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Banquet philosophique et littéraire dans l’Antiquité gréco-romaine

 Le banquet comme pratique en Grèce antique

On constate depuis plusieurs dizaines d’années un intérêt grandissant pour le banquet antique, étudié dans toutes ses facettes et sous tous ses aspects, par des chercheurs de tout bord : on étudie ainsi les espaces et les équipements du banquet, les formes du banquet, les différentes étapes et le déroulement du banquet, les mets et les boissons qui doivent ou peuvent circuler dans un banquet, le type de propos qui y sont tenus, ses divertissements et les performances qui le caractérisent, mais aussi l’histoire du banquet, ses règles, ses codes et son fonctionnement au sein de la cité, sa composition sociale, ou encore son rôle dans la circulation et la transmission du savoir collectif que l’ensemble des convives est censé partager.

Il s’agit ainsi de comprendre la valeur et la portée de cette pratique conviviale, qui peut être privée – et dans ce cas, elle concerne essentiellement les élites de la cité, dont elle illustre une forme d’autocélébration – ou collective – et dans ce cas, il s’agit d’une pratique civique et politique, souvent en lien avec le rituel religieux du sacrifice, organisée par le pouvoir (qu’il soit aristocratique, tyrannique ou démocratique) pour l’ensemble des membres de la communauté, le banquet public permettant de souder cette même communauté. Dans tous les cas, il est clair qu’il s’agit d’une institution centrale de la cité, j’entends l’une de ses manifestations les plus remarquables, puisqu’elle joue un rôle clé de cohésion et de réaffirmation des valeurs communes, aussi bien d’un point de vue public, en tant que réunion égalitaire entre tous les citoyens, que d’un point de vue privé, en tant que lieu d’affirmation et de célébration de l’élite. Par le fait même de manger et boire ensemble, se créent des liens entre pairs et/ou entre la cité et les citoyens. Le banquet est alors, en même temps qu’un lieu de plaisir et de satisfaction pour le corps, un lieu de consolidation des pratiques de la communauté (de ses normes, sa composition sociale, ses formes et codes de répartition de la nourriture...). De plus, ce lieu est aussi l’occasion de performances savantes et de création littéraire, notamment poétique, de l’élite elle-même.

Dans cet espace par excellence d’expression de pratiques alimentaires, de comportements codifiés, de distinction sociale, de normes morales et de productions intellectuelles et poétiques, les convives absorbent et partagent ce patrimoine collectif, participant par-là, en même temps qu’à son élaboration, à sa conservation.

La multiplicité des aspects abordés dans l’étude de la pratique conviviale grecque, couvrant différents champs de recherche et ouvrant différents points de vue sur cette institution, est aussi une conséquence de la variété de la documentation antique que nous possédons concernant ce domaine : documents archéologiques et iconographiques, d’une part, qui permettent de mieux reconstituer la culture matérielle dans ce domaine ; documents écrits, d’autre part, à leur tour très variés et que l’on peut différencier en fonction de leur forme, de leur genre et de leur finalité.

Nous pouvons ainsi distinguer au moins trois typologies de textes : (1) les poèmes dits « symposiaques » ; (2) les textes narratifs (en vers ou en prose), présentant au cours de leur narration des descriptions de scènes conviviales ; (3) les textes narratifs entièrement consacrés à la mise en scène d’un banquet, les premiers de ce genre étant les Banquets de Platon et de Xénophon.

D’un point de vue chronologique il s’agit de textes qui vont du VIIIe-VIIe siècles au Ve-IVe siècles avant J.C. et jusqu’à l’époque de la Rome impériale, au IIe siècle après J.C. Pour tous ces textes nous pouvons dire qu’ils nous donnent à voir par les mots un banquet et donc qu’ils illustrent, de manière plus ou moins développée, des formes littéraires de banquets. En ce sens, tous représentent des « fictions de banquet », quel que soit le contexte narratif dans lequel ces scènes conviviales se trouvent et la place ou le rôle qu’elles y occupent. Et en tant qu’illustrations textuelles d’un banquet, ces trois typologies de textes constituent des sources toutes également importantes et à exploiter en vue d’une reconstitution de la pratique conviviale antique. Néanmoins, si nous tenons justement compte du contexte narratif de ces scènes, de la place qu’elles occupent et du rôle qu’elles jouent dans les textes, nous devons aussitôt préciser les choses.

D’un point de vue des genres littéraires, le premier type de textes appartient à ce genre – de définition difficile et toujours très débattue – que l’on peut appeler la poésie mélique ou chantée ou performative, dont la composition se concentre surtout aux VIIe et VIe siècle avant J.C. Le deuxième type relève, quant à lui, de plusieurs genres littéraires : ce sont surtout les textes épiques et comiques, mais aussi les textes tragiques, historiographiques, rhétoriques ou encore philosophiques. De ce point de vue, il s’agit de textes qui ont leur propre fonctionnement et finalité, je dirais leur propre statut, au-delà des fictions de banquet qu’ils évoquent et qui ne constituent que l’un des éléments de la narration. En revanche, les textes du troisième type sont des « banquets littéraires » au sens propre, puisque le banquet est le seul et unique cadre dans lequel et autour duquel se déroule la narration. Aussi bien dans le cas du Banquet de Platon que dans celui du Banquet de Xénophon, il s’agit, en effet, de mettre en scène un banquet privé organisé par une certaine élite de la cité, représentant la pratique conviviale, mais aussi les occasions festives qui (en) sont à l’origine, son cadre, son fonctionnement, ses étapes, ses règles et ses codes, ses convives, et surtout les discours et par là-même le type de savoir échangé par les convives. De ce fait, ces deux textes, qui par leur sens et leur finalité sont des textes philosophiques, par leur contenu et leur forme sont fondateurs d’un genre nouveau, le « banquet littéraire » proprement dit, un genre qui aura beaucoup de fortune par la suite. C’est pourquoi nous pouvons dire que le « banquet littéraire » est au départ, plus précisément, un « banquet philosophique ».

Pour bien comprendre en quel sens et jusqu’à quel point ce genre des banquets littéraires-philosophiques est « nouveau » par rapport au reste de notre documentation textuelle sur les banquets, il nous faut alors, dans un premier temps, parcourir quelques-unes de ces représentations conviviales des deux premiers types. En effet, ces représentations, si elles ne constituent pas des « banquets littéraires » à proprement parler, nous permettent néanmoins de préciser quelles étaient les formes de banquet pratiquées, quelles étaient les conceptions et les valeurs sociales partagées, les normes et les rituels adoptés, bref quel était le patrimoine collectif que le banquet grec, en tant qu’institution centrale dans le fonctionnement de la cité, devait transmettre.

 Le banquet dans la poésie « symposiaque »

Parmi les textes poétiques chantés et performatifs, on peut assez clairement identifier, en raison de leur forme et de leur contenu, les poèmes dits « symposiacaux », c’est-à-dire spécifiquement composés pour une exécution lors d’un banquet. Leur contenu n’est pas nécessairement narratif : ils peuvent présenter des chants ou des éloges à l’adresse des convives, éloges ou chants qui se suivent d’un convive à l’autre créant une sorte de parcours chanté parmi les invités (le skolion), des célébrations des valeurs partagées, des récits traditionnels et encore, peut-être surtout, des manifestations d’amour, voire des déclarations d’amour – eros étant visiblement l’un des éléments les plus importants dans le fonctionnement du symposion, au cœur des relations entre les convives. Ces textes sont donc « symposiaques » en raison de leur contenu et des procédés poétiques qu’ils évoquent, mais aussi en raison de leur référence, plus ou moins explicite, au cadre convivial dans lequel ils s’insèrent.

Voyons d’abord les contenus et les procédés poétiques. Le rapport entre la circulation du vin et la circulation des éloges entre convives apparaît clairement dans une élégie « symposiaque » fragmentaire de Dyonisios Chalcus (V siècle av. J.C.), conservée par Athénée de Naucratis dans son long texte convivial que constitue les Deipnosophistes – et sur lequel nous reviendrons (fr. 4 West chez Athénée, Deipn. XV, 669a) :

Vers la droite, verse à boire, comme pour le vin, des chants d’éloge (hymnous)
pour toi et pour nous...

Comme le montre un autre fragment « symposiaque » de Dyonisios Chalcus, cité un peu plus loin par Athénée, la procédure de création et de récitation de poèmes, qui célèbrent les convives en montrant leur érudition et leurs compétences, participe pleinement du fonctionnement du symposion (fr. 1 West chez Athénée, Deipn. XV, 669e) :

Reçois ce poème que j’ai composé
pour boire à ta santé ; à toi en premier je l’envoie,
à droite, après avoir mélangé ma bienveillance dans la coupe des Grâces,
et toi, prends ce don et offre en retour tes chants buvant à ma santé,
rendant beau le symposion et faisant pour toi de bons augures.

Ce poème qui décrit clairement le procédé du skolion montre aussi la relation d’éloge réciproque qui se mettait en place entre les convives. Au cœur de leur mémoire, donc de leurs chants, il y a toujours les hommes de bien, les agathoi, comme le montre un fragment poétique appartenant au corpus théognidien (VIIe-Ve siècle av. J.C.). Que ce soit par l’éloge, ou parfois par le reproche, c’est des bons et de leurs exploits que le banquet doit garder mémoire, à l’exclusion des autres (Theognidea 797-798 West) :

L’un fait des reproches aux bons, l’autre les loue,
mais il n’y a aucune mémoire des mauvais.

De même, un fragment élégiaque d’Anacréon (VI siècle av. J.C.) illustre bien quels autres sujets de conversations circulaient dans un banquet, donc quel type d’échanges et de rapports étaient privilégiés ou recherchés entre les convives (eleg. 2 West, chez Athénée, Deipn. XI 463a) :

Je n’aime pas celui qui boit du vin près du cratère rempli
et raconte des querelles et de la guerre douloureuse
mais celui qui, mêlant les dons splendides des Muses et d’Aphrodite,
songe à entretenir une aimable joie.

Aphrodite et Muses, amour et poésie (ou mythes), ce mélange entre plaisir du corps et plaisir de l’esprit contribue avec le vin à la joie du banquet, à son euphrosyne. On trouve encore cette idée dans un fragment de Sappho, également conservé par Athénée, juste à la suite d’un fragment du poète comique Alexis consacré aux plaisirs du banquet qui rendent agréable la vie. Là aussi Sappho associe vin, donc symposion, et eros (fr. 5 Bergk = Voigt 2, 13-16, chez Athénée, Deipn. XI 463e)

Comme le dit la belle Sappho :

« Viens, Cypris et dans les coupes d’or verse le nectar
mélangé dans les festins splendides »
pour ces compagnons-ci, les miens et aussi pour toi.

