Accueil > Français > >>> Pour un humanisme méditerranéen

>>> Pour un humanisme méditerranéen

Postuler, ainsi que le fait la présente encyclopédie en son intitulé, l’existence d’un « humanisme méditerranéen », n’est-ce pas s’engager dans une voie improbable ? Mais tous les chemins sont de cette sorte : ils ne mènent nulle part dès lors qu’on ne sait pas où aller. Dans ces circonstances, il n’est pas inutile que, pour explorer les possibilités de pertinence de cette notion d’« humanisme méditerranéen », on suive la méthode qui consiste à œuvrer à l’explicitation de ce dont même elle se réclame. Cela commence par une clarification, du point de vue de l’histoire intellectuelle, de la genèse du substantif « humanisme ».

Autant l’homme comme catégorie de philosophie anthropologique est antique, autant l’humanisme qui est censé être son idéologie est récent. Or dans la conscience européenne contemporaine, l’humanisme est si étroitement associé à la Renaissance italienne du Quattrocento qu’on en viendrait (presque) à oublier que son apparition ne remonte pas plus haut que le début du XIXe siècle. Et du coup, on en escamote les accointances : ce même XIXe siècle européen qui a célébré l’homme, en élevant un monument idéologique à sa gloire, a compromis son intégrité en l’agrippant à une hiérarchie des races au sommet de laquelle le Blanc « dolichocéphale » trône en garant de l’ordre du monde.

 L’humanisme : un concept du XIXe siècle

Cela est si vrai que le terme « humanisme » n’est mentionné pour la première fois qu’en 1808 par le réformateur Friedrich I. Niethammer dans l’un de ses écrits pédagogiques. Intitulé Der Streit des Philanthropinismus und des Humanismus in der Theorie des Erziehungs-Unterrichts unserer Zeit [« Le conflit du philanthropinisme et de l’humanisme dans la théorie de la pédagogie éducative de notre époque »], ce plan d’étude est salué par Hegel, qui était lié d’amitié à son auteur, comme un plaidoyer en faveur de la « séparation entre l’enseignement savant et l’enseignement pratique » qui agrée le philosophe tant, confie-t-il, « sa foi dans la supériorité des études classiques est grande » (Hegel, Textes pédagogiques, trad. B. Bourgeois, Lettre à F.I. Niethammer du 14 décembre 1808, Paris, 1978, p. 48). Dorénavant, le néologisme va désigner un type d’éducation fondée sur l’étude des classiques grecs et romains.

Après qu’il eut pris cette signification philologique, quelques années plus tard, c’est encore dans la mouvance hégélienne que le terme humanisme revêt un contenu philosophique. Dans les milieux de la gauche hégélienne, en effet, il est manié comme un concept de philosophie anthropologique. On en trouve trace chez le jeune Marx qui l’utilise dans les Manuscrits de 1844 et dans La Sainte-Famille (1845) écrit en collaboration avec Friedrich Engels. Selon le jeune Marx, en tant qu’emblème de l’espérance d’émancipation de l’homme, l’humanisme a trouvé son expression philosophique la plus achevée chez Friedrich Feuerbach et, politique, dans le socialisme français. Informé de ces débats en Allemagne, Pierre-Joseph Proudhon n’adhère pas à cette caractérisation philosophique. La grande figure intellectuelle du mouvement révolutionnaire français dénonce en particulier le travers qui consiste à faire du nouvel humanisme une religion de l’homme s’adorant lui-même. Mais s’il refuse de souscrire à toute « déification de notre espèce » se profilant à l’ombre de la catégorie philosophique, il ne semble pas en rejeter la validité qui en fait « une doctrine qui prend pour fin la personne humaine » (P.J. Proudhon, Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère [1846], in Œuvres choisies, Paris, Gallimard, 1967, p. 243-244).

Mis en circulation dans les différents cercles français concernés depuis les années 1840, le substantif « humanisme » n’entre néanmoins dans un dictionnaire de la langue française que trois décennies plus tard. Dans son Supplément de 1877 [http://francois.gannaz.free.fr/Littre/xmlittre.php?requete=humanisme], le Dictionnaire Littré en fait tout à la fois l’« étude des belles-lettres, des humanités (humaniores litterae) » et la « théorie philosophique qui rattache les développements historiques de l’humanité à l’humanité elle-même ». Ainsi le substantif français s’énonce-t-il comme un calque de l’allemand « Humanismus » dont il assimile la double signification philologique et philosophique.

En France toujours, dans les milieux académiques, la première attestation du néologisme est probablement celle qui est relevée sous la plume d’Ernest Renan. À l’instar de Proudhon, mais pour d’autres raisons, le grand savant sémitisant a ferraillé contre Feuerbach et la gauche hégélienne dont il a repoussé la conception de la religion qui fait de celle-ci une « illusion » et de « la critique du ciel, la critique de la terre » (« Feuerbach et la nouvelle école hégélienne (1850) »). Mais c’est deux ans auparavant qu’il avait intégré le vocable humanisme dans son lexique, non pour en critiquer la pertinence, mais pour la soutenir à travers une définition de ce qu’il nomme le « pur humanisme » qui serait « le culte de tout ce qui est de l’homme », à savoir la vie entière sanctifiée et élevée à une valeur morale (L’Avenir de la science, Pensées de 1848 [1890], rééd. 1995, 160).

