par sa disgrâce (Nebbiai 2009). Le premier humanisme français est, de même, fortement tributaire du Collège royal de Navarre (Ouy [1989] 2008). Les humanistes, étroitement dépendants des bibliothèques et du mécénat des grands, entrent à leur tour « dans des stratégies de concurrence, de pouvoir et de prestige » (Pouvoir des bibliothèques 1996), situation en partie liée à la mobilité et à la fragilité des positions « institutionnelles » occupées par nombre d’entre eux (Delcourt 1954).

Ce constat conduit à interroger la nature des « grandes bibliothèques » qui se constituent en France sur le modèle mis en place par François Ier pour la Bibliothèque royale et que l’on pourrait qualifier de bibliothèques d’amateurs. Elles sont les mieux connues car elles ont très tôt attiré l’attention : leTraicté des plus belles bibliotheques publicques et particulieres qui ont esté, et qui sont de present dans le monde de Louis Jacob (1644) en offre de multiples exemples. Après une première partie s’intéressant successivement aux Hébreux, Égyptiens, Persans, Athéniens, etc., s’attardant très longuement sur les bibliothèques italiennes avant d’évoquer plus brièvement quelques bibliothèques remarquables en Allemagne, Suisse, Hongrie, Transylvanie, etc. jusqu’aux anciens Pays-Bas, il consacre l’intégralité de la seconde partie à la France, qui « excede aujourd’huy tous les autres Royaumes en sçavans hommes, & en Bibliotheques » (Jacob 1644, p. 439), en évoquant d’abord les bibliothèques parisiennes, à commencer par « la Royale », puis « le reste des Provinces ». L’ordre alphabétique qu’il suit le conduit à signaler pêle-mêle bibliothèques particulières et bibliothèques communautaires, auxquelles il consacre des mentions plus ou moins détaillées en fonction de leur richesse et du degré d’information qui est le sien :celles qui ont recueilli d’autres fonds et celles pour lesquelles il peut citer les dispositions testamentaires occupent des notices de plusieurs pages, et il s’attarde longuement sur celles de Richelieu et de Mazarin, celle du conseiller au Parlement Paul Petau, celles – évidemment – de Jacques-Auguste de Thou, de Gabriel Naudé (avec qui il affiche sa proximité) et de Henri de Mesmes, ou encore celle de Jean Grolier (ca 1489-1565), trésorier de France et figure emblématique de l’amateur de reliure, bibliothèque « de telle estime de son vivant pour la rareté de ses livres, & le grand amas de ses curiositez, qu’elle estoit une merveille de son siecle », louée par La Croix du Maine et par de Thou (Jacob 1644, p. 589).

La (ou plutôt les) bibliothèque(s) de Grolier offre(nt) un bon exemple des multiples paramètres qui signalent une bibliothèque à la postérité. Il a en fait possédé trois bibliothèques successives : une bibliothèque italienne, réunie alors qu’il était, à la suite de son père, trésorier des guerres dans le Milanais pendant son occupation française, perdue en septembre 1513 lors des premiers revers français ; une première bibliothèque parisienne, formée au cours des années 1520 et jusque vers 1533, date à laquelle il est emprisonné au Châtelet pour raison de malversations financières, et dont le témoignage ne nous est plus conservé que par moins d’une trentaine de volumes ; une seconde bibliothèque parisienne, enfin, la mieux connue avec environ 400 volumes conservés parmi lesquels près de 250 à somptueux décor d’entrelacs géométriques, reconstituée à partir de 1538 et alimentée jusqu’au tout début des années 1560 (Le Bars 2005). Cette dernière bibliothèque était riche d’environ 3.000 volumes, majoritairement en grec et en latin, selon Jean de La Caille, qui l’a sans doute surestimée.

Les critères qui valent aux bibliothèques d’être mentionnées par le P. Jacob sont hétérogènes : puissance et opulence de leurs possesseurs, quantité et/ou qualité des livres rassemblés ; éclat de leur présentation ; manière particulière d’en user… « Richesse, niveau d’instruction, volonté de paraître sont autant d’éléments qui expliquent la constitution des grandes bibliothèques » (Charon [1989] 2008, p. 99). L’idéal ainsi dessiné est celui que mettent en scène les traités de bienséance, à l’instar de l’homme défini par Antonio de Guevara dans L’Horloge des princes  : « docte en la langue latine, éloquent en la vulgaire et ès histoires bien fondé, en la langue grecque expérimenté et à chercher et visiter livres, curieux et très diligent », la curiosité pouvant apparaître comme « une composante majeure de la culture savante des XVIe et XVIIe s. ».

Les deux versants ainsi identifiés, bibliothèque humaniste d’un côté, bibliothèque de curieux ou d’amateur de l’autre, si elles ont fait l’objet de formalisations, ne sont donc pas non plus opposés ni étanches, un certain nombre des possesseurs mentionnés par le P. Jacob pouvant être qualifiés d’humanistes. La cour de Ferrare révèle « comment s’entrecroisaient, au XVe siècle, la nouvelle culture des humanistes et les ambitions sociales des courtisans » : l’humaniste ignorant les codes y sera tout aussi humilié que le courtisan auquel fait défaut la culture livresque (Grafton 1996, p. 190-191) tandis qu’à l’autre bout de la chaîne chronologique les grandes bibliothèques privées de tradition humaniste servent de modèle à la « grande bibliothèque robine » par laquelle la bourgeoisie a fait de la culture un élément déterminant de son identité face à l’aristocratie, conférant au livre, à la bibliothèque, la fonction symbolique de manifester son prestige(Viardot [1980] 1989).