La déesse de Chypre, Aphrodite, est bien là pour symboliser le plaisir d’amour et le cadre symposiacal dans lequel ce plaisir va s’exprimer est immédiatement illustré par l’exhortation qui est faite à la déesse de verser le vin mélangé dans les coupes des convives. En somme, si la guerre, et la douleur que celle-ci entraîne, ne sont, certes, pas écartées, la valeur guerrière et son éloge étant au cœur de la communauté, ce sont clairement mythes et amour les sujets privilégiés pour la joie du festin dans les compositions « symposiaques » des poètes archaïques.

Quant au cadre convivial, c’est sans aucun doute l’élégie 1 de Xénophane, composée au VIe siècle av. J. C., qui est pour nous la plus clairement « symposiaque », c’est-à-dire l’un des poèmes qui décrivent de la manière la plus détaillée le cadre et le fonctionnement d’un banquet privé, ainsi que le contenu des chants qui devaient y être exécutés, du moins selon les souhaits du poète philosophe. Cette élégie est conservée, elle aussi, dans les Deipnosophistes d’Athénée, juste après le fragment d’Anacréon cité plus haut. Voici le texte (fr. B 1 West, chez Athénée, Deipn. XI 462c) :

Maintenant assurément le sol est pur ainsi que les mains de tous
et les coupes ; on pose autour de nos têtes des couronnes tressées,
un autre nous offre une huile parfumée dans une tasse ;
un cratère rempli de joie est placé,
en outre, dans des vases, est prêt un autre vin, qui dit qu’il ne manquera jamais,
doux, exhalant l’odeur des fleurs ;
au milieu (des convives), l’encens fait monter son parfum sacré ;
l’eau est fraîche et douce et pure ;
devant on a posé des pains dorés et une table vénérable
chargée de fromage et de miel épais ;
un autel au milieu a été couvert partout de fleurs,
le chant et la fête envahissent toute la maison.
Il faut d’abord que les joyeux convives chantent des hymnes au dieu
avec des récits de bon augure et des paroles pures.
Après avoir fait les libations et avoir prié de pouvoir
agir selon justice (c’est bien là ce qui est le plus à notre portée),
ce n’est pas démesure de boire une quantité qui permette de revenir
chez soi sans avoir besoin d’un serviteur, à moins qu’on ne soit bien vieux.
Parmi les convives il faut louer celui qui, après avoir bu, expose des choses honnêtes,
pour que soient suscitées la mémoire et une tension vers la vertu,
et ne raconte pas de batailles de Titans ni de Géants
ni de Centaures, inventions des Anciens,
ni de violentes discordes, car il n’y a rien de noble là-dedans ;
mais il faut avoir toujours une juste considération des dieux.

Ce poème, qui devait certainement être chanté lors du symposion, constitue une sorte de mise en abyme ou de miroir, là où l’énonciation correspond à l’action même qui est énoncée. On peut particulièrement bien dire à propos de cette élégie ce que Claude Calame (1998) a dit à propos du poème mélique en général : « Le poème mélique ne se réduit pas à la description d’une action, mais dans la mesure où son énonciation elle-même correspond à l’action rituelle qu’il énonce, c’est un acte de parole » (p. 109). En ce sens, le caractère auto-référentiel du poème est frappant, ainsi que la forme de sa composition pour ainsi dire « en direct » : en même temps qu’il le vit, le poète décrit le symposion dans lequel il boit et chante, se voyant ainsi reflété dans son propre poème.

Quant au contenu, cette élégie décrit le déroulement du symposion, ce deuxième moment du banquet grec, après le repas proprement dit (le deipnon), où circule la coupe de vin et les échanges parmi les convives. Il s’agit visiblement d’un banquet privé, vraisemblablement d’un cercle d’amis, dont nous n’avons pas le détail, mais que, grâce aux allusions du poète, nous pouvons imaginer cultivés, habitués à ce genre de réunion et respectueux des codes et des bonnes manières de table. Si, d’une manière générale, les poèmes « symposiaques » peuvent toujours évoquer des éléments constitutifs du banquet (le vin, l’ivresse, l’amour, les récits à chanter etc.), l’élégie de Xénophane est, néanmoins, une description particulièrement précise et ordonnée du symposion. On y trouve ici la description de son fonctionnement, de sa disposition et de l’espace dans lequel il se déroule : le sol est lavé, les deuxièmes tables sont dressées pour permettre la circulation des coupes, les convives sont couronnés et parfumés, le cratère du vin est placé au centre des convives, ainsi que l’encens parfumé et l’eau, des pains, du fromage et du miel, qui vont accompagner la boisson, sont posés sur les tables. Le cadre étant posé, le poète évoque l’atmosphère joyeuse de la salle, remplie de chants et de fête. On y évoque encore les rituels et les codes sociaux que suivent les convives qui participent à ce genre de banquet et qui ne peuvent être que de gens de valeur : leur vertu se montre, en effet, dans les hymnes qu’ils chantent aux dieux, dans les paroles pures qu’ils récitent, dans les libations qu’ils offrent, dans leur discours de justice, dans la modération avec laquelle ils boivent, faisant ainsi preuve de tempérance et de maîtrise de soi. Enfin, le poète fait une allusion au type de thématiques sur lesquelles les convives doivent s’entretenir et surtout celles sur lesquelles ils ne doivent pas s’entretenir. Si la préconisation d’exposer des récits honnêtes qui mettent en jeu la mémoire et tendent à la vertu est affirmée sans être toutefois précisée par des exemples clairs, en revanche le refus des discours mythiques mettant en mauvaise lumière les dieux est clair et précis : au banquet le bon convive ne parlera pas de batailles de Titans ou de Géants ou de Centaures, ni de discordes violentes entre les dieux. La vertu des convives va alors coïncider clairement avec leur respect des dieux et la noblesse de leurs discours. Il faut remarquer qu’il y a sur ce point – et cela est une originalité de Xénophane – une claire critique à l’égard de certains récits archaïques, vraisemblablement ceux d’Homère et d’Hésiode, concernant les dieux et leurs représentations, une critique qui, d’ailleurs, rappelle de près celle de Platon dans la République (livres II et III) à l’égard des mythes et de la poésie en général, sujets qui étaient certainement au cœur des récits conviviaux dans les banquets archaïques grecs.

En définitive, cette élégie illustre une sorte de morale grecque du banquet ou encore de mode d’emploi du banquet, avec les règles de modération, les procédures à suivre et les codes à respecter, notamment les récits à faire ou à ne pas faire autour de la coupe de vin. Le respect collectif des dieux et des pratiques sociales, la maîtrise de soi qui, au sein du symposion, est aussi une maîtrise de tous sur tous et les échanges codifiés entre les bons convives, tous ces éléments que le poète met en scène renforcent les liens entre les membres de cette communauté d’égaux.

Ainsi, au-delà de l’organisation et du fonctionnement concrets, c’est l’enjeu social et la finalité politique d’un banquet privé bien réglé qui sont ici énoncés, c’est-à-dire la place et le rôle que ce lieu symbolique de rencontre et d’autocélébration d’une certaine élite ont au sein de la cité.

 Scènes de banquet au théâtre et dans les récits épiques

Notre deuxième source textuelle pour une compréhension du banquet antique et du savoir collectif (impliqué) sont les textes narratifs, de différents genres, en vers ou en prose, qui présentent des scènes de banquet ou font référence à des pratiques conviviales collectives, scènes et pratiques décrites dans leur déroulement et dans leurs contenus. Presque tous les genres littéraires sont concernés, car nous trouvons des scènes conviviales dans des textes épiques, historiographiques, tragiques, comiques ou encore philosophiques. Mais c’est surtout dans les poèmes épiques d’Homère et dans des pièces comiques d’Aristophane ou d’autres auteurs comiques (dont ne nous restent que des fragments) que nous avons les descriptions les plus remarquables de ce genre de pratique, notamment en référence à des banquets privés.

Voici un fragment du poète comique Platon, un contemporain d’Aristophane (Ve-IVe siècle av. J.C.) mettant en scène vraisemblablement deux esclaves qui, par leurs échanges, nous décrivent avec détails le moment de passage du repas (le deipnon) au symposion, ce même moment décrit par Xénophane dans son élégie. Ce fragment est conservé, lui aussi, par Athénée (fr. 71 Kassel-Austin, chez Athénée, Deipn. XV 665b-d) :

A. Les hommes ont-ils déjà fini de dîner ?
B. Presque tous.
A. Bien ! Pourquoi donc ne te dépêches-tu pas d’enlever les tables ? Alors que moi, je viens verser l’eau.
B. Et moi, je vais balayer le sol. Puis, après avoir versé les libations, je préparerai le cottabe. La jeune fille devrait déjà avoir les flûtes en main et commencer à jouer. Vas-y et verse le parfum d’Égypte et ensuite le parfum d’iris. Après cela, je vais apporter les couronnes et en donnerai une à chacun des convives. Qu’on mélange de nouveau le vin.
A. Il a déjà été mélangé.
B. Pose donc l’encens…
[lacune]

Ensuite il poursuit :

Désormais les libations ont été faites et ils boivent déjà depuis longtemps ; et le skolion a été chanté, le cottabe sort de la salle maintenant. Une fillette apporte les flûtes et joue aux convives un air de Carie. J’ai vu une autre fille avec une harpe à trois angles et elle chantait avec cet accompagnement un chant d’Ionie.

Grâce au regard et aux ordres réciproques que les deux esclaves chargés d’organiser le symposion échangent entre eux, nous avons ici une description très complète des divertissements qui devaient accompagner le moment de la boisson. Les éléments et les procédures évoquées dans ce cadre sont très proches de ceux évoqués dans le cadre de l’élégie de Xénophane et dans les autres poèmes « symposiaques » : la préparation de la salle et des libations, après le repas ; le vin mélangé ; l’encens et les parfums précieux, prêts pour être distribués ; le cottabe, ce jeu, typiquement symposiacal, qui facilitait les avances amoureuses entre convives ; les instruments musicaux, ainsi que les jeunes filles, chanteuses, joueuses ou danseuses, qui font leur apparition ; et encore, le skolion, ce chant qui passe d’un convive à l’autre. Libations, jeux, amour, musique, chants, parfums et vin : les éléments typiques d’un banquet se trouvent ici tous réunis.