En érigeant l’humanisme en « religion de l’avenir », Renan n’est pas loin de faire de sa morale le substitut de la morale religieuse, en particulier chrétienne. Or c’est ce que Proudhon avait combattu chez Feuerbach. Mais Renan est resté attaché à la conviction qu’« il y a quelque chose de divin au sein de l’humanité » (« Feuerbach… », op. cit.), non sans s’empêtrer dans les préjugés de l’époque. Car en même temps qu’il appelle de ses vœux l’avènement du « pur humanisme », il en sape les possibilités par la mise en œuvre du même concept racial alors en train de fournir au dispositif discursif de la vulgate coloniale sa caution prétendument scientifique : « La race sémitique, déclare-t-il, se reconnaît presque uniquement à des caractères négatifs : ni mythologie, ni épopée, ni philosophie, ni fiction littéraire, ni arts plastiques, ni vie civile » ; c’est une race qui se caractérise par l’« absence de complexité », une race « incomplète par sa simplicité même […] » ; fruste, ingrate, « elle est semblable à ces natures peu fécondes qui, après une gracieuse enfance, n’arrivent qu’à une médiocre virilité », (« Peuples et langues sémitiques in Judaïsme et christianisme », op. cit., p. 47).

Si, au regard du maître de la philologie comparée, le « pur humanisme » reste la « religion de l’avenir », cet avenir appartient donc à l’Europe, « et à l’Europe seule » (op. cit., p. 69). En tant qu’il est le plus achevé des hommes, le Blanc doit assumer comme une vocation sotériologique sa mission de répandre les lumières de la civilisation sur la terre afin que leur bienfait profite à la grande partie de l’humanité qui en est dépourvue. Tel est le destin de l’Europe énoncé par Renan sur le mode de la prophétie auto-réalisatrice : « Elle conquerra le monde et y répandra sa religion, qui est le droit, la liberté, le respect des hommes, cette croyance qu’il y a quelque chose de divin au sein de l’humanité ». Puis, se tournant vers les Sémites, c’est-à-dire les barbares les plus proches, le savant français les avertit : « L’avenir est au progrès ». Mais, continue-t-il de prophétiser, vous ne pouvez l’atteindre qu’en vous éloignant de plus en plus de l’esprit sémitique confondu comme il se doit avec une expression du primitivisme...

En conquérant de nouveaux espaces académiques, l’hégélianisme a étendu la sphère d’influence de sa conception de l’histoire comme réalisation de l’Idée à l’écriture historienne. Ainsi lorsque Jacob Burckhardt déclare que, en chacune de ses périodes, la civilisation, en tant que tout cohérent, se manifeste dans la vie politique, la religion, l’art, la science, en même temps qu’elle imprime son cachet particulier à la vie sociale (The Civilization of Renaissance in Italy, II, 1877, p. 185 [l’édition allemande originale date de 1860]), il fait dériver son « esprit du temps (Zeitgeist) » (op. cit., I, p. 68) de la philosophie de l’histoire telle qu’elle est théorisée par Hegel dans la Phénoménologie de l’Esprit (1807). Après leur contenu philologique et philosophique, les termes « renaissance » et « humanisme » se dotent d’une signification historique appliquée à une époque en particulier : pendant que la « renaissance » rend compte de l’ère nouvelle de laquelle va naître l’« esprit européen moderne » (op. cit, II, p. 48), le Quattrocento, l’« humanisme » décrit son courant intellectuel et littéraire dominant qui va faire de l’« homme un individu spirituel se reconnaissant lui-même en tant que tel » (op. cit., II, p. 71). Pour Burckhardt, cette émergence de l’individu est un geste qui se déploie tout à la fois comme une rupture radicale et un retour fondamental : rupture avec le Moyen Âge et retour à l’Antiquité gréco-romaine.

À l’orée du XXe siècle, l’approche hégélienne de l’histoire de la Renaissance continue d’influencer la plupart des historiens. En Italie par exemple, elle est incarnée au plus haut point par un Giovanni Gentile pour qui le Moyen Âge a déconsidéré l’homme et la vie dans ce monde quand l’humanisme italien a rétabli l’homme dans sa dignité et offert à l’esprit humain et à la valeur de l’existence terrestre de développer toutes leurs potentialités. Rares sont alors les historiens, comme Francesco Novati, Helene Wieruszowski ou Ernst Kantorowicz, qui font le lien entre les humanistes du Quattrocento et les rhétoriciens médiévaux. Mais ces derniers ne sont pas allés plus loin que la reconnaissance de certaines caractéristiques personnelles communément attribuées aux humanistes chez les rhétoriciens médiévaux. En fait, le mérite revient à Paul Oskar Kristeller d’avoir établi une connexion à la fois professionnelle et intellectuelle entre les deux mondes lettrés dans laquelle les similarités relevées par ses prédécesseurs sont plus que des épiphénomènes. En s’engageant dans cette voie, Kristeller est allé à l’encontre de ses maîtres. À commencer par Werner Jaeger.