Car une bibliothèque bien fournie est un signe de puissance et de prestige, un « instrument de pouvoir » dont Christian Jacob et Marc Baratin ont décliné les multiples facettes : « Pouvoir spirituel de l’Eglise. Pouvoir temporel des monarques, des princes, de l’aristocratie, de la nation et de la république, instrument de prestige. Pouvoir économique de qui dispose des ressources nécessaires pour acheter des livres, imprimés ou manuscrits, en grand nombre. Pouvoir intellectuel et pouvoir sur les intellectuels, enfin, tant il est vrai que la maîtrise des livres a pour corollaire le droit d’autoriser ou d’interdire leur communication, de l’élargir ou de le restreindre. » (Pouvoir des bibliothèques 1996, p. 16). Cette dernière dimension est très sensible, on l’a vu, pour les humanistes et participe de la complexité de l’objet « bibliothèque humaniste ».

Dépendances

À la fois tributaires et bénéficiaires du pouvoir royal, les humanistes ont largement encouragé l’évergétisme qui, sur le modèle antique, doit renforcer le prestige du bienfaiteur. Ainsi, en Italie, Cosme de Médicis (1389-1464), après son exil, finance-t-il la restructuration de la bibliothèque Saint-Marc après avoir rassemblé autour de lui « l’Académie platonicienne de Florence », tandis que Federico de Montefeltre (1422-1482), homme de guerre converti en lecteur humaniste dans son célèbre portrait, organise une grande bibliothèque au rez-de-chaussée de son palais ducal d’Urbino, pourvue d’un scriptorium et accessible aux savants et aux visiteurs intéressés. En France, la bibliothèque royale sous François Ier doit en partie sa physionomie au combat de Budé pour la création du Collège Royal, qui devait être doté d’une bibliothèque susceptible de soutenir les chaires des lecteurs royaux en latin, grec, hébreu et mathématiques.

La bibliothèque des papes, revenue à Rome en 1417, joue aussi un rôle essentiel : elle est réorganisée à l’initiative de Nicolas V (élu en 1447, mort en 1455), qui en confie la gestion à Giovanni Tortelli, humaniste formé à Florence et helléniste. Après le court règne de Calixte III (1455-1458), c’est l’humaniste Enea Silvio Piccolimini qui devient pape sous le nom de Pie II (1464-1471) : on sait tout l’intérêt qu’il porta à la nouvelle technique inventée par Gutenberg puisque c’est dans une de ses lettres qu’est mentionnée la spectaculaire présentation d’épreuves de la Bible à 42 lignes à la foire de Francfort d’octobre 1454. C’est toutefois la bulle Ad decorem militantis Ecclesiae qui, sous Sixte IV (1471-1484), marque en 1475 la naissance de la Vaticane, confiée à Bartolomeo Sacchi Platina (1421-1481) et accessible non seulement aux pape et hauts dignitaires de l’Église, mais aussi à tous les savants « qui se consacrent à l’étude des lettres », comme en témoigne encore Montaigne en 1581 dans son Journal de voyage  : « Le 6 de mars, je fus voir la librairie du Vatican, qui en cinq ou six salles tout de suite. Il y a un grand nombre de livres attachés sur plusieurs rangs de pupitres ; il y en a aussi dans des coffres, qui me furent tous ouverts ; force livres écrits à main, et notamment un Sénèque et les Opuscules de Plutarque […]. Je vis [la bibliothèque] sans nulle difficulté : chacun la voit ainsi et en extrait ce qu’il veut, et est ouverte quasi tous les matins ; et si fus conduit partout et convié par un gentilhomme d’en user quand je voudrais » (Montaigne, éd. 1983, p. 212-213). Un tel modèle inspire de nombreux cardinaux, qui ouvrent des bibliothèques publiques.

Pourtant, si ces bibliothèques sont publiques de fait, elles ne le sont pas de droit, et leurs usagers restent tributaires du bon vouloir des puissants, qui captent ainsi les plus riches collections et les meilleurs manuscrits. Se constituer sa propre bibliothèque, même modeste, peut alors apparaître comme un instrument d’indépendance autant que de travail. Le souci constant que manifeste Érasme de pouvoir disposer de ses propres livres, tandis que sa correspondance bruisse sans cesse de ses démarches pour obtenir tel ou tel manuscrit auprès d’une communauté religieuse ou d’un particulier, fait précisément écho à son choix délibéré de rester indépendant et éloigné de la cour, contrairement à un Thomas More ou un Guillaume Budé.