Quant aux « bonnes manières » que devaient adopter à table les convives de la haute société athénienne, c’est à Aristophane, dans les Guêpes, que nous en devons une brillante et comique description. Ici Bdélycléon veut pousser son père Philocléon, qui est obsédé par son métier de juge, à goûter aux plaisirs d’une vie joyeuse et sans soucis, vie qu’il décrit ainsi (v. 1004-1006) :

Je te nourrirai bien, en t’amenant avec moi partout,
aux dîners (deipnon), au symposion, aux spectacles,
de sorte que tu passeras dans la joie le reste de ta vie.

Le banquet (décliné en deipnon et symposion) est ici évoqué comme le symbole même d’une vie de joie, un lieu de vie sociale bien ancré dans la cité, mais en même temps un espace de vie visiblement protégé des préoccupations immédiates, juridiques et/ou politiques, de la cité. C’est alors pour que son père puisse participer, sans encombre, à son premier banquet, que Bdélycléon s’efforce de l’éduquer aux manières de table de l’élite. Tout d’abord, après l’avoir habillé et chaussé comme il faut, c’est de sa façon de marcher et de parler que Bdélycléon s’inquiète (v. 1168 et s.) :

Ensuite à la façon des riches,
avançant de cette manière avec une certaine mollesse, assume une allure efféminée.
….
Eh bien, maintenant, sauras-tu tenir des discours sérieux
en présence d’hommes très savants et habiles ?
….
Non ! Pas de mythes, mais parmi les discours qui concernent les hommes,
du genre que nous tenons surtout, les discours sur la famille.
Des discours avec grandeur.
….
Mais dis-moi encore autre chose ; si tu étais chez des hôtes
en train de boire, quel aspect de toi penses-tu que tu leur raconteras,
un exploit très viril de ta jeunesse ?

A la suite de cela, l’éducation du père se poursuit avec des indications, voire des injonctions, quant à la manière de se tenir à table devant des hôtes de marque : posture, éloges et chants symposiaques sont alors passés au crible par Bdélycléon (v. 1208 et s.) :

Assez ! Mais couche-toi ici et apprends d’abord
à être convive et à vivre en société.
Philocléon – Comment dois-je me coucher, donc ? Parle, et vite !
Bdélycléon – Avec une bonne tenue.
….
Étends les genoux et, à la manière des gymnastes,
fluide, allonge-toi de tout ton long sur les couvertures.
Ensuite, fait l’éloge d’un des vases de bronze,
contemple le plafond, admire les tentures de la maison.
L’eau [est versée] sur les mains, on apporte les tables,
nous dînons, nous nous sommes bien lavés, nous faisons déjà les libations.
La joueuse de flûte a commencé à jouer. Les convives
sont Théoros, Eschine, Phanos, Cléon,
un autre, étranger, près de la tête, le fils d’Acestor.
En compagnie de ces hommes, les chants (skolia), comment les reprendras-tu ?

S’ensuit une série d’exemples de skolia, les chants « symposiaques », lancés par le fils et repris par le père, qui, par-delà l’effet comique obtenu ici par les répliques volontairement maladroites et parodiques de Philocléon, peut donner une idée des modalités suivies par les convives dans leurs échanges chantés.

En définitive, ces passages des Guêpes mettent bien en lumière les éléments constitutifs d’un banquet typique des élites athéniennes, ses procédures, ses étapes, ses divertissements, ses codes et ses rituels. Certes, ces éléments sont ici objet de dérision et de parodie de la part d’Aristophane, qui en fait donc une critique mordante, mais précisément cette critique est révélatrice de l’importance que cette pratique conviviale avait dans la société grecque de l’époque.

Si incontestablement le banquet a une place de tout premier plan dans les textes d’Aristophane et des auteurs comiques en général, il est toutefois vrai que l’une des descriptions les plus développées et les plus riches d’un banquet traditionnel se trouve dans l’Odyssée d’Homère (VIIIe-VIIe siècle av. J.C.). Il s’agit du banquet d’Alkinoos en l’honneur d’Ulysse, dont le déroulement se déploie, au cœur du poème, du chant VIII au chant XII. Voici le contexte. Après avoir quitté l’île d’Ogygie où il a dû rester pendant huit ans avec la belle Calypso, et après dix-huit jours de navigation et d’innombrables peines, Ulysse fait naufrage sur l’île de Schérie, l’île des Phéaciens (chant V). Celle-ci est une île bienheureuse et pacifique, qui va marquer un tournant décisif dans le voyage de retour du héros et où l’on va assister au long récit en flash-back de ses aventures (chants VII à XII). Retrouvé par Nausicaa, la fille du roi Alkinoos, et ses compagnes sur la plage où il a péniblement réussi à arriver à la nage, Ulysse est accompagné jusqu’au palais du roi, puis généreusement accueilli par celui-ci et son épouse, la reine Arété (chant VII). Un banquet d’hospitalité est, alors, organisé à la cour, auquel sont invités également tous les autres seigneurs de l’île (chant VIII). C’est indiscutablement l’élite des Phéaciens qui se réunit autour d’un banquet en l’honneur de cet hôte encore inconnu qu’est, à ce stade, Ulysse. Et c’est au cours de ce long et riche banquet que l’on assistera, d’abord, aux chants de l’aède Démodocos, consacrés à la guerre de Troie et aux récits des amours d’Arès et d’Aphrodite (chant VIII), puis à la prise de parole d’Ulysse qui se révèle enfin à ses hôtes et, à son tour, raconte son odyssée (chant IX à XII).

Comment se présente ce banquet en l’honneur d’Ulysse, qui commence au chant VIII de l’Odyssée  ?

Sa mise en scène dans la narration homérique est riche en détails. S’il est clair qu’il s’agit d’un banquet royal, puisque l’invitation est lancée par le roi lui-même sur l’agora à l’adresse de l’ensemble des seigneurs Phéaciens et des cinquante-deux jeunes rameurs chargés d’accompagner Ulysse chez lui, il me semble que sa finalité (honorer Ulysse) et les modalités de sa tenue (il se déroule à l’intérieur du palais d’Alkinoos et est ponctué par les chants de l’aède, les danses et, enfin, par les récits d’Ulysse) mettent en avant plutôt le caractère privé du banquet. Quoiqu’il en soit, c’est bien le roi Alkinoos qui se charge de l’organisation du festin. C’est lui qui fait préparer huit cochons, douze brebis et deux bœufs pour le repas, ainsi que les coupes de vin, c’est lui qui invite les convives à profiter du festin, lui qui fait appeler l’aède Démodocos pour qu’il charme l’assistance avec ses chants, qui invite ensuite Ulysse et les jeunes Phéaciens à se mettre aux jeux, qui, après les jeux, de nouveau appelle Démodocos pour de nouveaux chants, qui invite ses deux enfants, Laodamas et Halios, à danser, puis les douze rois Phéaciens à offrir des dons d’hospitalité à Ulysse. C’est encore Alkinoos qui, au coucher du soleil, relance le banquet en invitant Ulysse, d’abord à prendre un bain et à se faire frotter d’huile, puis à partager de nouveau la viande et le vin, enfin à écouter une nouvelle fois les chants de Démodocos. C’est ici, lors de la troisième entrée en scène de l’aède, le seul moment où ce n’est pas Alkinoos, mais Ulysse qui prend l’initiative de demander quelque chose : en s’adressant à Démodocos il demande d’entendre le chant d’un épisode précis de la guerre de Troie, à savoir l’histoire du cheval. Mais c’est encore Alkinoos qui, à la fin du chant, ayant aperçu Ulysse pleurer pour la deuxième fois à l’écoute des récits de Démodocos, reprend une dernière fois l’initiative de diriger le cours du banquet et demande enfin à son hôte de révéler son identité. Cette révélation (chant IX) déclenchera le long récit d’Ulysse de ses propres aventures (chants IX à XII), récit qui marquera la fin du banquet.

Que pouvons-nous dire du fonctionnement et du rôle de ce banquet dans le récit homérique ?

Épisode central du poème, le banquet d’Alkinoos permet, tout d’abord, de comprendre l’importance que ce genre de pratique conviviale pouvait avoir dans la société aristocratique de la Grèce archaïque. Le banquet est clairement un lieu d’exhibition de richesse, dont les principaux signes sont le nombre de victimes offertes pour le repas, les précieux objets offerts à Ulysse et, surtout, la présence même de l’aède, que seul le roi peut se permettre de posséder et qu’il met généreusement à la disposition de son invité et de toute la communauté aristocratique. Mais par là même, ce lieu est aussi pour Alkinoos l’occasion d’exhiber et réaffirmer son pouvoir, précisément par la générosité qu’il manifeste et qui crée finalement un lien d’obligation des autres rois de l’île à son égard.

En même temps, en tant que cadre dans lequel se développe la relation de confiance entre Alkinoos et Ulysse, ce banquet est, du point de vue de la narration même, un épisode clé du poème épique ; de plus, ce banquet, qui est décrit avec beaucoup de détails dans ses étapes et dans son déroulement, est scandé par trois chants de l’aède Démodocos qui, quant à eux, mettent en scène à leur tour d’autres récits épiques et mythiques. La relation entre banquet et narration est donc ici double : le banquet d’Akinoos est l’un des épisodes centraux du poème homérique tout en étant aussi le lieu par excellence de récitation de ces mêmes poèmes épiques et mythiques. En d’autres termes, l’aède Démodocos, chantant les mythes et la guerre de Troie au cours du banquet, et le poète Homère, nous racontant l’odyssée d’Ulysse, ne font plus qu’un, puisque le chant de l’un coïncide avec l’histoire de l’autre. Lieu d’exhibition du pouvoir, le banquet est donc finalement aussi le lieu par excellence du chant de l’aède, donc de l’exhibition poétique qui coïncide ici, pour Ulysse, à une exhibition de soi et de son histoire glorieuse.

Or, avant de passer au troisième type de documentation que nous possédons, celle des « banquets littéraires » à proprement parler, que pouvons-nous conclure, à la suite de tous ces exemples de textes narratifs, « symposiaques », théâtraux et épiques, qui, tous, mettent en scène un banquet ? Quelle forme de banquet décrivent et quels contenus transmettent ces deux premiers types de textes ?