 La culture humaniste : apanage de l’Europe ?

Werner Jaeger avait en effet une théorie selon laquelle l’Europe a connu non pas un mais deux humanismes s’inscrivant l’un dans la continuité de l’autre. Tandis que le nouvel humanisme est une création des grands poètes italiens des débuts de la Renaissance et des poètes et écrivains néo-latins rivalisant avec les Anciens dans leurs propres formes et langage, l’humanisme ancien a trouvé sa pleine réalisation dans la paideia, l’éducation grecque. Entre les deux la continuité est assurée grâce à une ‘renaissance’ succédant à l’autre. Les Romains, en premier, ont su se pénétrer de cet esprit en transformant la paideia grecque en humanitas latine dont ils ont fait la manifestation idéale de l’homme. « C’est, affirme Jaeger, de cette signification du mot latin, entendu comme développement spirituel de l’homme à travers l’art et la littérature que nous est parvenu notre concept de l’humanisme » (« Classical Philology and Humanism », in Transactions and Proceedings of the American Philological Association, Vol. 67, 1936, p. 373]). Ce dernier est revivifié au Moyen Âge par la Renaissance carolingienne, avant de s’épanouir dans la « grande Renaissance » et trouver aboutissement dans le néo-hellénisme du début du XIXe siècle, c’est-à-dire dans la culture allemande. Ce pourquoi, explique le philologue, « les formes et les modèles que l’ancien monde a créés, en tant qu’expression de sa culture inégalée, ne sont pas pour nous uniquement les fins ultimes à atteindre et à reproduire, elles sont aussi les fondements sur lesquels s’élève notre civilisation occidentale ».

Amplifiée par d’autres penseurs allemands, cette énorme régression épistémologique (Arnaldo Momigliano parle de crise) a fait sombrer le Neuhumanismus dans le racialisme et l’européocentrisme les plus étroits. On retrouve les diatribes de Renan actualisées dans un nouveau contexte de crispations nationalistes. Jaeger a catégoriquement exclu qu’il y ait une autre civilisation que l’occidentale. Tout au plus concède-t-il aux peuples extra-européens de posséder une culture. Sauf que l’étude de celle-ci relève, selon lui, plus sûrement de l’anthropologie que de l’histoire. Car, s’empresse-t-il d’ajouter, en tant que « valeur et poursuite consciente d’un idéal », le vrai concept de culture est étranger à ce que l’on nomme, de manière somme toute vaguement analogique, « une culture chinoise, indienne, babylonienne, juive ou égyptienne » (Paideia, p. 15). Se réclamer de l’authentique culture est le privilège des seules nations européennes qui sont dites « hellénocentriques » en raison précisément de leur assimilation de la leçon des Grecs. Certes, Syriaques, Arabes et Juifs ont connu la culture grecque classique. Mais, juge Jaeger, leur hellénisme est resté formel, intellectuel, et donc appris et non assimilé. Aussi n’a-t-il pu leur procurer la dignité qui est celle des nations civilisées (Humanistische Reden und Vörtrage, p. 113). Ce pourquoi, conclut Jaeger, il n’y a d’humanisme qu’européen.

Ces thèses ont influencé toute une lignée de savants orientalistes allemands. Ainsi Gustave E. von Grunebaum, pour ne citer que lui, a considéré que « les remuants et stimulants effets de l’afflux de la tradition hellénique sur le monde musulman des IXe et Xe siècles et sur l’Italie des XIVe et XVe siècles sont des phénomènes clairement comparables » et reconnu à « la Renaissance de l’islam » d’être bâtie sur « une renaissance [upsurge] de l’humanisme, de la tradition grecque, de l’impulsion scientifique, du sentiment historique et de la culture de la raison contre l’autorité » (G. E. Von Grunebaum, « The Aesthetic Foundation of Arabic Literature », in Comparative Literature, Vol. IV, No. 4, 1952, p. 339) avant de se rétracter. À une date où les empires coloniaux craquellent partout sous l’action des mouvements d’émancipation nationale des peuples colonisés en lutte pour leur liberté et leur dignité, il se rallie au parti de ceux qui jugent qu’« il est essentiel de réaliser que la civilisation islamique ne partage aucune de nos aspirations principales [...] » en dénonçant avec véhémence l’« antihumanisme fondamental » de cette civilisation qui ne fait – selon lui – que traduire son refus catégorique de considérer l’homme « de quelque façon que ce soit » comme l’arbitre et la mesure de toute chose (G.E. von Grunebaum, Modern Islam : The Search for Cultural Identity, University of California Press, 1962, p. 40).