On mesure mieux, à travers ces exemples contrastés, à quel point les bibliothèques, loin d’être de simples conservatoires de livres, sont des lieux de subtiles dépendances, de transferts et de circulation, de sociabilité aussi. Elles sont impensables sans les sodalitia qui s’y rattachent, les livres et les pratiques qu’ils impliquent offrant autant d’occasions d’échanges sociaux, comme en témoigne Decembrio. Le don ou le prêt d’un livre donne lieu à « une petite causerie appropriée » ; une lecture provoque discussion et duel des esprits ; l’apprentissage de la lecture à voix haute, la compréhension approfondie des textes, la confection d’un recueil d’extraits et de lieux communs, tous ces efforts sont autant de « préparations pour les joutes orales de la bibliothèque de cour » (Grafton 1996, p. 199).

On peut, dans cette perspective, interroger à nouveaux frais le fameux ex-libris qui associe au nom du possesseur un généreux « et amicorum  » (Coppens 2009) : si l’exemple le plus souvent invoqué est celui de Jean Grolier, la formule se rencontre régulièrement dans les mentions de provenance dès le début du XVe s. et perdure jusqu’à la fin du XVIe s., avec des résurgences éparses par la suite. Étroitement liée à la « République des lettres » humaniste, dont la première expression se trouve dans une lettre de Francesco Barbaro à Poggio Bracciolini, la formule « et amicorum  » doit être lue à l’aune d’une conception antique de l’amitié, lisible notamment chez Cicéron, fondée sur des règles définissant droits et devoirs réciproques des « amis », et étroitement liée aux vertus des uns et des autres. L’amitié que célèbrent et affichent les humanistes est fondée sur l’utilitas, déterminée par la ratio  : afficher ainsi dans un ex-libris que les livres sont à l’usage de leur possesseur « et amicorum », c’est revendiquer leur fondamentale utilité.

Des bibliothèques ouvertes et utiles

L’utilité présente et à venir des livres et de la bibliothèque qui les rassemble est au cœur de la réflexion humaniste. Si la bibliothèque privée ne partage a priori pas la capacité à durer propre aux bibliothèques communautaires, bien des démarches engagées par les hommes de la Renaissance démontrent à quel point ils plaçaient dans les livres – ceux qu’ils écrivaient certes, mais parfois aussi ceux qu’ils possédaient – leurs rêves d’immortalité. À la faveur de la paronomase entre le liber enfant et le liber livre, nombre d’humanistes ont fait de ces derniers le réceptacle d’une gloire garantissant que « leur nom ne périrait jamais ».

La Biblioteca Colombina est à cet égard emblématique (Harrisse 1887 ; Mc Donald 2004 ; Wilson-Lee 2019). Fernand (1488-1539), second fils de Christophe Colomb, n’a eu de cesse, tout au long de sa vie et de ses voyages à travers l’Europe, d’acquérir des livres, toutes sortes de livres, y compris des ephemera. Il a ainsi constitué une des bibliothèques privées les plus importantes de la première moitié du XVIe s., riche à sa mort d’environ 15 000 titres, dont des pièces rarissimes. Comme il ne pouvait les lire tous, il avait chargé des érudits d’en rédiger des résumés, et les catalogues établis à sa demande abondent en renseignements sur nombre d’éditions aujourd’hui perdues, tandis que les volumes conservés, annotés de sa main, nous livrent la date, le lieu et le prix d’achat. Désireux de faire de sa bibliothèque un centre de travail et d’en perpétuer l’existence, il prit des dispositions testamentaires pour assurer sa conservation et son enrichissement, même après sa mort. La seconde partie de son testament s’apparente ainsi à un règlement de bibliothèque.

Ce faisant, il rejoint le « mythe fondateur de la publicité », que l’on fait volontiers remonter à Pétrarque (1304-1374) (Gargan 1988). Son effort pour concilier deux vocations, celles du moine et du mondain, que l’on retrouve chez Érasme et dans lequel se décèle l’invention d’une voie moyenne, celle du « lettré laïc (‘l’humaniste’) » (Fumaroli 1994, p. XXIII), trouve un écho dans sa conception de la bibliothèque. Chasseur de textes et copiste, il constitua une collection de plus de 200 volumes, faisant la part belle aux classiques latins, qu’il annotait et prêtait à ses amis. Après avoir, en vain, tenté de réunir sa collection à celle de son cher Boccace, il décida de faire don de sa bibliothèque à la République de Venise, comme premier noyau inaliénable d’une future bibliothèque (Bibliothèque de Pétrarque 2011 ; Barbier 2013, p. 108-110).Geste doublement novateur, puisqu’il établit le legs en faveur d’une structure politique, et non d’une communauté religieuse, mais aussi une bibliothèque « publique » sur le modèle romain, dans une perspective résolument humaniste. Il s’agit bien de donner aux lecteurs accès aux livres afin qu’ils s’élèvent dans leur propre humanité.

C’est peut-être sur le modèle de Pétrarque que le cardinal Bessarion projettera à son tour, en 1468, de léguer sa bibliothèque, riche en manuscrits grecs, à Venise, tandis qu’à Florence Coluccio Salutati, dans son traité De fato et fortuna et casu, appelle lui aussi à réactiver le modèle de la Rome antique et à fonder à Florence une bibliothèque publique. Poggio Bracciolini, Boccace et Niccolo Niccoli lèguent leur bibliothèque à des communautés religieuses, mais s’attachent à en rappeler la destination publique (Barbier 2013, p. 113).