  Le banquet avant les « banquets littéraires »

Le banquet d’Homère, celui de Xénophane et des poètes archaïques ou encore celui d’Aristophane décrivent clairement tous, chacun selon ses modalités et ses finalités, une réunion d’hommes, qui appartiennent plus ou moins au même rang social, ou du moins qui au cours du banquet ont des échanges paritaires et partagent les mêmes codes – et ce, même si l’amphitryon (comme le roi Alkinoos) occupe une place dominante dans la vie de la communauté. Ce sont des banquets de riches, riches en nourritures, en boissons et en objets d’apparat qui peuvent orner la salle ou qui peuvent être introduits dans la salle pour honorer les hôtes. Ce sont aussi pour ainsi dire des banquets-spectacle, j’entends des banquets où à la fois on s’exhibe – on exhibe sa richesse, mais aussi sa mémoire, son éducation et sa culture – et à la fois on assiste à l’exhibition des autres, d’abord, de ses pairs, puis, de ceux qui pourraient être qualifiés comme des professionnels du banquet, les aèdes, les joueuses et les danseuses. Quel que soit celui qui s’exhibe, le contenu de sa performance est généralement ou bien un éloge (d’un pair, de sa société et finalement de lui-même) ou bien une narration, qui peut être, ou non, une fiction, et qui peut être, ou non, chantée et/ou dansée, ou bien encore un poème, ou une série de poèmes, qui passent de l’un à l’autre dans l’assemblée. Le but de ces réunions est avant tout celui de susciter le plaisir au sein de l’assemblée, un plaisir qui se décline en plusieurs formes, puisqu’il peut dériver de plusieurs éléments. C’est le plaisir pour les nourritures et les boissons partagées, puis, le plaisir pour les réflexions et les échanges sur les valeurs de la société, le plaisir de faire ou d’écouter des éloges ou des récits, réactivant constamment une mémoire commune, qu’il s’agisse de récits fictifs ou non, qu’ils évoquent des exploits personnels ou collectifs ; c’est encore le plaisir des jeux et des spectacles, de la musique et des chants, et enfin c’est aussi le plaisir de l’amour, entre convives ou entre les convives et les hétaïres qui fréquentaient le banquet. Il s’agit en somme, comme le dit le poète Mimnerme (VIIe siècle av. J.C.) de réjouir son cœur (fr. 7 West = Théognidea 795 West), et, encore mieux, de le réjouir, en réjouissant en même temps son corps, comme le dit aussi bien un autre fragment poétique de la Théognidea, qui résume parfaitement l’esprit du banquet grec, lieu de combinaison entre plaisir pour le corps, en l’occurrence, ici, celui de la boisson, et plaisir pour l’âme (Théognidea 763 West) :

Buvons, en échangeant les uns avec les autres d’agréables discours !

L’impératif qui incite à boire est ici aussitôt tempéré par le participe circonstanciel qui invite à tenir des discours agréables ; on retrouve la même idée, mais, avec les formes verbales inversées, dans un autre fragment poétique de la Théognidea (1047) :

Et maintenant, en buvant, réjouissons-nous de tenir de beaux discours !

Cette interchangeabilité entre boire du vin et parler de choses belles et agréables, qui d’une manière ou d’une autre concernent les convives, dit bien que les deux activités contribuent au même titre au plaisir complexe du symposion grec. Si la nourriture et, surtout, la boisson, souvent aussi accompagnés des plaisirs d’amour, comblent tout d’abord le convive en satisfaisant les désirs de son corps, les échanges entre banqueteurs réjouissent leur esprit, ces échanges qui se font de plusieurs manières : ce sont les nobles conversations, les chants et les poèmes lancés par l’un et repris par l’autre, ce sont aussi les narrations des aèdes que les convives écoutent, les danses et les spectacles musicaux qu’ils admirent, ou encore les jeux d’habilité et de force qu’ils pratiquent. Cet ensemble composite de relations qui s’établissent entre les convives constitue les plaisirs de leur âme.

En conclusion, plaisir suscité par poésie, musique, récits, mythes, et plaisir suscité par boisson, nourriture et eros, sont les plaisirs multiples, et en quelque sorte indissociables, que les bons convives satisfont au cours des banquets. Aussi, leur satisfaction est-elle précisément une illustration de l’éducation et des compétences des convives eux-mêmes, ainsi que le signe de leur position sociale et de leur appartenance aux rangs les plus élevés de la société.

Compte tenu de ce bilan sur la base des textes antiques décrivant le banquet et appartenant à différents genres, en quel sens et à quel niveau peut-on dire que le « banquet littéraire », qui naît à Athènes au IVe siècle av. J. C., est différent et « nouveau » par rapport à ces mêmes textes ? On peut dire tout de suite que ce qui est tout d’abord « nouveau » est la forme du texte et le type de banquet qui y est décrit, un banquet qui ne fonctionne pas tout à fait comme les banquets que ces autres textes nous transmettent.

  Le banquet comme genre littéraire

En tant que genre littéraire précis et bien différencié, à la fois des poèmes « symposiacaux » et des textes narratifs présentant des descriptions de scènes conviviales au sein d’un récit plus large, le « banquet littéraire » à proprement parler est une invention de Platon et de Xénophon. Ce sont eux, du moins sur la base des textes antiques que nous possédons, les premiers à avoir consacré un dialogue entier au banquet, quel que soit celui des deux dialogues qui ait été composé en premier. D’ailleurs, sur cette question difficile, voire insoluble, de la relation temporelle entre les deux banquets, je dirai seulement que des références internes – concernant notamment le bataillon sacré de Thèbes – nous feraient plutôt pencher pour une antériorité de celui de Platon, qui aurait été écrit entre 385 et 378 av. J.C., alors que celui de Xénophon aurait été écrit après 378 av. J.C.

Or, par leur genre d’appartenance et leur finalité, ces banquets sont à l’origine, à proprement parler, des textes philosophiques : les deux racontent le déroulement d’un banquet qui met en scène le philosophe par excellence de l’Athènes du Ve siècle, Socrate, en compagnie de quelques-uns des hommes les plus riches et les plus renommés de la haute société athénienne de l’époque. C’est bien le fait que ces dialogues, qui veulent avoir une portée philosophique, rapportent les discours tenus par le philosophe Socrate et ses compagnons au cours d’un banquet célébrant une fête qui fait de ces dialogues un genre à part. Autrement dit, c’est cette combinaison entre discours philosophiques et cadre convivial qui caractérise ces textes et qui permet de les réunir sous une seule et même désignation, celle des « banquets philosophiques ». Et puisque les discours philosophiques sont ceux de Socrate, il n’y a plus qu’un pas à franchir pour que ces textes soient désignés comme des « banquets socratiques ». Ce pas sera franchi justement par le rhéteur Hermogène de Tarse, au IIe siècle apr. J.C., dans son traité La méthode de l’habileté. Le Banquet de Platon et celui de Xénophon sont, pour le rhéteur, des textes fondateurs du genre rhétorique qu’il va désigner justement comme les « banquets socratiques » (symposia Sokratika). Réunis dans un même groupe avec dèmègoria, dialogos, komôdia et tragôdia, c’est-à-dire avec des compositions qui seraient toutes caractérisées par l’emploi d’un double procédé, les symposia Sokratika se caractérisent notamment, d’après Hermogène, par une combinaison de sérieux et de plaisant, aussi bien dans les personnages que dans les actions. Dans l’analyse d’Hermogène il est clair que, plus encore que la figure de Socrate elle-même, c’est l’élément discursif, tourné vers la philosophie et la vertu, qui caractérise ce genre rhétorique – un symposion pouvant être désigné comme « socratique » même s’il se déroule sans Socrate, comme c’est le cas dans les repas, évoqués par Hermogène, que Cyrus prend sous la tente avec ses soldats, dans la Cyropédie de Xénophon. Et, effectivement, c’est essentiellement cette présence du discours socratique que, suivant Platon et Xénophon, retiendront comme élément dominant les auteurs postérieurs de « banquets littéraires », et notamment Plutarque dans le Banquet des sept sages et dans les Propos de table.

En inaugurant ainsi, par le type de discours et de finalité qui caractérise leurs Banquets, le genre rhétorique des « banquets socratiques », Platon et Xénophon s’éloignent du même coup d’une représentation homérique et poétique des banquets, c’est-à-dire de la forme, de la composition et surtout de la finalité des banquets tels que les textes « symposiaques » et les textes épiques ou comiques nous ont transmis.

Cette association entre banquet et philosophie, qui pourrait sonner presque comme un oxymore aux oreilles de Socrate, est de fait, dans les fictions de Platon et de Xénophon, l’occasion pour réfléchir sur l’une des institutions centrales de la cité, peut-être l’une des plus problématiques aux yeux de la philosophie. Et elle est problématique, certes, en raison des dangers que le banquet avec ses plaisirs du corps présente pour la vertu et la maîtrise de soi, mais à la fois, et peut-être surtout, en raison du type de valeurs et de savoir que traditionnellement cette pratique alimente et conserve. Ainsi, au moment même où le genre des « banquets littéraires » naît, parce que ces banquets sont tout d’abord « philosophiques », et plus particulièrement « socratiques », le banquet entendu comme pratique institutionnelle de la cité est mis à mal ou du moins est transformé. Platon et Xénophon s’approprient cette pratique institutionnalisée et ce lieu par excellence du savoir collectif pour en faire un lieu symbolique de la philosophie socratique. Certes, apparemment la mise en scène et la forme correspondent toujours à la pratique que l’on connaît, mais de l’intérieur le fond et la signification mêmes de cette pratique changent profondément.

 Fonctionnement et finalité du banquet « philosophique »

La mise en scène et la forme disons générale du banquet décrit par les deux philosophes ne semblent pas présenter d’écart ni de dysfonctionnement par rapport aux banquets que les autres textes nous transmettent. D’abord, aussi bien chez Platon que chez Xénophon, le banquet autour duquel se réunissent Socrate et ses compagnons est un banquet privé organisé à l’occasion d’une fête : chez Platon, la fête que le poète Agathon offre pour célébrer sa propre victoire aux concours dramatiques, chez Xénophon, la fête que le très riche Callias offre en l’honneur du jeune Autolycos, vainqueur au pancrace, et dont il est, par ailleurs, amoureux. Poésie, amour, jeu et richesse, apparemment tous les ingrédients d’un banquet des élites sont bien là, auxquels il faut justement ajouter Socrate, symbole ici, aux yeux des deux amphitryons, du discours beau et savant qui contribue à orner la salle à manger et à rendre agréable le banquet.