 Les humanités de la Renaissance face au Moyen Âge : entre continuité et rupture

En se détournant de Jaeger et ses émules, Kristeller a pris une orientation qui a révolutionné les études et l’interprétation de la Renaissance humaniste. À rebours de la conception burckhardtienne, il a expliqué que l’humanisme du Quattrocento est un mouvement littéraire tourné essentiellement vers l’étude de la grammaire et de la rhétorique. De ce fait, il a réfuté l’idée selon laquelle l’humanisme est la nouvelle philosophie de la Renaissance par opposition à la scholastique, au motif qu’il est centré sur l’homme alors qu’elle est tournée vers Dieu. D’abord en montrant que les incursions de la plupart des humanistes italiens dans le royaume de la philosophie sont restées maladroites et superficielles. Ensuite en indiquant que l’humanisme n’aurait jamais pu remplacer la scholastique en tant que nouvelle philosophie du fait que celle-ci a continué, en même temps que la philosophie aristotélicienne, de prospérer en Italie jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Kristeller s’oppose de nouveau à Burckhardt en considérant que l’humanisme de la Renaissance a contracté à travers sa revivification de l’Antiquité une dette considérable à l’égard du Moyen Âge. Pour le prouver, il se livre à une minutieuse enquête philologique au terme de laquelle il montre combien le classicisme de la Renaissance était resté tributaire du Moyen Âge, en particulier de la tradition grammaticale française des études classiques, de l’héritage byzantin des études grecques et, par-dessus tout, des traditions italiennes médiévales des ars dictaminis et des ars arengandi. Il en conclut que « loin de représenter une nouvelle classe, les humanistes étaient les héritiers et les successeurs professionnels des rhétoriciens médiévaux, les ainsi-nommés dictatores » (P.O. Kristeller, « Humanism and Scholasticism in the Italian Renaissance », in Byzantion, XVII, 1944-1945, p. 346-374, repris dans : Studies in Renaissance Thought and Letters, 4 vol., Rome, 1956-1996,1, p. 564).

Kristeller a en effet insisté pour rappeler que le terme humanista est inventé à la fin du XVe siècle pour désigner non pas des prétendus humanistes – au sens de la définition anthropologique de Burckhardt – mais des professeurs des humanités, par analogie avec des profils spécifiques à l’université médiévale comme canonista, jurista, legista ou artista. Il a dans sa lancée mis en relation l’humanista avec l’ensemble de savoirs spécifiques constitués par les studia humanitatis qui, au début des années 1430, avaient été adoptées par le futur pape Nicholas V en tant que schème de classification de la bibliothèque qu’il avait confectionnée pour Cosme de Médicis : grammaire, rhétorique, poésie, histoire et philosophie morale.

Des écrits des humanistes italiens du XVe siècle passés au crible de la philologie, Kristeller dégage l’idée que les studia humanitatis (dans son acception cicéronienne d’éducation littéraire ou libérale, l’expression apparaît pour la première fois sous la plume de Salutari en 1369) était un programme littéraire centré sur la grammaire et la rhétorique et distinct des études philosophiques, mathématiques, médicales, scientifiques et théologiques et, surtout, que ce « corps de connaissances spécialisées et hautement structurées hérité de la fin du Moyen Âge » avait été considérablement augmenté par la traduction entre le XIe et le XIIIe siècle de textes scientifiques et philosophiques grecs et arabes (P.O. Kristeller, Eight philosophers of the italian renaissance, Standford UP, 1964, trad. A. Denis : Huit philosophes de la Renaissance italienne, Genève, 1975, 143-158). En retraçant les portraits de figures comme Pic de la Mirandole ou Francesco Patrizi (Huit philosophes, p. 111-114), Kristeller s’emploie à montrer combien la tradition philosophique et scientifique arabe a compté dans la fabrique de l’humanisme de la Renaissance. Loin de mettre fin à la translatio studiorum latine médiévale de l’héritage arabe, la Renaissance l’a au contraire amplifiée tout en la mettant au goût du jour. Tandis que de nouvelles œuvres sont traduites, les versions arabo-latines médiévales sont adaptées aux critères humanistes de l’élégance stylistique. Certes, depuis Pétrarque, toute une tradition humaniste a vilipendé les « Barbares » médiévaux, qu’ils soient d’ailleurs latins ou arabes. Aussi a-t-on tenté de substituer au « chien enragé » d’Averroès les commentateurs grecs d’Aristote, en particulier Alexandre d’Aphrodise. Mais le prestige des Arabes est resté suffisamment important pour que l’on retrouve, par exemple, le même Alexandre représenté dans un magnifique relief en bronze d’Ulocrino (actif entre 1485 et 1530), tenu pour « un produit sophistiqué des milieux lettrés de la Renaissance humaniste vénitienne », en compagnie de son maître Aristote la tête couverte d’un turban ! En tant que schème culturel et iconographique à l’œuvre dans les milieux artistiques humanistes vénitiens de l’époque, le couvre-chef oriental évoque la sagesse ; il fait du personnage lettré qui le porte le « véritable hakîm ou sage » (D.R. Morisson, « ‘Aristotle and Alexander of Aphrodias’ Ulocrino », in R. Sorabji (ed.), Aristotle Transformed : The Ancient Commentators and their Influence, Cornel UP, 1990, 481-484 [Pl. p. 484]).