Au sein des témoignages abondants par lesquels les humanistes marquent leur souci de la pérennité de leur bibliothèque et de l’utilité publique, il faut mentionner aussi l’exemple exceptionnel de Beatus Rhenanus (1485-1547) à Sélestat. Fils d’un boucher relativement aisé, il fit ses études à l’école latine de Sélestat, avant de partir pour Paris en 1503, où il poursuivit des études universitaires tout en travaillant comme correcteur dans l’atelier d’Henri Estienne. Il légua la totalité de sa bibliothèque à sa ville natale, où elle est toujours conservée aujourd’hui, inscrite au registre Mémoire du monde de l’UNESCO. Elle est constituée de 423 volumes, contenant 1287 imprimés et 41 manuscrits répartis dans divers recueils, auxquels il faut ajouter 33 manuscrits anciens et 255 lettres autographes (BHS). On peut revenir enfin, à l’autre bout de la chaîne chronologique, sur Jacques-Auguste de Thou, dont la devise familiale, « Ut prosint aliis  » (pour servir autrui), entre en résonance avec les dispositions prises dans son testament :

A l’égard de ma bibliothèque que j’ai amassée avec tant de soin et à si grands frais depuis plus de quarante ans, et qu’il importe qu’elle soit conservée en entier, tant pour le bien de ma famille, que pour celui des bonnes Lettres, je défends qu’on la partage, ou qu’on la vende, ou qu’on la laisse se dissiper de quelle manière que ce soit ; mais je veux que, conjointement avec mes médailles d’or, d’argent et de cuivre, elle reste en commun entre ceux de mes fils qui s’attacheront aux Lettres, de telle sorte pourtant qu’elle soit ouverte à tous les étrangers et aux savants pour l’usage du public. J’en commets la garde à Pierre Dupuy, mon allié, qui m’est cher par tant d’endroits, jusqu’à ce que mes fils soient devenus grands.

On a vu à quel point l’Advis de Naudé, qui prône une bibliothèque à la fois universelle et ouverte à tous, synthétisait certaines des caractéristiques majeures des grandes bibliothèques privées de tradition humaniste : on en trouve ici une nouvelle illustration.

La diversité des pratiques et des usages ne fait que confirmer la réalité plurielle des bibliothèques humanistes, confirmée par les multiples déclinaisons de l’humanisme repérables dans les bibliothèques privées des Pays-Bas bourguignons (Van Hoorebeeck 2009).Si l’imitation de l’Antiquité est en effet caractéristique de la posture humaniste, le monde ancien fournit plusieurs modèles de bibliothèques, qui peuvent conduire à n’y faire entrer qu’un nombre limité de livres choisis (voir supra), à en faire des foyers actifs de critique textuelle suivant le paradigme d’Alexandrie (Pouvoir des livres 1996 ; Coqueugniot 2019), à en affirmer la dimension encyclopédique et donc à parcourir le cercle (encyclos / enkuklos) des disciplines formant l’homme (paideia), ou encore à développer la question de la publicité mise à l’honneur par Pétrarque, ces modèles pouvant se mêler à des degrés divers.

 Au-delà des bibliothèques humanistes

Dans la mesure où l’on ne peut réduire une bibliothèque aux livres qu’elle contient, il faut aussi tenter d’appréhender sa réalité dans sa dimension spatiale. Objet d’investissements sociaux et politiques, théâtre de lectures et de joutes oratoires, la bibliothèque est aussi un espace particulier, dont la reconstitution ne va pas sans poser bien des questions. Surtout, l’imprimerie nouvelle suscite des rêves de bibliothèques sans murs, dont témoigne exemplairement l’adage « Festina lente » d’Érasme célébrant le travail de restitution des anciens auquel se livre l’imprimeur vénitien Alde Manuce :

Quiconque souhaitera s’en faire une opinion, en y goûtant, pour ainsi dire, de lui-même, pourra comparer l’édition des Lettres de Pline qui va incessamment sortir des presses aldines avec celles qui répandues aujourd’hui dans le public ; et ce qu’il aura trouvé chez Pline, il pourra l’attendre aussi des autres auteurs. C’est, par Hercule, un travail herculéen et digne de l’esprit d’un roi, que de restituer à l’univers un édifice aussi divin qui était pratiquement ruiné de fond en comble, d’explorer des recoins cachés, de déterrer des trésors enfouis, de rappeler à la vie ce qui avait péri, de réparer les pièces mutilées, de restaurer des textes dépravés de multiples façons, principalement par la faute de ces piètres imprimeurs pour qui le gain d’une seule pièce d’or est plus précieux que la littérature dans son ensemble. On ajoutera sans doute à ces considérations, que l’on peut amplifier autant qu’on le voudra les louanges de ceux qui par leur vertu défendent ou même accroissent la gloire de leur pays, leurs actions se limitant, certes, à des bienfaits d’ordre matériel, et étant circonscrites entre d’étroites limites. Mais l’homme qui relève de ses ruines la culture littéraire (et c’est presque plus difficile que d’en avoir été l’initiateur) construit tout d’abord une oeuvre sacrée et immortelle, et il se met, en second lieu, au service, non pas d’une seule province, mais de tous les peuples de l’univers et de toutes les générations. C’était jadis la fonction des princes, et parmi eux, celle de Ptolémée, pour sa plus grande gloire. Mais sa bibliothèque était contenue entre les murs étroits de sa propre demeure, alors qu’Alde est en train d’édifier une bibliothèque qui n’a pas d’autres limites que le globe terrestre lui-même (Quamquam hujus bibliotheca domesticis et angustis parietibus continebatur, Aldus bibliothecam molitur, cujus non alia septa sint, quam ipsius orbis).