Ensuite, tout comme dans les textes épiques ou dans les poèmes « symposiaques », dans ces deux dialogues conviviaux aussi le banquet semble respecter la forme et se diviser en deux parties principales : une première partie, consacrée plus précisément au repas partagé, le deipnon (Platon, Banquet 175c-176a, Xénophon, Banquet I, 11-16), puis, après un moment de transition où l’on enlève les tables et les banqueteurs font les libations, chantent le péan en l’honneur du dieu et accomplissent l’ensemble des rites d’usage (chez Platon en 176a, chez Xénophon en II, 1), une seconde partie, le symposion, lors duquel la coupe de vin devrait commencer à circuler et les conversations et divertissements entre convives se mettre en place. Chez Platon le symposion est clairement annoncé par le narrateur, Aristodème (176a 1-4) :

Après cela, disait Aristodème, Socrate s’allongea et dîna, ainsi que les autres ; ils firent alors les libations, chantèrent au dieu et, [ayant accompli] tous les autres rituels, ils s’occupèrent de boire.

Chez Xénophon, c’est l’entrée en scène des spectacles qui marque le passage entre les deux parties (II, 1) :

Une fois les tables enlevées, les libations faites et le péan chanté, entre (dans la salle) pour leur divertissement un certain Syracusain avec une bonne joueuse d’aulos, une danseuse de celles capables de faire des acrobaties et d’un garçon vraiment charmant et qui était très bon au jeu de la cithare et à la danse.

Là encore, conformément aux manières de table suivies dans les riches banquets de l’Athènes du Ve siècle, les invités de ces deux textes sont allongés sur les lits conviviaux, lors du repas et tout au long du symposion. Seules exceptions, le jeune Autolocos chez Xénophon, en raison précisément de son jeune âge (I, 8 : Autolycos donc s’assit près de son père, tandis que les autres, comme il est naturel, s’allongèrent sur des lits) et le Socrate de Plat,on qui dans un premier temps se met assis (174e-175d : Un esclave vint tout de suite de l’intérieur à leur rencontre pour les conduire là où les autres étaient allongés..., Socrate s’assoit et parle...), ne s’allongeant que lorsqu’il commence à manger (176a : Après cela, disait Aristodème, Socrate s’allongea et dîna,).

Enfin, après le repas, au cours du symposion, tous les convives exécutent leurs discours selon un ordre convenu à l’avance, sur un thème choisi avec l’accord de l’ensemble de l’assemblée. Chez Platon, le médecin Eryximaque propose l’éloge d’Eros que chaque convive va faire selon ses compétences (177d1-3) :

Si donc vous êtes aussi du même avis, nous pourrions passer là notre temps, d’une manière qui nous convient à tous, en faisant des discours. Je crois, en effet, que chacun de nous, en allant de gauche à droite, doit prononcer un discours d’éloge d’Eros, le plus beau dont il sera capable.

Chez Xénophon, on assiste d’abord à l’exposé de ce qui fait la fierté de chacun (III, 3) :

Eh bien, reprit-il, personne ne sera en désaccord avec toi quant au fait de dire ce qu’il pense savoir qui soit digne de la plus grande valeur.

Puis, à la suite de ces exposés individuels, Socrate se lance dans un très long discours sur Eros (VIII), ce qui constitue le dernier discours de ce dialogue.

On retrouve, donc, dans les « banquets philosophiques » aussi, les éléments qui structurent et cadrent un banquet traditionnel : l’occasion pour faire la fête, les étapes principales qui scandent son déroulement, les rituels qui le légitiment et l’intègrent aux institutions de la cité, les discours entre les convives.

Seulement, lorsque nous allons regarder de plus près ce qui se passe exactement à l’intérieur de ce cadre institutionnel, nous nous apercevons que les « banquets philosophiques » ne fonctionnent pas comme les autres.

Dans les deux cas, c’est la présence de Socrate qui modifie foncièrement l’esprit du banquet : dès le prologue, par son attitude, avant et pendant la fête, il oriente le banquet exclusivement vers un seul et même intérêt : celui d’entendre des discours de gens savants, les sophoi chez Platon, les kaloi kai agathoi chez Xénophon, et d’en faire à son tour. Cette domination du discours savant, et philosophique en particulier, qui est mise en avant dès le prologue des deux dialogues, est inédite : si discours il y a, celui-ci dans les banquets traditionnels est loin d’être dominant et exclusif, au contraire, comme le banquet d’Alkinoos le montre bien, il s’insère en une alternance constante avec les autres divertissements, comme un élément parmi d’autres. C’est ce tout, ce mélange, comme dirait Anacréon, d’amour, parole et vin, qui compose le plaisir du banquet. Or, c’est bien ce tout qui est décomposé par les philosophes, cet équilibre qui est rompu. Ce choix, clairement lié à la figure de Socrate, de laisser prévaloir le plaisir intellectuel est ce qui rend ces banquets « philosophiques », mais il a comme conséquence immédiate, dans les deux cas, une négligence des autres aspects qui constituent le banquet. D’abord, est négligé l’aspect alimentaire, le deipnon – qui est passé dans les deux dialogues sous silence –, ensuite, chose plus problématique encore, le symposion est détourné de son rôle et, en particulier, privé de l’un des éléments essentiels des banquets grecs : la célébration des poètes, par la récitation, le chant et l’écoute de leurs poèmes – et ce malgré la présence, au banquet de Platon, de deux poètes – l’un tragique, Agathon, l’autre comique, Aristophane – et, au banquet de Xénophon, d’un expert d’Homère, Nikeratos.

Ce dysfonctionnement, qui se fait sentir au moment du passage au symposion, est particulièrement vrai, et certainement volontaire, dans le cas du Banquet de Platon. Xénophon, tout en réfléchissant visiblement, comme Platon, sur cette pratique et en adoptant visiblement un point de vue « socratique », accepte, malgré tout, les règles fondamentales de cette institution de la cité : à côté d’un Socrate avide de discours et visiblement content de se lancer dans un long exposé philosophique sur Eros, nous trouvons ainsi, chez Callias, d’autres éléments participants au plaisir convivial, à savoir les spectacles, l’amour et le vin. En revanche, Platon ne relie pas les convives entre eux par un plaisir partagé qui relèverait de la pratique du banquet. Si des discours se succèdent effectivement parmi les convives, il ne s’agit visiblement plus d’un discours continu, qui passant de l’un à l’autre créerait un parcours et une unité entre les invités, mais il s’agit d’une série de longs exposés, isolés et isolants, où chacun s’exprime au mieux sur le thème imposé, l’éloge du dieu Eros. De plus, lorsque le tour de Socrate arrive de parler, cet isolement est encore plus marqué : son discours se détache radicalement des autres et sa parole domine et fige l’assemblée. En somme, plus que ne le fait Xénophon, Platon de manière délibérée modifie la fonction du symposion. Il ne laisse plus coexister, à côté du plaisir intellectuel relevant du discours philosophique ou savant, les divertissements traditionnels qui devaient constituer un banquet : le vin circule peut-être, mais avec modération et sans qu’il ne contribue au plaisir des convives, encore moins à leur ébriété, la musique et donc les femmes sont renvoyées, et avec elles c’est symboliquement toute la poésie, chantée et dansée, qui est éliminée, enfin les échanges amoureux sont également exclus. Si eros est toujours là, il n’est présent que virtuellement ou intellectuellement, en tant que dieu, dans les éloges que les compagnons de Socrate vont tenir à son sujet l’un après l’autre et, surtout, en tant qu’image du philosophe et de l’activité philosophique, dans le discours de Socrate.

Ce changement profond, à la fois du contenu du savoir transmis par les banquets et de la finalité attribuée à cette pratique, rend ces textes, et le Banquet de Platon en particulier, si différents et nouveaux par rapport à la littérature conviviale, au sens large, qui les précède. On passe clairement ici, en termes de savoir transmis, d’un patrimoine collectif poétique et mythique à une réflexion, sur la vie philosophique et vertueuse, et sur les différentes étapes qui permettent d’y parvenir. Aussi, en termes de finalité, passe-t-on ici d’une célébration de la cité et de ses valeurs, de ses normes et de ses rituels, à la mise en scène du philosophe et de la nécessité d’une éducation philosophique.

Au sein de l’élite aristocratique qui devait fréquenter les banquets athéniens aux Ve et IVe siècles av. J.C., et dont l’éducation était avant tout poétique, ce choix platonicien représente sans aucun doute une rupture, à plusieurs égards. Le « banquet socratique » récupère une pratique de la cité, lieu traditionnel de consolidation de l’éducation des citoyens et de leur culture, pour en faire un lieu d’initiation à la philosophie, de la mise en scène du cheminement de l’âme vers la vertu dans le lieu même des plaisirs du corps. En même temps, parce qu’il se veut lieu du discours philosophique, le « banquet socratique » est à l’opposé du banquet disons poétique ou homérique : il y a ici, dans le fonctionnement même du banquet socratique, une critique sans précédent du savoir poétique que cette institution véhiculait et consolidait, ce savoir poétique que Platon (mais aussi Xénophon) pour ainsi dire remplace par une nouvelle forme et une nouvelle conception de savoir, celui justement qu’incarne Socrate. S’opposant aux prétendus savants de la cité que sont les poètes et les hommes politiques, le Socrate platonicien de l’Apologie, comme celui du Banquet, ne revendique quant à lui aucun savoir ou, tout au plus, une forme minimale de savoir humain, qui se remet en cause constamment et qui n’est jamais totalement acquis. Ce savoir qui est conçu comme une recherche incessante de la vraie sagesse, qui est donc une pratique ou un mode de vie avant tout, est justement celui qui est mis en scène dans le « banquet socratique », celui-ci devenant l’image de cette quête continuelle de l’âme, au détriment du corps.

En définitive, dans cette espèce de vide ou de tabula rasa que crée la critique platonicienne, le « banquet socratique » ne se présente plus comme un lieu de plaisir et de partage d’un patrimoine collectif, mais comme un lieu d’enseignement de la vertu, un lieu d’initiation et de progression vers le vrai savoir, jamais vraiment atteint. Ainsi, la poésie, qui est traditionnellement le savoir privilégié transmis dans le banquet grec, est, chez Platon, non seulement remise en discussion et attaquée (par exemple, dans les critiques de Socrate au discours d’Agathon), mais symboliquement aussi éliminée du cadre convivial, avec l’élimination de la musique et de la danse. Bref, elle ne fera plus partie du patrimoine commun à conserver et transmettre.