Dans la Venise de l’époque, où accéder aux écrits d’Aristote et des autres auteurs classiques provient en partie de traductions et de commentaires arabes, les traditions classiques et islamiques se mêlent les unes aux autres. Opérer une nette distinction entre les deux cultures n’était évidemment considéré ni important ni même nécessaire comme en témoignent les textes d’Aristote et d’Averroès depuis leurs éditions séparées dans les années 1470 jusqu’aux Omnia Aristotelis et Averrois de 1550-52 et 1553-76. À cette tradition éditoriale n’ont pas contribué que les héritiers des Scholastiques car « dès les premières éditions, Aristote averroïsé a ses connexions aussi bien avec l’Université et la philosophie académique que, plus largement, avec les mouvements culturels de l’époque » (F.E. Cranz, « Editions of the Latin Aristotle accompanied by the Commentaries of Averroes », E.P. Mahoney (ed.), Humanism and philosophy, Leiden, 1976, p. 116-128 [référence, p. 118). La première édition « humaniste » d’Aristote-Averroès date de 1497 ; mais le poids du passé est tel que, malgré son zèle, Benedictus Fontana, qui l’a supervisée, a continué d’éditer les traductions de la vulgate latine.

Ce rapport complexe et ambigu de la Renaissance humaniste à l’héritage arabo-latin est encore restitué par la somptueuse enluminure de Girolamo de Crémone, ornant la page d’ouverture de la Métaphysique, dans l’édition imprimée d’Aristote de 1483, que nous avons choisi de mettre en exergue sur la page d’accueil du site de cette encyclopédie. L’artiste y a reproduit le thème iconographique classique de la turba philosophorum (« L’Assemblée des philosophes » est aussi le titre d’un célèbre ouvrage d’alchimie traduit de l’arabe au latin à la fin du XIIe siècle et introduit dans les milieux humanistes italiens par Marsile de Ficin à travers la prisca theologia) : sur un balcon, sont représentés à droite les anciens philosophes grecs, selon les conventions du XVe siècle, comme des Byzantins barbus portant des robes longues et de curieux petits chapeaux ronds qui débordent. Immédiatement à la droite de la colonne coupant la scène en deux plans proportionnés, celui qui semble être Aristote est campé levant la main droite en direction du ciel ou du titre de l’ouvrage mentionné sur un cartouche au-dessus, la tête tournée vers le personnage se trouvant derrière lui et qui n’est autre que son propre maître Platon, pendant que ceux qui semblent être ses deux plus célèbres commentateurs grecs, Themistius et Alexandre, se tiennent à distance observant révérencieusement la scène. Immédiatement à gauche de la colonne centrale, se tient Averroès représenté, avec une généreuse barbe blanche, le corps couvert d’une longue robe jaune, regardant Aristote de l’autre côté du pilier. Le geste de sa main droite indique qu’il participe à l’échange entre Aristote et Platon. C’est un geste d’autorité qui n’est pas inconnu des artistes musulmans médiévaux et de leurs modèles hellénistiques. Averroès est saisi dans une proximité avec Aristote qui est refusée aux autres commentateurs grecs. Derrière lui, sur sa gauche, tenant chacun un livre, apparaissent Avicenne la tête couverte d’un turban surmonté d’une couronne (depuis que, par une méprise de traduction, les Latins en avaient fait le « roi des philosophes »), drapé dans une robe de médecin italien, et, finalement, portraituré en personnage tonsuré en habit de moine dominicain, Thomas d’Aquin.

Cette mise en scène, qui rend compte du curriculum des études philosophiques enseignées dans les universités italiennes et de l’intérêt d’une partie des humanistes pour Aristote et son grand commentateur arabe, contraste singulièrement avec d’autres peintures contemporaines illustrant : 1°) La rupture avec l’héritage arabe comme les Trois philosophes de Giorgione (1504-1508) qu’on s’accorde à interpréter, à la suite d’Arnaldo Ferriguto (1933), comme une représentation de l’histoire de la philosophie (ponctuée par l’aristotélisme, l’averroïsme et l’humanisme figuré par un jeune personnage tournant le dos aux maîtres-fondateurs des deux traditions, grecque et arabe) ; 2°) L’illégitimité du rôle de maître des Arabes et de leur fonction de médiateur entre l’Europe renaissante et l’Antiquité, comme c’est le cas dans la fresque de l’École d’Athènes du Vatican peinte par Raphaël (1508) où l’on voit Averroès, sous les traits d’un farouche corsaire ottoman, figurant en intrus au milieu d’un aréopage de nobles sages grecs et romains, ou, plus radicalement ; 3°) L’aversion pour les lumières arabes (sous le signe de laquelle Pétrarque avait placé son retour aux sources antiques) illustrée par le célèbre Triomphe de saint Thomas attribué au maître pisan Francesco Traini dans lequel le théologien chrétien terrasse le philosophe arabe comme saint Georges le Dragon dans la légende. À toutes ces représentations qui se télescopent, l’humanisme du Quattrocento s’est identifié à travers l’une ou l’autre de ses sensibilités. Les enluminures de Girolamo de Cremone ont manifestement traduit des attitudes à l’égard de la culture arabe comme celles dont un Pic de la Mirandole s’est fait le vibrant défenseur.