Décors et réalités en trompe-l’œil ?

Tant que le nombre de livres possédés était réduit, nul n’était besoin d’une pièce dédiée pour les conserver : on considère que la plupart des bibliothèques de clercs ou de prélats dépassaient rarement 40 ouvrages avant 1450 (Dion 2005). Une simple niche dans un mur (armarium) ou un coffre suffisaient amplement à les accueillir. Si « le seuil entre simple possession de livres et détention d’une bibliothèque – forme organisée et hiérarchisée de la présence du livre, supposant généralement fortune, culture ou loisir » varie selon les époques et les milieux (Dion 2005), il n’en demeure pas moins que l’invention de l’imprimerie modifie profondément la forme de la présence du livre, à la fois dans l’espace et dans les instruments permettant de s’y repérer.

La documentation pour reconstituer l’ameublement des bibliothèques est relativement lacunaire. Entre le XVe et le XVIIIe siècle, on entrevoit cependant « dans les inventaires après-décès et l’iconographie la présence de rayonnages muraux et d’armoires à livres et, chez les plus aisés, de cabinets et de galeries où les livres sont souvent mêlés aux objets d’art et de curiosité » (Dion 2005). Les portraits d’humanistes, dont le parangon est Érasme tel que peint par Quentin Metsys (lien), Albrecht Dürer (lien) ou Hans Holbein, les représentent le plus souvent entourés de livres. Ceux-ci, disposés sur la table ou le pupitre sur lequel écrit l’humaniste, mais aussi dans des étagères se trouvant sous la table ou adossées aux murs, sont le plus souvent placés à l’horizontale, présentant au spectateur non pas le dos, mais une tranche, souvent la gouttière ; ou bien, légèrement inclinés, ils offrent au regard l’un de leurs plats. Ce mode de rangement, hérité du Moyen Âge où les volumes massifs et en parchemin exigeaient une conservation à plat, semble évoluer dans la seconde moitié du XVIe s., si l’on en croit une gravure hollandais du XVIIe s.représentant Jean Calvin et où les livres sont rangés à la verticale, mais toujours côté gouttière (lien).

On peut voir, dans certaines enluminures et certains tableaux, une sorte de « tout-en-un » ou « box-type study » (Thorton 1997) dont tous les éléments, bureau et tablettes, sont solidaires : le saint Jérôme à l’étude d’Antonello de Messina (lien)en offre la représentation la plus célèbre. Autre attribut iconographique récurrent des studieux, la roue à livres, particulièrement utile aux traducteurs et éditeurs de textes : déjà utilisée au Moyen Âge, comme on le voit dans la célèbre enluminure du roi Charles V dans sa librairie (lien), elle atteint rarement le degré de sophistication suggéré par le « bureau tournant » proposé dans Le diverse et artificiose machine del capitano Agostino Ramelli (1588, lien). S’il n’est pas toujours facile, comme le montre ce dernier exemple, de faire le départ entre fantasme et réalité dans l’iconographie, celle-ci permet du moins de concevoir l’apparence matérielle des éléments mentionnés dans les inventaires. Ces derniers, dans leur déroulé même, nous livrent de précieuses informations sur l’organisation topographique, mais ils ne décrivent pas les objets qu’ils énumèrent et laissent ainsi bien des incertitudes. C’est également le cas pour la « librairie » de Montaigne, ainsi décrite dans les Essais (III, 3, « De trois commerces ») : « La figure en est ronde et n’a de plat que ce qu’il faut à ma table et à mon siege, et vient m’offrant en se courbant, d’une veue, tous les livres, rengez sur des pulpitres à cinq degrez tout à l’environ ». La précision « sur des pupiltres », ajoutée seulement dans l’édition de 1595, suscite bien des questions (Demonet, Legros 2019), selon qu’on l’interprète au sens de planches (pulpita) et donc étagères, ou comme lutrins à pan incliné avec des espaces réservés au rangement des livres, et dont les formes peuvent être très variées (Masson 1972, p. 65 et fig. 102). La reconstitution en 3D de la bibliothèque de Montaigne (lien), dont la tour qui l’accueillait existe encore, ne va donc pas de soi, en dépit des nombreuses informations fournies par l’auteur des Essais.