Remarquons que cette mise à l’écart du patrimoine poétique est révélatrice de la conviction platonicienne que la poésie ne représente pas un « vrai » savoir, c’est-à-dire un savoir qui peut former et éduquer les hommes de la cité, comme Platon le dit à plusieurs reprises et dans des contextes différents, par exemple, dans l’Apologie de Socrate, dans la République, dans l’Ion ou encore dans le Protagoras. La parole socratique devient, alors, dans la conception conviviale platonicienne, le seul savoir digne de mémoire et donc de récit dans les banquets de la cité. Les autres formes d’échange que sont les poèmes, les chants, les récits ou encore les éloges entre convives, ces autres expressions traditionnelles de savoir, qui par leur forme et leur finalité sont concurrentes de la philosophie, puisqu’elles agissent sur le même terrain, la parole, et s’adressent aux mêmes hommes, ne doivent plus contribuer à la formation et à l’éducation des citoyens. Aussi, à la place du patrimoine poétique, est-ce un autre patrimoine, philosophique, que Platon bâtit dans les banquets et préconise de transmettre.

C’est, en conclusion, par la forme littéraire qui est la leur – des dialogues exclusivement consacré à un banquet – et, surtout, par le fonctionnement du banquet qui y est décrit que les Banquets de Platon et de Xénophon fondent un genre nouveau et marquent un tournant dans celle qu’on peut appeler la littérature conviviale grecque. Si la mise en scène du cadre convivial et de ses articulations correspond encore à celle du banquet traditionnel, c’est la disparition de tout autre élément convivial, de toute autre forme d’exhibition collective, en dehors de celle de faire et d’écouter des longs discours sur Eros et sur la philosophie, qui transforme profondément cette pratique. Et c’est bien la figure de Socrate qui incarne, d’un côté cette disparition, de l’autre la nouvelle signification que prend le banquet : parler sagement et savamment devient la seule activité, la seule forme d’exhibition entre convives, puisque ni le vin, ni l’amour, ni les poètes ne peuvent perturber le philosophe, encore moins lui donner du plaisir.

Ce genre rhétorique que Platon et Xénophon vont fonder et que Hermogène appellera celui des « banquets socratiques », se caractérise donc par cette réduction du plaisir convivial, qui était le résultat d’un bon équilibre entre plaisirs du corps et plaisirs de l’esprit, à un plaisir purement intellectuel, à une forme de cheminement philosophique, que le Eros du discours de Socrate-Diotime incarne si bien. Néanmoins, cette exclusivité que les deux « banquets philosophiques » accordent au discours socratique fera en même temps évoluer aussi le genre lui-même puisque, de « philosophique », le banquet littéraire va devenir de plus en plus, notamment à l’époque romaine, « érudit ».

 Le banquet des savants dans la Rome impériale

Si nous parcourons maintenant la suite de l’histoire de ce genre littéraire qu’est le banquet, nous devons arriver au IIe siècle apr. J.C., dans la Rome impériale, pour retrouver des textes conviviaux, à proprement parler, qui aient été conservés en entier. Il s’agit du Banquet des sept sages et des Propos de table de Plutarque, d’une part, et des Deipnosophistes d’Athénée de Naucratis, d’autre part. Nous avons, il est vrai, quelques fragments et quelques témoignages indirects, chez Athénée de Naucratis et chez Plutarque, concernant d’autres Banquets  : un Banquet d’Épicure et un Banquet d’Aristote (évoqué aussi dans une scholie de Théocrite, 3.21), outre un Peri methès toujours d’Aristote. Plutarque, dans les Propos de table (I 612d-e), cite aussi le nom d’autres philosophes qui auraient mis par écrit des discours tenus pendant des banquets, à savoir Speusippe, Prytanis, Hiéronymos et Dion l’académicien, mais de ces autres Symposia, s’ils ont bien existé, rien n’a été conservé.

Curieusement, les trois textes conviviaux que nous possédons en entier et qui s’insèrent explicitement dans la tradition platonicienne du banquet philosophique, sont tous en langue grecque. A ceux-ci, nous pouvons ajouter mutatis mutandis le parodique Banquet de Lucien de Samosate, toujours en langue grecque et toujours à l’époque romaine, sur lequel nous allons revenir.

Certes, les auteurs latins – les historiens, comme Tacite, Suéton et surtout Ammien Marcellin, mais aussi Pline, Sénèque, Cicéron et, encore, les poètes, par exemple Horace dans son portrait des personnages gloutons au dîner ridicule de sa Satire I 8 ou Plaute dans ses comédies – continuent de s’intéresser au banquet, au convivium, en tant lieu d’expression d’un certain pouvoir et d’une certaine culture. Il est donc, évidemment, très fréquent de trouver des représentations du banquet dans les textes latins, ces représentations étant souvent des métaphores pour illustrer (en les célébrant ou en les condamnant) les valeurs morales et politiques attribuées aux banqueteurs, et notamment aux puissants souverains qui organisent ces banquets – c’est le cas, par exemples, des représentations des banquets de l’Empereur Domitien dans la poésie de Stace et de Martial ou des dîners avec César chez Cicéron. Mais, à une exception près, nous ne possédons pas dans la littérature latine de textes exclusivement conviviaux. Et l’exception est tardive, puisqu’il s’agit des Saturnales de Macrobe : œuvre conviviale en sept livres, écrite à la fin de l’Antiquité romaine, au début du Ve siècle de notre ère, les Saturnales s’inspirent, certes, pour la mise en scène du Banquet platonicien, mais subissent aussi clairement l’influence des Propos de table de Plutarque et des Deipnosophistes d’Athénée.

Avant de voir le fonctionnement de ces banquets littéraires grecs dans la Rome du IIe siècle et leur évolution par rapport aux banquets philosophiques de Platon et Xénophon, je voudrais encore signaler, comme des cas à part, les représentations conviviales d’époque romaine qui, tout en s’insérant visiblement dans la tradition platonicienne par le choix convivial, s’en éloignent aussi par le genre satirique ou parodique qui les caractérise. Elles constituent, en effet, justement en raison du mode ironique qu’elles adoptent et de la distance qu’elles prennent par rapport à leur modèle, des illustrations particulièrement riches de cette pratique héritée des Grecs.

Le premier cas que je veux signaler est un texte latin : il s’agit de la Cena de Trimalcion présente dans le Satyricon de Petrone, auteur latin assez « énigmatique » qui aurait vécu à Rome au I siècle apr. J.C., sous Néron ou, juste après, à l’époque flavienne. Il est vrai que l’épisode du festin de Trimalcion, n’est justement qu’un épisode parmi les aventures différentes et variées que les protagonistes du roman connaissent. En d’autres termes, comme le banquet d’Alkinoos dans l’Odyssée d’Homère, la Cena est une représentation d’un banquet, là aussi somptueux et longuement détaillé, au sein d’une narration plus large, et ne constitue donc pas, à proprement parler, un exemple de « banquet littéraire », tel que nous l’avons identifié plus haut. Il est vrai aussi que, si ce banquet privé organisé par un richissime parvenu, Trimalcion, dans sa demeure occupe une place importante dans l’ouvrage, l’état lacunaire du Satyricon et les nombreuses difficultés que l’interprétation de ce texte présente ne permettent pas de se faire une idée claire et définitive de la valeur que cet épisode avait dans l’économie du texte originaire. Néanmoins, par-delà ces difficultés et par-delà le caractère excessif et satirique de l’ouvrage de Petrone, la Cena de Trimalcion est pour nous une source d’informations intéressantes quant au fonctionnement d’un riche banquet romain. Nous apprenons ainsi que les invités romains, comme les Grecs de l’époque classique, s’allongent sur des lits conviviaux dans la salle du triclinium (par. 31), que le banquet romain présente plutôt une division en trois parties (et non en deux comme le banquet grec), les hors-d’œuvre (gustatio, par. 32), le premier service (prima mensa, à partir du par. 34) et le second service (secunda mensa, à partir du par. 73), un bain chaud marquant le passage de l’un à l’autre. Nous apprenons encore que les plats sont richissimes et, ici du moins, suscitent souvent la surprise des convives, et que le tout est accompagné de vin, spectacles, chants et exhibitions qui se veulent érudites, des invités et de l’amphitryon, ce dernier vantant ses deux bibliothèques, une latine et l’autre grecque, comme symbole de son érudition (par. 48). En somme, sous la satire sanglante que ce texte fait d’un banquet de riches parvenus, nous comprenons que le banquet romain est toujours l’occasion de l’exhibition de soi et de son pouvoir, que celle-ci se manifeste dans les somptueux mets servis ou dans la profusion de richesse et de spectacles ou encore dans les maladroites déclamations prétendument érudites de l’amphitryon. Dans la même ligne satirique, mais sans référence au savoir des convives, se situe aussi la Satire I 8 d’Horace (I siècle av. J.C.), où le dîner chez Nasidénius est toutefois simplement l’occasion de condamner le raffinement et le luxe extrême des mets offerts, en ridiculisant la gloutonnerie des personnages, au profit implicite d’une morale de la modération et de la sobriété.

Le deuxième cas de représentation parodique d’un banquet qui doit être signalé est le Banquet ou Les Lapites de Lucien de Samosate, auteur lui aussi de langue grecque et également lié à la Rome impériale, même si, à la différence de Plutarque et d’Athénée, il ne s’y installe pas. Texte satirique et volontairement parodique du Banquet de Platon, le Banquet de Lucien met en scène des faux philosophes, dont les comportements sont jugés par un vrai idiotès, Lycinus, lors d’un riche banquet de mariage. Assistant aux déboires des convives philosophes, cet homme simple qu’est Lycinus livre à son interlocuteur quelques réflexions (chapitres 34-35) :

Pendant que cette scène se déroulait, je faisais en moi-même, cher Philon, de multiples réflexions, et celle-ci tout à fait spontanée, à savoir qu’il n’y avait aucun avantage à connaître les sciences, si on ne règle pas sa propre vie aussi selon le mieux ; en effet, je voyais ces hommes-là, qui étaient remarquables dans leurs discours, s’exposer au rire par leurs actes. [...] Et vraiment parmi les philosophes présents, il n’était pas possible d’en voir un seul, même pas par hasard, qui fût exempt de faute, mais les uns faisaient des choses honteuses, les autres disaient des choses plus honteuses encore. […] Or, de fait, c’était un renversement complet de la situation : d’un côté les gens simples, en mangeant de façon très ordonnée, évidemment ne se livraient pas aux excès de l’ivresse et n’accomplissaient pas non plus des actes honteux, mais riaient tout simplement et blâmaient, je pense, ceux que précisément ils avaient l’habitude d’admirer en croyant qu’ils étaient remarquables, d’après leur comportement. De l’autre côté, en revanche, les sages étaient insolents, s’injuriaient, s’empiffraient excessivement, criaient et en venaient aux mains.