1483, c’est en effet l’année où les éditeurs humanistes ont commencé à augmenter le corpus d’Averroès de nouvelles traductions à partir de l’hébreu. Au départ de ce retour vers les Arabes, si tant est que ces derniers aient été éclipsés, nous retrouvons des patrons comme le futur cardinal Grimani et des lettrés comme Pic de la Mirandole, ainsi que des traducteurs juifs comme Elias Cretensis ou del Medigo. Ce savant juif était lui-même un humaniste ; et comme ses patrons Grimani et Pic de la Mirandole, il avait cultivé le souci de ne pas rompre le lien avec le passé latin médiéval et arabe : à l’adresse de Pic de la Mirandole, il est allé expliquer que le traducteur doit trouver un moyen terme entre la tradition de la vulgate « verbum et verbo » et la nouvelle exigence humaniste d’élégance et d’éloquence. Dans ce contexte, les traductions des œuvres arabes à partir de l’hébreu se sont développées jusqu’à provoquer ce que l’on a appelé « la seconde révélation d’Averroès » (H.A. Wolfson, « The Twice Revealed Averroes », in Speculum 36, 1961, p. 373-92, la première révélation étant celle du XIIIe siècle). Fait notable, depuis 1497, du grand philosophe andalou sont publiés non seulement ses commentaires aristotéliciens mais également ses autres écrits philosophiques comme la Destructio destructionum commentée par le même Agostino Nifo qui, après avoir rallié la cause des humanistes, avait pourtant dit préférer aux commentateurs d’Aristote les Grecs. La filière arabo-judéo-latine a continué, vaille que vaille, de servir de base éditoriale au corpus d’Aristote avec les commentaires d’Averroès jusqu’au milieu du XVIe siècle. La rupture est venue de l’édition vénitienne de 1562 réalisée par Thomas Junta : pour la première fois, la source de référence première du corpus aristotélicien n’est plus arabo-latine mais grecque. En même temps, en faisant imprimer conjointement le philosophe grec et son commentateur arabe, l’éditeur a cherché à réconcilier les deux factions humanistes et académiques en soutenant que si les commentateurs grecs avaient rendu plus clair Aristote, ses commentateurs arabes ont fait une contribution importante en explorant les questions difficiles laissées par lui inexpliquées. En cette deuxième moitié de XVIe siècle, c’en est pourtant fini d’Aristote latin et, plus encore, d’Averroès latin : l’un et l’autre perdent leur statut d’autorité. À l’aune de la Graeca veritas et de la philologie, ils deviennent des auteurs parmi d’autres. C’est une révolution culturelle. En destituant de leur aura les autorités, la Renaissance italienne a jeté les bases de la modernité culturelle et intellectuelle de l’Europe.

À en juger par l’arabophilie d’humanistes comme François Rabelais, Guillaume Postel-Vinay, Nicholas Clénard, Joseph Scaliger, et tant d’autres, cette première modernité européenne n’a rien renié de l’enseignement des maîtres arabes. « C’était une opinion généralement reçue, dans les XVe et XVIe siècles, que les Arabes d’Espagne, cultivant les sciences avec éclat (tandis que l’Europe était plongée dans l’ignorance), en avaient transmis le goût et les monuments à l’Occident, échappé aux ténèbres de la barbarie [...] », écrit Aimable Jourdain, le fondateur de l’étude de la tradition textuelle d’Aristote. L’Europe moderne n’aurait donc pas renoncé à l’arabisme de l’Europe latine : « En faisant honneur à ces mêmes Arabes espagnols de la renaissance des lumières, on se conformait à une tradition conservée à travers le cours des âges, qui transmettait la mémoire d’un fait très-vrai. La même opinion régna pendant le XVIIe siècle » (A. Jourdain, Recherches critiques sur l’âge et l’origine des traductions latines d’Aristote, 1843, p. 5-6). Le déni n’a commencé qu’au siècle suivant et, plus encore, en ce XIXe au cours duquel « les philosophes arabes sont oubliés ».