Si celui-ci distingue la librairie de son « cabinet », c’est généralement dans cette pièce dédiée, souvent désignée dans les sources sous le nom d’« estude » et qui peut servir aussi de chambre ou de garde-robe, que les livres sont rassemblés (Charon [1989] 2008, p. 107), mais il ne s’agit en rien d’un simple conservatoire.Ainsi Gilles Corrozet, dans son « Blason de l’estude » (Blasons domestiques, 1539) qu’illustre une gravure de « box-type study » (lien),affirme-t-ilqu’une maison dépourvue d’étude « est d’ung grand bien (pour vray) defectueuse », évoque la diversité des activités, notamment des lectures, que l’on peut y faire et la célèbre en ces termes :

O saincte estude, O estude prisée,
 
Repos sacré des Muses Pernasines,
 
Séjour tant doulx des Nymphes Cabalines.
 
Chambre de paix, de silence et concorde,
 
Ou le doulx lucz et taisant manicorde
 
Rendent leurs sons tant souefs et paciffiques
 
Estude belle entre les magniffiques.
 
Ou est comprinse une Bibliothecque
 
Autant latine Hebraïque, que Grecque…

L’importance accordée à l’esthétique et au décor de l’écrin accueillant les livres est sensible sous la plume de nombreux humanistes. Dans sa préface aux Opera de Jérôme (1516), Érasme loue les Gentils, soucieux de « transmettre à la postérité une bibliothèque composée des ouvrages les meilleurs et les mieux corrigés ». Mais ils allaient plus loin et entendaient préserver la mémoire des auteurs, en plaçant « partout, dans les portiques et dans les bibliothèques, des statues et des peintures représentant les auteurs eux-mêmes » et en offrant au regard « les sentences de ces meilleurs hommes, gravées çà et là, dans le marbre ou l’airain ». Érasme célèbre ainsi un modèle antique qu’il a pu voir revivifié en Italie. La bibliothèque de San Giovanni de Parme dont l’abbé, le R.P. Etienne, a choisi lui-même la « materiam picturae  » d’un décor réalisé en 1574-1575, nous en offre un exemple tardif qui peut être rapproché de la librairie de Montaigne, dont le plafond était orné de sentences peintes, empruntées à ses lectures (Legros [2000] 2003) : l’un et l’autre offrent de si grandes similitudes qu’il est tentant d’imaginer une rencontre, mais plus probablement est-ce « la preuve d’une parenté intellectuelle entre deux humanistes imprégnés de la même culture » (Masson 1972, p. 76-81).

Bien que la documentation disponible ne nous renseigne guère sur les bibliothèques de taille modeste, probablement dépourvues de décoration, le programme iconographique des bibliothèques renaissantes peut être évoqué en tant qu’il est révélateurde l’état d’esprit humaniste. Pendant la période médiévale, les Arts libéraux servaient de propédeutique à la culture de l’esprit, qui trouvait son couronnement dans l’intelligence des Écritures. On s’initiait à la théologie par l’explication des Saintes Écritures et par les commentaires des Pères de l’Église. Venait ensuite l’étude du droit civil et du droit canon, puis la physique, la médecine et les arts mécaniques, autant d’éléments graphiquement transcrits dans la cathédrale du Puy décrite par Prosper Mérimée en 1850 (Masson 1972, p. 48-52). Les bibliothèques de la Renaissance, marquées par une révolution architecturale manifeste à la Laurentienne, la Marciana, la Vaticane et l’Escorial (Masson 1972, p. 69-71), voient aussi la naissance d’une iconographie nouvelle, qui n’abandonne ni les Arts libéraux ni la théologie, mais y infuse la mythologie et la sagesse antiques et profanes, dans des représentations composites où par exemple, comme à la Marciana, la Théologie présente les trois Vertus, la Foi, l’Espérance et la Charité à Jupiter (Masson 1972, p. 72). Selon une autre formule qui fera florès – la Contre-Réforme est passée par là – la décoration de l’Escorial opère un parallèle entre la Philosophie et la Théologie : on discerne dans ces alliances plus ou moins harmonieuses de la sagesse chrétienne et de la sagesse profane tous les efforts de conciliation menés par les humanistes, hantés par le songe de saint Jérôme.

De la bibliothèque au lecteur humaniste

Cet effort de conciliation et les représentations composites de la sagesse et du savoir soulignent la curiosité encyclopédique des humanistes qui, avec la multiplication des livres engendrée par l’imprimerie, rend nécessaire la confection d’instruments bibliographiques et catalographiques (voir supra), nécessité perceptible à la fin du « blason de l’estude » de Gilles Corrozet, qui évoque l’organisation intellectuelle de la bibliothèque.La synthèse en est faite par Gabriel Naudé à propos de « l’ordre qu’il convient de donner aux livres » :

Je croy que le meilleur est toujours celuy qui est le plus facile, le moins intrigué, le plus naturel, usité, et qui suit les Facultez de Théologie, Médecine, Jurisprudence, Histoire, Philosophie, Mathématiques, Humanitez et autres, lesquelles il faut subdiviser chacune en particulier, suivant leurs diverses parties.