Par sa mise en scène qui inverse volontairement les positions et les jugements de valeur entre sages et ignorants, ce texte présente l’incontestable avantage de dénoncer les premiers en raison de leur excès (dans la nourriture, les discours et les comportements) et de leur fausseté, au bénéfice des seconds qui, parce qu’ils gardant une tenue correcte et adoptent de bonnes manières, incarnent en tout et pour tout le bon convive par excellence, Socrate. Là encore, ce qui ressort de cette représentation conviviale, par-delà son caractère satirique et parodique, est bien l’exhibition du savoir, ici ridiculisée et mise à mal par les philosophes eux-mêmes qui, parce qu’ils sont faux, laissent dominer leur intempérance. Ce qui est une façon indirecte pour Lucien de dire que les vrais ne se laisseraient pas dominer par celle-ci et que leur savoir ne serait pas ridicule et donc de réaffirmer finalement la validité de la conception conviviale de Platon.

Dans la même ligne parodique, peut être signalé un dernier texte, plus tardif, toujours en langue grecque, qui se présente comme une reprise plaisante et satirique du banquet littéraire platonicien, à la manière de Lucien, mais avec des finalités différentes. Il s’agit de l’écrit satyrique Le banquet ou Les Césars de Julien l’Apostat (IV siècle apr. J.C.), où l’Empereur raconte à un ami un banquet sacrificiel fictif que Romulus aurait offert, lors des Saturnales, aux dieux et aux Césars. Ce texte, à la différence du Banquet satirique de Lucien, présente un cadre convivial réduit au minimum. Le banquet est simplement l’occasion pour faire, tout d’abord, défiler, l’un après l’autre, les différents dirigeants romains, tous décrits à leur entrée en scène par un trait, moral ou physique, qui les caractérise, et pour les inviter, ensuite, à une joute oratoire, où chacun célèbre ses propres exploits, en explicitant le but qui a guidé sa vie – ce qui permet d’obtenir l’effet très plaisant d’une synthèse mordante et satirique de l’histoire de Rome. Ce « banquet littéraire » de l’un des principaux auteurs en langue grecque du IVe siècle a, certes, beaucoup perdu des éléments constitutifs d’un banquet antique, mais en préserve sans aucun doute l’une des caractéristiques les plus marquantes : celle de l’exhibition personnelle, qui passe par l’éloge et la célébration de soi, ainsi que par l’échange (ici polémique) avec les autres égaux qui composent le banquet.

Revenons maintenant, pour conclure, aux textes conviviaux qui s’insèrent clairement et sans intention parodique dans la tradition du banquet littéraire platonicien et qui vont le faire évoluer vers un banquet d’érudition : le Banquet des sept sages et les Propos de table de Plutarque et les Deipnosophistes d’Athénée. A ces textes du IIe siècle, nous pouvons ajouter les Saturnales de Macrobe, au Ve siècle. Par leur forme – des récits entièrement consacrés à des banquets – ces ouvrages sont les véritables héritiers du « banquet philosophique » de type platonicien et tous s’inspirent plus ou moins explicitement de ce modèle. Mais par leur contenu ces mêmes textes transforment aussi le genre. Ce n’est plus (ou pas seulement) l’exhibition du philosophe et de la philosophie qui est au cœur du banquet et donc de ces ouvrages, mais plus largement l’exhibition d’un groupe de gens savants, qui échangent des propos entre eux dans le seul but de montrer leur culture et leurs compétences. Aussi le contenu de leurs discours savants change-t-il, puisque c’est l’érudition plus que la philosophie socratique qui anime leurs discussions.

Parmi ces textes, c’est sans doute le Banquet des sept sages de Plutarque qui constitue une véritable reprise du « banquet socratique ». Il y a, en effet, ici une imitation claire de sa mise en scène : un dialogue entre deux convives dans le prologue prépare et introduit au banquet de fête de Périandre, après une allusion rapide au repas et au cadre convivial, se succèdent des discours entre les convives, au centre desquels se trouve indiscutablement le discours du sage Solon, que visiblement Plutarque voit comme une préfiguration du philosophe platonicien, par excellence, Socrate. Mais par-delà la claire volonté de reprise, il y a aussi ici une exaspération de l’aspect intellectuel du banquet et une forme de théorisation de l’opposition entre plaisir du corps et plaisir de l’âme, que le Banquet de Platon présuppose, certes, mais n’explicite pas. Et cette explicitation se fait justement par la figure socratique de Solon. Son discours (en 159D-160C), qui est central dans le banquet et qui ne sera pas suivi de répliques, peut être lu comme un pamphlet contre la nourriture et les besoins du corps, un corps qui est donc vu comme le principal lien avec la mortalité et qui empêche la véritable sagesse, ici les échanges entre les savants convives. Ainsi, parce qu’il vise à cette sagesse, les plaisirs du corps sont condamnés par le Solon de Plutarque, à commencer par le plaisir alimentaire (159d1-9) :

Chez la plupart des hommes on peut voir que l’âme est complètement enveloppée par le corps, comme dans un moulin, et qu’elle tourne tout le temps autour du besoin de nourriture. Exactement comme nous aussi, tout à l’heure, nous ne nous voyions pas et ne nous écoutions pas, les uns les autres ; mais chacun, la tête penchée (sur son plat), était l’esclave de son besoin de nourriture. Maintenant, au contraire, que les tables ont été enlevées, nous sommes libres, comme tu le vois, et, parés de couronnes, nous nous livrons à la conversation, nous sommes en compagnie les uns des autres et nous avons du loisir, parce que nous sommes parvenus à n’avoir plus besoin de nourriture.

Loin des banquets traditionnels des poètes et d’Homère et loin de constituer un point d’équilibre entre corps et esprit, le « banquet philosophique » de Plutarque est l’occasion pour éliminer le premier au profit du second. Plus platonicien que Platon, le Solon de Plutarque fait donc, de ce lieu de plaisirs multiples et de vie, un lieu où seuls les âmes (donc, les morts) ou les dieux seraient comblés.

Dans les Propos de table c’est par la forme même du texte que Plutarque porte à son paroxysme le banquet philosophique de type platonicien, le réduisant de plus en plus à une simple compilation de questions et de réponses. Le cadre convivial, qui existait toujours chez Platon et dans le Banquet des sept sages, disparaît ou presque au profit des seuls propos échangés entre convives, parce que ceux-ci sont le seul élément qui compte, c’est-à-dire qui soit digne de mémoire. Comme il le dit explicitement dans la première dédicace au livre I des Propos de table, le nouveau patrimoine collectif que Plutarque préconise de transmettre dans son banquet littéraire est donc l’ensemble des propos érudits et convenables que ses érudits commensaux ont pu tenir sur les arguments les plus variés lors de différentes occasions conviviales et festives (I 612D-E)

Puisque toi aussi tu crois que l’oubli des choses insensées est en réalité chose sage, d’après Euripide, mais que le fait d’oublier complètement ce qui s’est passé pendant que l’on boit du vin non seulement s’oppose au dicton qui dit que la table fait des amis, mais est aussi contraire au témoignage des plus illustres parmi les philosophes, Platon, Xénophon, Aristote, Speusippe et Épicure et Prytanis et Dion l’Académicien, puisqu’ils ont estimé comme une œuvre digne d’un quelque sérieux de mettre par écrit des discours tenus pendant les beuveries, et puisque tu pensais que, parmi les discours érudits tenus souvent ici et là, aussi bien à Rome avec vous que chez nous en Grèce, au moment où la table et les coupes étaient apprêtées, nous devions réunir ceux qui étaient convenables, ayant donc procédé à cette tâche, je t’ai déjà envoyé trois de ces livres, chacun comprenant dix questions.

Ces discours d’érudits deviennent donc le patrimoine collectif à conserver et à transmettre. Le reste doit sagement tomber dans l’oubli. Or, ce reste est bien tout ce qui n’est pas discours convenable et savant, en d’autres termes tous les autres éléments constitutifs d’un banquet, et a minima les nourritures et les boissons. Ce sont bien celles-ci, les « choses insensées » auxquelles pense Plutarque et qui doivent tomber dans l’oubli, comme il le dit clairement dans la dédicace au livre VI, se réclamant encore une fois de Platon et Xénophon (VI 686e-d) :

Si les choses corporelles procuraient les plaisirs, Xénophon et Platon aussi auraient dû nous laisser un écrit non pas des discours faits, mais des mets, des gâteaux et des desserts servis chez Callias et chez Agathon ; or, jamais ces choses-là non été jugées dignes d’une quelque parole, bien qu’elles fussent, comme il est vraisemblable, le résultat de préparations et de dépenses, tandis qu’ils mettaient par écrit les questions philosophiques sérieuses liées à la plaisanterie.

Juste remarque de la part de Plutarque que ce silence des philosophes autour du deipnon, mais il ne faut pas s’y méprendre. Il ne s’agit pas de mettre en place un banquet sobre, sans mets et sans boisson, au contraire ceux-ci sont visiblement, toujours et encore, recherchés et élaborés dans les banquets destinés à la haute société romaine de l’époque. Il s’agit juste de ne pas en parler, donc de ne pas en garder mémoire, de les exclure en somme du patrimoine collectif. La richesse que ces banquets des élites continuent sans aucun doute d’exhiber et parallèlement les plaisirs corporels que vraisemblablement ils continuent de susciter ne font plus partie des « banquets littéraires » au sens propre, c’est-à-dire de l’élaboration écrite qui les décrit et les transmet. Le « banquet littéraire » de Plutarque est simplement « érudit » : il se réalise par un plaisir purement intellectuel, dont il se satisfait à jamais. Les autres plaisirs, corporels justement, ne sont que des plaisirs éphémères, comme une odeur de la veille ou des relents de fumée de chair rôtie, à l’inverse des arguments des problèmes et des discours philosophiques, toujours présents et encore frais, [qui] réjouissent ceux qui s’en souviennent et même ceux qui en ont été privés, puisqu’ils reçoivent leur part en écoutant justement les discours de ceux-là (VI 686B-D). Le « banquet littéraire » de Plutarque se veut, en définitive, un lieu d’érudition où seul le plaisir de l’esprit compte, celui-ci pouvant se raviver et se transmettre sans perdre de sa fraîcheur des convives aux lecteurs, donc toujours à la disposition d’autres futurs érudits.