 La vision grecque de l’homme et de la culture : un humanisme sans frontières

Néanmoins, ce même XIXe siècle, qui semble n’avoir inventé l’humanisme que pour en attribuer la singularité à l’Europe moderne, n’a pas empêché qu’une veine intellectuelle traversant le Neuhumanismus en étende le périmètre d’application aux autres cultures européennes et extra-européennes qui ont fait l’expérience historique de l’hellénisation, et ce quels qu’en soient le lieu et l’époque. Le détour entrepris en valait la peine. Car c’est à cette dernière filiation que se rattache la présente encyclopédie et tout ce dont elle est le compte rendu : l’« humanisme méditerranéen » prenant son sens de son inscription à l’horizon de l’expérience fondatrice des Grecs.
Multiple par les formes et les expressions qu’il a prises au cours de son développement historique, cet humanisme méditerranéen tire sa cohérence conceptuelle de sa conviction en l’unité de l’homme et de sa conception de la culture qui en fait une seconde nature humaine. Or l’un et l’autre concepts de l’homme et de la culture sont grecs. Il revient assurément aux Grecs d’avoir inventé l’homme en tant qu’abstraction dont les philosophes ont logé l’unité dans sa nature (la fameuse « nature humaine = phusis anthropon ») et la médecine hippocratique dans son fondement physiologique et moral (Calame, Masques d’autorité. Fiction et pragmatique dans la poétique grecque antique, Paris, 2005, 237-273). Comme il leur revient d’avoir développé un concept de la culture et de l’éducation qui offre à l’individu d’habiter pleinement son humanité en se soustrayant à l’emprise de ses passions.
Les cultures humanistes méditerranéennes ont assimilé cet idéal de connaissance et d’action dès lors qu’elles se sont tournées vers l’Antiquité grecque pour s’approprier son héritage après qu’elles eurent fait de son accomplissement un sommet et de la poursuite de son imitation le moyen de parvenir à leur propre achèvement, sans jamais exclure de le fructifier par leurs propres conquêtes spirituelles. Indépendamment de toute inscription géographique, ce sont cette orientation culturelle et sa référence fondatrice qui sont ici qualifiées de méditerranéennes.
Dès le milieu du XIXe siècle, Georg Voigt a entrevu la possibilité d’un tel humanisme dans son livre « Renaissance de l’Antiquité classique, ou le Premier siècle de l’humanisme » (Die Wiederbeledung des classischen Alterthums oder Das erste Jahrhundert des Humanismus) publié à Berlin, en 1859, un an avant le maître ouvrage de Jacob Burckhardt, et traduit en français, d’après la troisième édition, en 1894, sous le titre : Pétrarque, Bocacce et les débuts de l’humanisme en Italie [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k99784s].
En effet, Voigt, qui est le premier historien ayant établi que l’humanisme du Quattrocento était un mouvement littéraire constitué par un retour à l’Antiquité, est par ailleurs celui qui en a souligné les limites au point de s’inscrire en faux contre la thèse de l’innovation radicale popularisée par son ami Burckhardt : « Si, observe-t-il, nous voulions énumérer tous les écrivains du moyen âge qui pratiquèrent les classiques de l’antiquité et leur firent des emprunts plus ou moins importants, nous nous trouverions en présence d’une longue suite de noms, dont plusieurs sont vraiment considérables, et nous serions ainsi presque amenés à regarder comme superflue, dans une certaine mesure, l’ardeur impétueuse avec laquelle le XVe siècle entreprit de faire revivre l’antiquité » (op. cit., p. 5). Mais cette imitation de l’Antiquité, tempère-t-il, avait ses limites. Devant la puissance de l’Église, « les efforts des savants du moyen âge, pour remettre la littérature classique en honneur, restèrent complètement stériles et n’exercèrent aucune influence sur l’esprit général de cette époque » (op. cit., p. 8). Que la culture, l’instruction et la science aient été le monopole du clergé n’a pas donc permis aux auteurs latins classiques entrés dans les écoles et les universités d’être étudiés pour eux-mêmes, au contraire ; leur étude fut mise au service des autres sciences, la théologie et la philosophie, pour en combler les lacunes et déchiffrer les obscurités, de sorte qu’elle ne put acquérir aucune indépendance, pas même chez des esprits aussi élevés qu’Abélard et Jean de Salisbury.
Mais Voigt ne s’en est pas tenu à la seule affirmation que le Moyen Âge latin n’a pas ignoré la culture littéraire classique ; il a par ailleurs souligné que, en tant qu’« expression de ce qu’il y a de purement humain dans l’esprit et dans le cœur de l’homme, de l’humanité prise dans le sens grec et latin », la renaissance n’est pas l’apanage de l’Europe et encore moins celui d’une époque particulière de son histoire : « Un phénomène à peu près semblable, explique-t-il, s’était produit dans le monde antique, lorsque l’Asie fut envahie par le courant de la civilisation hellénistique et lorsque, en dépit de son orgueil, le Latium a subi à son tour la domination de l’esprit grec » (op. cit., p. 4).
Voigt n’a toutefois pas pressenti le caractère transhistorique de ce « phénomène à peu près semblable » qui, en débordant l’Antiquité tardive, a trouvé des prolongements en particulier dans les cultures arabo-islamique et judéo-arabe, sans compter la syriaque, avant que l’Europe latine ne lui ouvre les portes de ses universités et de ses monastères et impulser ainsi sa renaissance intellectuelle d’une façon qui a déterminé la nature de son rapport à l’héritage grec. Avec les anciennes cultures hellénisées, les nouvelles ont partagé tout un ensemble de références constitutives : une philosophie anthropologique instituant l’homme dans son unité fondamentale, une éducation qui fait de sa poursuite un idéal d’accomplissement et de son éthique la promesse de réalisation d’un bonheur ici-bas, une conscience de la temporalité historique, une mémoire et un culte de l’héritage antique, une pratique de la traduction qui permet de communiquer avec le passé, de dialoguer avec les Anciens, mais aussi de se constituer en réceptacle de la sagesse universelle. L’écrit est chaque fois au cœur de ces traditions humanistes dont la graphophilie a fait au sens fort du terme des « cultures du livre ». Aussi ont-elles développé la collation pour la collation et la critique textuelle jusqu’à faire de la philologie la science humaine première. De fait, toute culture humaniste est une culture philologique, et vice-versa. La philologie a cette remarquable faculté d’humaniser ce qu’elle touche. À son aune, tous les textes sont traités avec une égale dignité, qu’ils soient mythologiques, religieux, scientifiques ou littéraires, en d’autres termes, sacrés ou profanes. Et lorsqu’elle devient une force matérielle, elle finit par prendre corps dans des collections et des bibliothèques qui, en ambitionnant de recueillir tous les livres du monde en un seul endroit, s’érigent en entreprises de sauvegarde des grandes réalisations de l’esprit humain. Elle est le moyen pour les cultures lettrées qui s’en réclament de signifier à elles-mêmes et aux autres que rien de ce qui est humain ne leur est étranger.