Cet ordre n’a en vérité rien de naturel et relève tout entier de la culture ; et chaque organisation de bibliothèque, a fortiori encyclopédique, reflète une certaine structuration du savoir (Tous les savoirs du monde 1996 ; De l’argile au nuage 2015). Là où l’abondance risque à tout instant de se muer en vertige (Cave 1997), des stratégies de classement et de mise en ordre doivent pallier les défaillances de la mémoire et les limites de l’esprit humain, et des outils doivent être conçus, aussi bien pour(re)trouver le livre que l’on cherche, que pour garder trace de ses lectures.À côté des premières bibliographies nationales (les Bibliothèques françoises de La Croix du Maine et Du Verdier) ou universelles (Tritheim, Gessner), la Renaissancesystématise et réinvente des outils développés au Moyen Âge (Blair 2010), des arts de la mémoire aux recueils de lieux communs (Moss 1996) en passant parla pratique de l’annotation humaniste (Livre annoté1999 et Chatelain 2003). Si l’histoire du livre et des bibliothèques fournit donc d’indispensables indicateurs, l’histoire de la lecture, qui en déplace les questions et les démarches (Histoire de la lecture 1997), vient la compléter.

On peut par exemple invoquer une lettre datée du 10 décembre 1513, adressée par Machiavel à son ami Francesco Venturi. Il y décrit le cérémonial qui entoure la lecture des anciens par les humanistes :

Je pénètre dans mon cabinet, et dès le seuil, je me dépouille de la défroque de tous les jours, couverte de fange et de boue, pour revêtir les habits de cour royale et pontificale ; ainsi honorablement accoutré j’entre dans les cours antiques des hommes de l’Antiquité. Là, accueilli avec affabilité par eux, je me repais de l’aliment qui par excellence est le mien et pour lequel je suis né. Là, nulle honte à parler avec eux, à les interroger sur les mobiles de leurs actions, et eux, en vertu de leur humanité, ils me répondent. Et, durant quatre heures de temps, je ne sens pas le moindre ennui, j’oublie tous mes tourments, je cesse de redouter la pauvreté, la mort même ne m’effraie pas.

L’effort consenti par Machiavel pour instaurer ce dialogue est à la mesure du travail philologique qu’il a fallu mener pour le rendre possible, pour restaurer les lettres anciennes. C’est à cette condition que la bibliothèque peut devenir un lieu de vie dépassant le temps et l’espace, le lieu d’une transmission ininterrompue dont livres et auteurs, antiques et humanistes, sont les chaînons. De fait, les portraits d’humanistes déjà évoqués les mettent régulièrement en scène en train de lire ou d’écrire, ou les deux à la fois : à l’instar des évangélistes, ils écrivent parfois directement dans le livre et c’est un Père de l’Église, saint Jérôme, souvent représenté dans un studiolo typiquement humaniste, qui sert de référence.

Le dialogue et la transmission qui se donnent à voir dans la lettre de Machiavel attirent l’attention sur un autre document fondamental pour la connaissance des bibliothèques et des lectures humanistes, à savoir les correspondances. Pendant longtemps, les érudits désireux d’être informés des publications susceptibles de les intéresser dépendaient des renseignements que pouvaient leur fournir les amis et les correspondants qu’ils avaient dans toute l’Europe. Dans ce réseau de correspondances, certaines personnalités particulièrement bien placées jouaient un rôle de véritable agence centrale de renseignements, par exemple Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), que l’on surnommait le « procureur général de la République des lettres », ou les frères Pierre et Jacques Dupuy, qui animèrent un cabinet littéraire, l’« Académie ou cabinet Dupuy » (Febvre, Martin 1958). Ils étaient également possesseurs d’une importante bibliothèque, en partie héritée de leur père Claude (Delatour 1996 et 1998), dont ils firent don à la Bibliothèque royale après en avoir été les gardes et rédacteurs, début XVIIe, d’un nouveau catalogue. Les correspondances humanistes, qui fourmillent de livres lus, annoncés, commentés, demandés, envoyés offrent ainsi des instruments formidables pour reconstituer des bibliothèques physiques certes, mais aussi, voire davantage, des bibliothèques virtuelles.

 Bibliothèques intérieures, portatives, virtuelles…

Si les inventaires ou les catalogues servent logiquement de base pour reconstituer une bibliothèque, il n’en demeure pas moins qu’ils n’en livrent qu’un état passager, saisi et figé par le document alors même qu’une bibliothèque vivante ne cesse de se métamorphoser, au gré des acquisitions, des prêts, des dons et des pertes… Surtout, on l’a vu, on ne peut inférer de la présence d’un livre dans une bibliothèque qu’il a été lu, ou de son absence qu’il ne l’a pas été. Aussi certaines des recherches actuelles sur les bibliothèques humanistes se fondent-elles, en l’absence de tout inventaire ou catalogue, et devant la rareté des exemplaires conservés, sur les mentions intertextuelles que l’on trouve sous la plume de tel ou tel auteur. C’est le cas des travaux menés sur la bibliothèque de Rabelais (Labyrinthes de l’esprit 2015) ou sur celle de Budé (Sanchi 2018). La définition de la bibliothèque évolue alors, se muant en une « bibliothèque intérieure » constituée de tous les livres lus et dont la lecture a laissé une trace suffisamment explicite pour devenir lisible par la postérité. De même que les encyclopédies médiévales pouvaient être considérées comme des « livres-bibliothèques », de même les recueils de lieux communs constituent autant de bibliothèques portatives.