C’est à cette même époque et au sein de la même haute société romaine que vit aussi et compose son ouvrage Athénée. Originaire de Naucratis, la plus ancienne cité grecque d’Égypte (fondée par les Milésiens autour de 620 av. J.C.), Athénée est, selon la Souda – le seul témoignage que nous ayons sur lui en dehors de son propre texte – un grammairien, c’est-à-dire un érudit, qui vit à Rome, vraisemblablement sous la protection du riche Larensis, dans la demeure duquel il met en scène son ouvrage convivial, les Deipnosophistes. Ce très long texte, en quinze livres, écrit en langue grecque, est le seul ouvrage que nous possédons d’Athénée – les deux premiers livres et une partie du troisième étant toutefois perdus, une épitomé de l’ouvrage permet de suppléer cette perte. Ce texte appartient clairement, comme l’indique son intitulé, au genre du « banquet littéraire » au sens propre, puisque « deipnosophistes » – un néologisme qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans la littérature grecque – signifie littéralement « savants au banquet » ou « banquet de savants ». L’ouvrage d’Athénée se présente, en effet, comme un long et richissime banquet où de nombreux érudits, de toute discipline, racontent des histoires savantes, citent des centaines d’auteurs anciens, exhibent leur culture et leur mémoire, en même temps qu’ils profitent des nourritures, des boissons et du luxe qui les entourent. Voici la présentation des Deipnosophistes que l’abréviateur fait au tout début de l’épitomé (I, 1a-c) :

Athénée est le père du livre et il compose son discours à l’adresse de Timocrate ; le titre est Deipnosophiste ; le sujet du discours est le Romain Larensis, homme illustre par sa fortune, qui prend comme ses commensaux les hommes les plus expérimentés en tous les domaines de la connaissance. Grâce à eux, parmi les plus belles choses, il n’y en a aucune dont il n’a pas fait mention : dans son livre il a fait entrer, en effet, des poissons, leurs utilisations aussi bien que les explications de leurs noms, ensuite de multiples genres de légumes et d’animaux de toute race, ainsi que des hommes qui ont écrits des histoires et des poètes, en un mot des savants, et encore des instruments de musique, d’innombrables espèces de farces et des différences entre les coupes ; et il a raconté aussi les richesses des rois, la grandeur des navires et tant d’autres choses que je ne pourrais pas facilement raconter de mémoire ou bien la journée ne me suffira pas pour tout passer en revue selon l’espèce. De plus, la gestion du discours est imitation de l’opulence du repas, de même que l’élaboration du livre est imitation de la disposition des mets dans le discours. Tel est le très plaisant "dîner parlant" que propose Athénée, cet admirable gérant du discours ; et se faisant meilleur que lui-même, comme les rhéteurs à Athènes, par la chaleur de son discours il passe par des sauts graduels aux épisodes successifs du livre.

Au cœur de l’ouvrage d’Athénée, la culture des lettres et la culture matérielle sont constitutives de ce banquet de savants, où l’érudition ne peut jamais être dissociée de l’occasion conviviale dans laquelle elle s’exprime. Ainsi la variété des arguments traités, tous d’une manière ou d’une autre relatifs au banquet, est pour ainsi dire doublée par la variété des regards disciplinaires à travers lesquels ces arguments sont exposés. Ainsi, les poissons, premier thème évoqué par l’abréviateur, révèlent à la fois un intérêt culinaire, en tant qu’ils sont l’un des ingrédients principaux des mets servis, et un intérêt étymologique, leurs noms étant en effet analysés et présentés dans un catalogue alphabétique au livre VII ; ce double regard vaut aussi visiblement pour les multiples genres de légumes et d’animaux dont il est question juste après. De même, les hommes savants qui participent à l’ouvrage d’Athénée, dont l’abréviateur précise qu’il s’agit d’historiens et de poètes, sont clairement à entendre à la fois comme une allusion aux convives et comme un argument de l’ouvrage, puisque les deipnosophistes s’intéressent aux savants et aux savoirs de l’antiquité grecque, et en particulier à l’histoire et à la poésie, les thèmes les plus typique du banquet traditionnel.

De plus, ce cercle d’érudits de la société romaine se réunit visiblement dans la bibliothèque de Larensis, grand bibliophile, dont les collections, grecque et romaine, dépassaient, pour leur ampleur, toutes les autres collections existantes. Comme on le lit encore dans l’épitomé au tout début des Deipnosophistes (I, 3a) :

Il (i.e. Larensis) avait acquis, dit-il, une telle quantité d’anciens livres grecs qu’il surpassait tous ceux qui avaient été admirés pour leurs collections : Polycrate de Samos, Pisistrate, tyran d’Athènes, Euclide, lui aussi d’Athènes, Nicocratès de Chypre, et encore les rois de Pergame, le poète Euripide, le philosophe Aristote, Théophraste et Nélée, qui conserva les livres de ces derniers.

Par-delà l’hyperbole d’Athénée, qui veut sans doute rendre hommage ici à son patron et à son érudition, il est vite clair, dès l’ouverture de l’ouvrage, que ces personnages, dont Athénée, qui animent le banquet de Larensis, tout comme l’amphitryon lui-même, représentent par la multiplicité de leurs connaissances, leur polymatheia, les différents champs du savoir de l’Antiquité grecque. On trouve, dans le désordre et sans vouloir être exhaustif, des poètes, des philologues, des philosophes de tout bord, des rhéteurs, des médecins, des musiciens, des historiens ou encore des juristes. De tous on souligne la bibliophilie et la familiarité avec la culture grecque antique (I, 1a-f) et de tous on montre la capacité d’exhiber les histoires et les citations appropriées à chaque moment du banquet. La multiplicité des savoirs mobilisés au sein du cercle de Larensis constitue un véritable patrimoine collectif à exhiber et partager. Tout ce qui circule au cours du banquet est objet de savoir et occasion de discussion et d’exhibition intellectuelle : tout d’abord, tout ce qui concerne les nourritures servies (ingrédients, recettes, boissons...), puis, tout ce qui passe dans la salle du banquet (esclaves, cuisiniers, vaisselle, plats, verres, parfums...) et, enfin, tout ce qui se fait dans la salle (chants, joutes verbales, énigmes, jeux...). Cette variété d’intérêts et de savoirs au sein du banquet est symboliquement mise en avant par l’abréviateur dans la présentation du premier des deipnosophistes, Masurius, à identifier sans doute avec le jurisconsulte de l’époque de Tibère (I, 1c) :

Masurius, interprète des lois, assidûment appliqué dans tout domaine de la connaissance, (était) un poète singulier et (n’était) inférieur à personne dans tous les autres domaines de la connaissance, recherchant avec ardeur et assiduité la connaissance encyclopédique (enkyclion), car pour chacune [des connaissances] qu’il exposait, il semblait ne s’être exercé qu’à celle-là seule, tant il fut élevé dès l’enfance dans la multiplicité des savoirs (polymatheia) ; et en tant que poète ïambique, dit [Athénée], « il n’était inférieur à aucun des poètes postérieurs à Archiloque ».

Masurius est un poète, significativement relié à Archiloque, et un érudit au savoir encyclopédique. Poésie et polymatheia, ces deux caractères de Masurius sont également les éléments constitutifs du banquet des deipnosophistes dans son ensemble.

Célébrant le banquet comme un lieu de conservation de la culture matérielle et de la culture textuelle à la fois, Athénée refuse l’antagonisme, si explicitement établi par Plutarque à la suite du Banquet de Platon, entre mémoire/érudition, d’une part, et les autres éléments constitutifs du banquet (soient-ils les aliments, les boissons, les ornements, bref le confort du corps), d’autre part. Chez lui on retrouve ce qui était le propre des pratiques conviviales plus archaïques, à savoir un plaisir multiple, dérivant d’une pratique et d’une circulation alimentaire et en même temps d’une volonté de conservation et transmission d’un savoir lui-même multiple, un savoir encyclopédique qui est le propre, aux yeux d’Athénée, des élites de la cité.

En définitive, l’érudition des invités demeure, comme chez Plutarque, le plaisir dominant l’esprit des deipnosophistes et l’exhibition de celle-ci est leur principale finalité, mais cette érudition circule parmi les plats les plus exquis et se nourrit de ceux-là, légitimant ainsi les fastes et les excès que le luxueux banquet de Larensis n’hésite pas à exhiber, et légitimant aussi la mémoire de ce luxe que, à la différence de Plutarque, Athénée n’hésite pas à mettre par écrit et à nous transmettre.

Si, au début du Ve siècle, dans ses Saturnales Macrobe reprend bien l’idée d’un récit fictif représentant des érudits qui discutent des questions les plus diverses autour d’un banquet, et si, par sa mise en scène initiale, ce texte imite très clairement le Banquet de Platon s’insérant parfaitement dans la tradition inaugurée par celui-ci, il est vrai aussi que, dans le développement et la finalité de son ouvrage, Macrobe tient compte surtout des ré-élaborations érudites du banquet philosophique que sont les Deipnosophistes d’Athénée et les Propos de table de Plutarque. Mais une fois encore, c’est l’érudition qui va dominer au détriment de tout autre plaisir. Le cadre convivial étant réduit au minimum, voire au silence, le « banquet érudit » de Macrobe est de ce point de vue-là l’héritier direct des Propos de table de Plutarque. A l’inverse, par les multiples formes de plaisir que les convives peuvent partager et transmettre, les Deipnososphistes sont le « banquet littéraire » par excellence, où à la fois le banquet et la littérature au sens large sont préservés. En ce sens, ils restent un cas unique dans la littérature antique gréco-romaine.

LUCIANA ROMERI

 Bibliographie sélective

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Pour citer :
Luciana Romeri, « Banquet philosophique et littéraire dans l’Antiquité gréco-romaine », in Houari Touati (éd.), Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2018, URL = http://www.encyclopedie-humanisme.com/?Banquet-philosophique-et-litteraire-dans-l-Antiquite-greco-romaine