 Une approche encyclopédique contextuelle ou transversale ?

Comment l’actuel cadre éditorial entend-il rendre compte de ces cultures ? Comment prévoit-il de présenter ce qui les unit sans oblitérer ce qui les distingue ? Comment va-t-il souligner leur convergence sans taire leurs divergences ? Ces interrogations nous invitent à faire preuve de vigilance en nous rappelant combien la méthode d’exposition et de présentation des résultats de connaissance est étroitement liée au processus de leur production. Encore faut-il convenir qu’y répondre de manière théorique est une chose, leur apporter un traitement pratique en est une autre. Sans chercher à écarter la part de doute et d’incertitude que de telles questions font planer, la solution médiane (qui n’est pas une solution de compromis) serait de les traiter de manière toute pragmatique.
D’ordinaire, pour se conformer aux exigences du genre, les encyclopédies déroulent la narration de leur matériau selon deux axes l’un onomastique, l’autre thématique : les personnages historiques biographiés d’un côté, les mouvements historiques dont ils sont les agents actifs ou auxquels ils ont participé synthétisés de l’autre. Nul besoin de s’engager dans de longs développements pour relever que, sous sa modeste apparence didactique, un tel procédé d’écriture relève d’une théorie de la connaissance. Mais il est significatif des limites et des contradictions inhérentes au genre encyclopédique qui est savant d’un côté, populaire de l’autre.
Au risque de décevoir l’attente de ses lecteurs, cette encyclopédie s’écarte de la voie traditionnelle balisée par la double nature biographique et thématique des notices. Cependant elle ne le fait pas tant pour des raisons théoriques que pour des considérations pratiques : elle ne veut pas faire de double emploi avec tous les dictionnaires et encyclopédies, spécialisés et généralistes, savants et populaires, dans lesquels on trouve biographiés les personnages rencontrés ici. Étant donné que la notice biographique ne se prête que difficilement au renouvellement, très vite, les effets de saturation finissent par en rendre la pratique répétitive et inconsistante. Ce que l’actuelle encyclopédie a cherché à éviter.
En reposant sur un fondement thématique, elle s’est donné les moyens de diversifier ses objets mais aussi de les cerner au plus près. Sans prétendre à l’exhaustivité (laquelle est de toute évidence étrangère à l’économie de son écriture), elle entend de la sorte offrir à ses lecteurs, plus que de simples notices, de véritables monographies alliant le souci de la rigueur à celui de la profondeur.
Il resterait in fine à résoudre la question narratologique du « point de vue ». Que faut-il adopter : la contextualisation ou la transversalisation ? Selon qu’il s’agit d’appréhender les objets de connaissance considérés d’un point de vue endogène (celui de chaque culture prise par et en elle-même) ou exogène (celui des cultures considérées dans leur globalité partielle ou totale), ni la méthode ni la composition des entrées ne sont les mêmes. Sans compter que les rythmes et temporalités de développement des mêmes objets ne sont pas identiques d’une société à une autre, ni d’une culture à une autre. Parce qu’elle encourt l’amalgame et l’anachronisme, l’approche transversale a paru plus que hasardeuse ; et c’est l’approche contextualiste qui a prévalu.

HOUARI TOUATI

Pour citer :
Houari Touati, « Pour un humanisme méditerranéen », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2014, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Pour-un-humanisme-mediterraneen.