Cette perspective, par laquelle la bibliothèque reflète moins une réalité physique, une collection d’objets, qu’une bibliothèque virtuelle rassemblant les traces laissées par les livres lus, ou dessine les linéaments d’un modèle idéal (Diu 2008), pourrait ouvrir la voie à une autre approche des bibliothèques humanistes, telles que la littérature fictionnelle les imagine et les invente. On songe évidemment à la bibliothèque de l’abbaye de Thélème et à son pendant parodique, la bibliothèque de l’abbaye Saint Victor chez Rabelais. Toutefois, le rapport aux livres s’avère plus complexe dans les utopies des XVIe et XVIIe s. Ainsi le narrateur de l’Utopie y souligne-t-il l’absence presque totale de livres, phénomène paradoxal que l’on retrouve, quoique différemment modulé, chez Campanella, où la cité elle-même se fait bibliothèque : Sapience, responsable de toutes les sciences, y « a fait peindre toutes les sciences sur les faces intérieures et extérieures des murailles et des balcons ». Dans La Nouvelle Atlantide de sir Francis Bacon (1627) comme dans L’Autre monde de Cyrano de Bergerac (1650), « l’utopie ne vise plus à imaginer un monde où le livre serait roi et où sa lecture serait rendue plus facile que dans le monde réel, mais bien plutôt à penser le dépassement du livre et de la lecture » (Goulemot [1989] 2008). Bien que les humanistes et leurs successeurs aient profondément investi la culture et le savoir, dont le livre est alors lemedium privilégié, ils n’ont pas tous pour autant fait du livre une fin en soi ni n’ont fétichisé l’objet au détriment de son contenu. C’est en discernant, pour reprendre la célèbre distinction kantienne, l’opus mechanicum (l’objet, produit matériel de l’art) et l’opera (le discours), que peuvent se comprendre la scission entre bibliothèque physique et bibliothèque virtuelle, mais aussi le clin d’œil du P. Jacob à son dédicataire : « J’ay creu que je ne pouvois mieux addresser ce discours des plus fameuses Bibliotheques du monde, qu’à celuy de qui l’esprit est une Bibliotheque vivante ».

 Conclusion

Les bibliothèques humanistes, bien qu’elles puissent au premier abord, être caractérisées par des contenus spécifiques dans un contexte nouveau lié à l’avènement de l’imprimerie, offrent de multiples porosités avec les modèles auxquels on les oppose souvent, les bibliothèques communautaires d’une part et les bibliothèques princières et d’amateur d’autre part. Elles ne peuvent s’envisager indépendamment d’un contexte social et politique très particulier, qui explique aussi l’attention portée à l’utilité et à la question du public. Michel Melot y voit la source du « modèle doctrinal », qui a pris son essor en Europe chez les humanistes italiens et les libres penseurs français, qui fait de la bibliothèque une construction intellectuelle, « une institution fragile, contestée, une arme dans la lutte d’une libre pensée », qu’il met en contraste avec le « modèle libéral »

où l’on peut voir l’œuvre de la Réforme, animée par un rapport nouveau au savoir qui n’est plus doctrinal ni anecdotique, un savoir intégré dans la pratique religieuse, un devoir de connaissance. À partir de cette époque et de ce lieu, la bibliothèque n’est plus un puits sans fond duquel il faut aller chercher la science, mais une rivière qui irrigue et fertilise la vie quotidienne et permet à chacun de gagner son salut. (Melot 1997)

Les deux métaphores opposées, celle du puits et celle de la rivière, délivrent une perception très différente des modes d’appropriation des livres et des circulations au sein des bibliothèques, lesquels façonnent encore le paysage bibliothécaire actuel. Enfin, la prise en compte de l’architecture, de l’iconographie, de la littérature et des correspondances invite à envisager un au-delà des bibliothèques humanistes, riche d’innombrables bibliothèques virtuelles.

C’est aussi que la réalité physique des bibliothèques est hantée par la crainte de la perte et de la dispersion, crainte accentuée par des événements traumatiques tels que le pillage de la Corviniana par les Turcs en 1526 (Rady 2004), ou la destruction de la bibliothèque du cardinal Jacques Sadolet lors du sac de Rome, qui conduit ses correspondants humanistes à lui envoyer des livres. Aujourd’hui, la révolution numérique réactive le fantasme d’une reconstitution de ces bibliothèques perdues grâce à la réalité virtuelle (voir le site des BVH ou le portail Biblissima). Mais « quels sont les critères grâce auxquels [une bibliothèque virtuelle], qui est toujours une connaissance sur traces et indices, peut être tenu[e] pour une reconstruction valide et explicative […] de la réalité passée qu’il a constituée comme son objet ? » (d’après Chartier [1998] 2009 : nous avons substitué « bibliothèque virtuelle » à « discours historique »).

CHRISTINE BÉNÉVENT

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Pour citer :
Christine Bénévent, « Bibliothèques humanistes dans l’Europe moderne », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, hiver 2019, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Bibliotheques-humanistes-dans-l-Europe-moderne